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Bénéficier de l’aide sociale... et repartir

Publié en ligne le 20 mai 2006 -
par Melody Enguix

Les jeunes dont les parents ont eu recours à l’aide sociale sont plus à risque d’en bénéficier à leur tour. Ce qui veut dire qu’une politique qui réduirait la dépendance à l’aide sociale verrait ses bénéfices se multiplier sur plusieurs générations.

On savait déjà que des enfants de parents pauvres avaient plus de chances d’être pauvres à leur tour, mais la transmission de la dépendance à l’aide sociale a aussi une dynamique propre. Tout le travail de Bernard Fortin et ses collègues de l’Université Laval consistait à la quantifier : il fallait donc l’isoler des autres traits qui jouent dans la transmission de la pauvreté, comme le faible niveau scolaire ou le fait de vivre dans un quartier défavorisé.

Pour arrriver à mesurer cela, ils ont étudié le parcours de plus de 17 000 jeunes dont les parents avaient bénéficié de l’aide sociale pendant au moins un mois lorsqu’ils avaient entre 7 et 17 ans.

Plus les parents ont eu recours au programme, plus les enfants le faisaient : « une hausse de 10 % de la participation des parents entraîne en moyenne une hausse de 3 % de la participation du jeune devenu adulte », selon Bernard Fortin. L’influence est particulièrement forte quand l’enfant a entre 7 et 9 ans, puis 16-17 ans.

Cela peut être un effet d’apprentissage. Cela peut aussi venir d’une pression des parents pour que les jeunes s’inscrivent à leur majorité, pour compenser la diminution de l’allocation des parents qui survient alors. Pour l’économiste, ces mécanismes jouent particulièrement à 16-17 ans.

Ce peut être enfin un « effet de conformité ». « Les choix des enfants sont en partie structurés par le modèle familial. » Les enfants en auraient une image moins honteuse et y recourraient plus facilement. Ce facteur expliquerait selon lui l’influence supérieure entre 7 et 9 ans : « à cet âge, l’enfant est encore très influencé par le modèle familial, alors qu’il le conteste plus à l’adolescence. »

Un intérêt politique

L’enjeu derrière tous ces calculs est de mesurer l’impact des politiques qui peuvent réduire la dépendance à l’aide sociale. Leurs bénéfices sont en fait doublés, si la réduction chez les parents se répercute chez les enfants. « On fait en quelque sorte d’une pierre deux coups. » Mais cela ne peut fonctionner que si la dépendance des enfants est une conséquence directe de celle des parents et n’est pas simplement due au fait que, comme les parents, ils sont dans une situation particulièrement difficile.

Mais plutôt que de réduire la dépendance à l’aide sociale, ne devrait-on pas s’attaquer directement aux causes de la pauvreté ?

« Bien sûr, précise Bernard Fortin, certains pourraient dire que la meilleure façon de réduire la dépendance à l’aide sociale, c’est de supprimer l’aide. Ce n’est pas où nous voulons en venir. Je crois qu’elle a un rôle important, c’est un filet de sécurité contre la pauvreté. »

« Mais, ajoute-t-il, l’aide sociale a aussi des effets pervers. Elle incite peu au travail, car se remettre à travailler signifie la perdre pour un salaire équivalent, mais avec en plus des frais de transports, de garderie... » C’est ce qu’on appelle les trappes à pauvreté : quand les gens sont coincés dans une situation paradoxale où reprendre le travail leur coûte...
D’où l’importance de la prime au travail, instaurée en janvier 2005 : on donne une prime aux personnes à faible salaire, pour que le retour au travail soit de nouveau payant. Et Bernard Fortin travaille justement à évaluer l’efficacité de cette nouvelle politique.


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