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Courrier des lecteurs : avril à juin 2014

Publié en ligne le 9 novembre 2014 - Rationalisme -

Emotion ou raison ? Images ou mots ?

Je vous suis reconnaissant de l’honneur que vous faites à l’objectivité scientifique. Menée strictement et consciencieusement. Tâche sacerdotale visant à nous éclairer impartialement sur les débats scientifiques en général et leurs polémiques médiatisées en particulier. Je suis d’autant plus étonné de la couverture de votre revue Science et pseudo-sciences [de janvier 2014] 1. Je juge cette dernière inappropriée eu égard au fond que vous souhaitez traiter rationnellement : elle met en scène un enfant dans une rizière, donnant à me laisser penser qu’une PGM permettrait de le sauver d’une famine.

Cela n’est pas sans me rappeler une quelconque publicité de lutte « contre » la faim, faisant appel à ma compassion, cette forme de chantage visuel devant terminer de me convaincre du bien-fondé de la campagne menée. Je crois que la forme (cette couverture, première impression donnée dans un kiosque) nuit au fond que vous vous faites fort de mettre en valeur dans vos pages intérieures (avec de nombreux arguments, de la façon la plus complète possible et de manière dépassionnée). Croyez bien que ma critique serait de même ordre pour une affiche en tout point opposée, dénonçant alors les OGM avec un enfant dans cette même rizière comme suffoquant sous l’effet d’une denrée génétiquement modifiée...

N. R.

Le défi, pour nous peut-être plus que pour d’autres revues, est de résumer en une image, forcément un peu simpliste, mais aussi plus percutante (après tout, depuis que nous sommes en kiosque, c’est la couverture d’une revue qui se trouvera au milieu de centaines, voire de milliers d’autres…), le contenu argumenté de la revue. Certes, l’image fait sans doute appel à l’émotion davantage qu’à la raison ; mais en l’occurrence, elle est pourtant en ligne avec notre message : le riz doré peut en effet sauver des vies (pas supprimer la famine, sans doute, mais sauver des vies, oui). Dans l’exemple que vous imaginez d’une image anti- OGM du même acabit, ce qui serait choquant serait plutôt le mensonge que le message ! Car à l’inverse, si des OGM en vente libre tuaient vraiment des enfants, ne serait-il pas licite de l’illustrer, même un peu violemment (cf les images qui sont maintenant sur les paquets de cigarettes) ? L’image n’est pas neutre, mais nous essayons (peut-être parfois sans succès, peut-être parfois maladroitement), de lui faire dire la même chose que nos titres, qui eux-mêmes s’appliquent à refléter le contenu de nos articles le plus fidèlement possible.

Nicolas Gauvrit et Martin Brunschwig

Hiroshima : prend-on en compte tous les effets ?

Je suis abonné à votre revue Science et pseudo science depuis quelques années après avoir découvert votre site Internet. Je vous félicite pour la qualité globale des contenus y figurant et je vous soutiens pleinement dans votre combat contre l’obscurantisme, la démagogie sensationnaliste vomie par les médias et contre le relativisme des « marchants de doutes ». Aussi, travaillant dans le domaine du nucléaire, je me permets de réagir à l’article « Les leçons d’Hiroshima » de Bertrand Jordan, paru dans votre dernier numéro. L’auteur y fait une analogie entre la bombe d’Hiroshima et le fait de vivre à proximité d’une centrale nucléaire en se basant uniquement sur des valeurs d’exposition externe ce qui peut conduire à un raisonnement biaisé. En effet, une telle comparaison ne prend pas en compte les effets causés par :
• la contamination par les particules radioactives (effets radiologiques mais aussi chimiques) qui sont bien moins importants en cas de fusion d’un réacteur nucléaire que dans le cas de l’explosion d’une bombe atomique [… ] mais dans le premier cas, les retombées se concentrent principalement au voisinage du réacteur alors que les retombées sont bien plus dispersées (et donc diluées) en cas d’explosion d’une bombe nucléaire ;
• les « syndromes post-traumatiques » (qu’ils soient consécutifs à une explosion atomique ou à la fusion d’un réacteur) et par la radiophobie (peur/stress des gens vivant sur un territoire contaminé) ce qui, là aussi, biaise la comptabilisation des effets délétères sur la santé (bien que, dans ces deux derniers cas, la toxicité chimique et radioactive ne soit pas la cause de ces pathologies comme pour les personnes déclarant être « radiosensibles »). Bref, seule une analyse quantifiant l’ensemble des variables ayant potentiellement un impact sur la santé des populations dans le cas de l’explosion d’une bombe nucléaire et dans le cas d’un relâchement important de radionucléides dû à la fusion d’un réacteur nucléaire permettrait de comparer ces deux situations entres elles et par rapport à d’autres formes de pollution (automobile par exemple, comme dans la conclusion de l’article). Néanmoins, il reste évident que l’explosion d’une bombe atomique engendre beaucoup plus de morts et de blessés (c’est d’ailleurs son but) que la fusion accidentelle d’un réacteur nucléaire, ce qu’il reste bon de rappeler lorsque le premier écologiste venu affirme d’un ton sentencieux que « Tchernobyl a fait 1 millions de morts !!! » alors que la fourchette haute du nombre de morts causé par les bombes d’Hiroshima et Nagasaki est inférieure à... 250 000 !

David Biraud

Merci pour ces précisions très utiles. La brève comparaison que je faisais dans mon article visait simplement à montrer que le risque encouru par la descendance des voisins d’une centrale nucléaire est infinitésimale – puisque ce même risque n’est pas détecté chez les descendants des irradiés d’Hiroshima et Nagasaki qui ont reçu une dose d’irradiation cent mille fois supérieure. Ces données, obtenues après étude de près de cent mille descendants de survivants sur plusieurs dizaines d’années, sont en totale contradiction avec la représentation que se fait le public des risques génétiques d’un tel voisinage.

C’est d’ailleurs la même chose pour Tchernobyl, que vous évoquez : qui sait que les données actuelles de l’OMS indiquent un ordre de grandeur de 4000 victimes à terme, liquidateurs inclus  ? Pour la plupart, il s’agit de la perte de 10 ou 20 ans d’espérance de vie, en raison de cancers précoces. Pour la population locale, le nombre de victimes estimé est inférieur à une centaine. C’est toujours trop bien sûr, mais c’est très loin des estimations fantaisistes (un million de morts !) qui circulent un peu partout...

Bertrand Jordan

Fiction ou réalité ?

J’ai beaucoup apprécié votre article sur « Fiction et réalité » [SPS n°308, p. 91.] Il me semble d’ailleurs que c’est une méditation à laquelle j’adhère complètement. L’humanité est en permanence dans la fiction. Sans fiction, il n’y aurait ni art, ni littérature. Il n’y aurait pas non plus ni rumeurs ni hoax, et personne ne s’inquièterait des OGM, des ondes, de l’électro-sensibilité, et autres sujets incompris ; il y aurait moins de charlatans. La fiction est d’autant plus crédible, donc dangereuse, qu’elle est proche de la réalité du moment. À l’époque des frères Grimm, princesses, princes, paysans, châteaux des contes étaient « comme les vrais », donc crédibles ; pour nous, ils sont anachroniques. Quant aux hoax et craintes « scientifiques » d’aujourd’hui, l’ignorance des citoyens et des relais d’information, la culture urbaine, ainsi que les immenses possibilités des sciences réelles, les rendent crédibles, et la fiction l’emporte sur la réalité. […] Même les « passeurs » d’information s’y laissent prendre : quel médecin, quel pharmacien, pouvait réfléchir sur l’usage détourné du Médiator au vu de sa formule, et éviter un usage conseillé, mais non officialisé ? Face à cette complexité, pour expliquer ses peurs de l’inconnu scientifique, notre civilisation vit sans doute un retour aux « mentalités primitives », où s’imposent mythes et mythologies ; […] de ce point de vue, il n’y a sans doute que peu de différences entre un amérindien isolé au plus profond de la forêt amazonienne et un opposant urbain aux nouvelles technologies. Le goût d’un « naturel » inconnu, que tout le monde a oublié, celui du bio, des « médecines » naturelles, l’envie de la santé et la peur de la mort, procèdent ainsi de cette fiction quasi rousseauiste dont rêvent maintenant les populations urbaines. […] Peut-être aussi, faut-il ne voir là que l’un des signes d’une fin de civilisation arrivée à une apogée, notamment scientifique, trop abstraite pour le public. […] Reste à trouver les solutions pour que la société reprenne pied et des bases solides ; l’empire romain, dans une évolution identique, n’y est pas parvenu. Il nous faut sans doute revenir à des réalités simples et claires, afin qu’il soit aisé pour chacun de distinguer fiction et réalité ; c’est sans doute le défi qui est actuellement lancé aux scientifiques, hors de leurs laboratoires, en commençant par les « transmetteurs d’informations » que sont les médias et les enseignants.

C. Boisseau

Je vous remercie pour ces riches commentaires. Par ailleurs, j’ai reçu, sur ce même article, une précision cruciale de notre ami Jean Brissonnet, dont la lecture attentive n’a d’égale que la culture cinématographique : il rappelle à juste titre que la citation que j’ai mise en exergue (« Lorsque la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ! » au début de l’article est tronquée d’un élément essentiel ! Le début de la phrase, qui lui donne un sens particulier, dit en effet « Nous sommes dans l’Ouest, ici  : quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende. » ; effectivement, cet élément est primordial, et indique que c’est au Far West que l’on prend des libertés pour enjoliver. Le Far West n’a certainement pas cette exclusivité, mais enfin, merci à Jean de cette précision, car cette citation circule très fréquemment sans ce détail, ce qui la dénature, la rendant faussement « universelle »…

1 Notre lecteur fait ici allusion au n°307, avec en une : « Riz doré : et si un OGM aidait à sauver des vies ? », sur fond de charmant bambin asiatique dans une rizière.