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À propos de l’archéologie « romantique »

Publié en ligne le 25 octobre 2011 - Pseudo-sciences -

Une correspondante, historienne, nous écrit avoir été choquée par l’adjectif « romantique » utilisé « pour désigner des pseudo-archéologues à la cervelle embrumée par des idéologies nauséabondes » 1. Elle ajoute : « À quelle époque vivait par – exemple – Champollion ? Sinon à l’époque romantique, c’est-à-dire vers 1820-1830. A. Dumas a fait “de beaux enfants à l’Histoire” mais n’a jamais prétendu être un historien. Ceux de son temps se sont trompés en attribuant les mégalithes aux Gaulois parce qu’il n’y avait pas encore des moyens scientifiques pour dater ces monuments. C’est pourquoi il me semble que vous les insultez en nommant “archéologues romantiques” des gens qui ne sont ni des archéologues ni des romantiques […] ».

Jean-Loïc Le Quellec, auteur de l’ouvrage Des martiens au Sahara. Chroniques d’archéologie romantique (Actes Sud, 2009), lui répond.

Merci de rappeler l’exemple de Champollion qui s’est violemment élevé contre l’égyptologie telle qu’elle était pratiquée de son temps à la suite de William Warburton, de Pierre-Ernest Jablonsky et du père Kircher. Il a très durement fustigé les rêveries égyptomanes de ses contemporains, ce qui nous rappelle opportunément que vivre dans une époque n’oblige pas à adopter l’esprit du temps. Son époque était romantique, certes, mais lui ne l’était nullement. Le mot « romantisme » a plusieurs sens, et j’ai précisé d’emblée celui que j’utilisais, en plaçant en exergue de mon livre cette citation du Trésor de la Langue Française : « Romantique – adj. Qui évoque l’atmosphère ou les personnages d’un roman par son caractère extraordinaire, exalté, fortement imaginatif ». Je n’utilise donc pas ici la définition qui désigne en France le mouvement littéraire débutant en 1820, car ce sens est secondaire, tardif, et restreint. Lorsque je parle d’une « archéologie romantique », je me réfère plutôt à la signification que donnait Novalis à ce mot lorsqu’en 1798 il écrivait : « Le monde doit être romantisé […] Quand je donne aux choses communes un sens auguste, aux réalités ordinaires un sens mystérieux, aux objets connus la dignité de l’inconnu, au fini un air, un reflet, un éclat d’infini : je les romantise  ». J’appelle donc « archéologie romantique » celle que pratiquent les archéologues – amateurs ou non, là n’est pas la question – qui font de même. Mais vous avez raison, lorsqu’il s’agit de nos contemporains, le terme prête à confusion, et il aurait peut-être fallu parler d’un romantisme post-moderne ! Entre ce dernier et celui que vous évoquez on trouve par exemple le néoromantisme d’un John Macready dont le livre Der Aufgang des Abendlandes a grossi l’immense cohorte de ceux qui alimentent la thèse selon laquelle l’Atlantide aurait réellement existé. Macready estimait de plus que les Cyclopes et les Géants étaient des races réelles et disparues avant qu’apparaissent les Néanderthaliens, auxquels il prêtait une sagesse primordiale hélas perdue. Il prétendait aussi que les Bushmen étaient les descendants des Atlantes, et il était intarissable sur les survivances des habitants de la « Lémurie », à savoir les « Lémuriens », ou sur l’épopée de ceux de l’« Hyperborée », à savoir les « Aryens ».

Que son archéologie ait été, au sens propre du mot, « romantique », justifie qu’Ernest Seillère lui ait consacré le très long chapitre initial de son livre de 1927 sur Le néoromantisme au delà du Rhin. Que le livre de MacReady ait été publié en 1925, et surtout le fait que des thèses similaires soient toujours soutenues aujourd’hui par certains, prouve que ce qui est en cause ici, ce n’est pas l’insuffisance des moyens scientifiques de l’époque, mais le refus d’en tenir compte, et le choix de privilégier un « sens mystérieux », de donner « aux objets connus la dignité de l’inconnu » et donc bien, pour citer à nouveau Novalis, de « romantiser ». Macready avait assez peu d’estime pour ses « Aryens », mais la destinée qu’allait connaître cet ethnonyme quelques années plus tard prouve combien cette façon de « romantiser » a effectivement rencontré des idéologies nauséabondes et s’en est non seulement accommodé, mais les a même nourries.

Jean-Loïc Le Quellec

1 Voir L’archéologie romantique, une pseudo-archéologie, SPS n° 294, janvier 2011.