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Regards sur la science

Comprendre l’altération des couleurs des toiles

Publié en ligne le 6 décembre 2015 - Vulgarisation scientifique -

L’histoire des différents pigments utilisés par les artistes peintres est liée à celle du développement des connaissances chimiques qui ont permis l’obtention progressive de nombreux pigments de synthèse [1]. Par exemple, le rouge de plomb (appelé aussi minium Pb3O4) est considéré comme l’un des premiers pigments synthétiques, de fait utilisé par les artistes depuis l’Antiquité.

Depuis quelques années, des techniques pointues permettent d’analyser directement un tout petit échantillon prélevé sur une toile : un grain de peinture de taille inférieure à un millimètre. Ces investigations visent à comprendre les processus de dégradation des pigments qui sont responsables d’une modification de leurs couleurs au cours du temps : noircissement ou décoloration. Par exemple, ce peuvent être des réactions chimiques favorisées par la lumière ou l’humidité de l’air qui modifient le pigment et d’autres composés présents dans la peinture (autres pigments, liants, vernis…) ou dans l’air environnant (dioxyde de carbone, dioxyde de soufre…).

Récemment, une équipe belge de l’université d’Anvers a mis en œuvre une technique de diffraction tomographie par rayons X sur une œuvre de Vincent Van Gogh : Meule de foin sous un ciel pluvieux, peinte à la fin du XIXe siècle [2].

Meule de foin sous un ciel pluvieux, Vincent Van Gogh, Musée Kröller-Müller.

Sur cette peinture à l’huile, des feuilles tombées dans une mare, de couleur rouge-orangé à l’origine, ont blanchi avec le temps.

Les chercheurs ont prélevé un grain de peinture d’environ 0,25 millimètre de large. Les analyses ont permis de sonder l’intérieur de l’échantillon pour déterminer quels sont les minéraux cristallins présents.

Le cœur du grain est de couleur vive rouge-orangé, en accord avec la présence de rouge de plomb. Cette disposition dans le grain, ainsi que les connaissances déjà acquises quant aux pigments utilisés par Van Gogh, indiquent qu’il s’agit du pigment originellement utilisé sur la toile pour donner la couleur aux feuilles mortes.

La couche externe du grain, plutôt de couleur blanc-grisâtre, et avec des reflets bleutés, montre un mélange complexe de cérusite PbCO3 et d’hydrocérusite 2PbCO3-Pb(OH)2, deux pigments blancs, ainsi que des traces de bleu de cobalt.

D’autres recherches avaient déjà permis de comprendre que le rouge de

plomb peut se transformer en cérusite et en hydrocérusite sous l’action de la lumière visible, ce qui provoque le changement de la couleur rouge-orangé vers le blanc. L’élément carbone (C) présent dans les pigments blancs et absent du rouge de plomb peut être apporté soit par le liant (huile organique) ajouté au pigment, soit par le dioxyde de carbone de l’air (CO2).

Cependant, pour la première fois, les analyses montrent la présence de plombonacrite 3PbCO3-Pb(OH)2-PbO entre la partie rouge et la partie blanche du grain. Il s’agit d’un minéral cristallin obtenu synthétiquement seulement à partir du milieu du XXe siècle. Ainsi, ce minéral est forcément un composé intermédiaire dans la dégradation du rouge de plomb en cérusite et hydrocérusite. Cette nouvelle étude a donc permis de préciser l’un des mécanismes de dégradation du rouge de plomb, initié par la lumière visible.

Toutes les connaissances acquises à propos de la dégradation des peintures peuvent permettre de faire des recommandations pour conserver au mieux les œuvres. Malheureusement, dans le cas du rouge de plomb, la dégradation étant initiée par la lumière visible, il semble impossible d’empêcher l’atténuation de la couleur dès lors qu’une peinture est éclairée pour le public ! D’autres recherches visent alors à utiliser des techniques pour favoriser le retour de la couleur d’origine : utilisation d’un laser, traitements chimiques,… mais il faut évidemment avoir l’assurance que le remède ne sera pas pire que le mal !

Références

1 | Walter Philippe, Cardinali François. L’Art-Chimie. Éditions Michel de Maule, 2013.
2 | Vanmeert F., Van der Snickt G. and Janssens K. (2015). « Plumbonacrite Identified by X-ray Powder Diffraction Tomography as a Missing Link during Degradation of Red Lead in a Van Gogh Painting. Angew. Chem., 127, pp. 3678-3681.

Publié dans le n° 313 de la revue


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L' auteur

Kévin Moris

Kévin Moris est ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan et diplômé de l’École nationale supérieure de (...)

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