Accueil / Dialogue avec nos lecteurs / Courrier des lecteurs : octobre à décembre 2013

Courrier des lecteurs : octobre à décembre 2013

Publié en ligne le 22 octobre 2014 - Rationalisme -
SPS n° 307, janvier 2014

Clés et serrures

[J’ai pu] commencer la lecture du dernier numéro de SPS [le 305], et y retrouver en médecine et pharmacie mes anciennes interrogations naïves sur une vieille connaissance : la molécule... Et espérer des explications futures. Au départ, comment, par quel processus, un médicament agit-il spécifiquement sur un trouble précisément localisé ? Je présume ensuite que l’aspect curatif d’un médicament est attribué aux molécules qui le composent, grâce à une action sur certaines cellules de notre organisme, composées elles-mêmes de molécules ? […]. Dans ces conditions, je m’interroge : « quoi », à quel niveau de taille, dans la molécule, remplit la fonction curative ? Par quelle interaction avec quel niveau de notre propre « matière » ? Tout ceci peut vous paraître naïf, mais s’il existe une réponse, j’aimerais bien la connaître.

À propos de l’acupuncture : le point sur les différentes médecines « non conventionnelles » est tout à fait intéressant. Toutefois, pour l’acupuncture, n’est-il pas « franco-français » ou « occidentalo-occidental » ? C’est une médecine chinoise millénaire qui, d’un point de vue chinois, est tout à fait justifiée ; par ailleurs, le monde scientifique chinois est tout à fait intégré dans les modes de réflexion occidentaux. On peut donc penser qu’un certain nombre d’études ou d’articles critiques chinois sur l’acupuncture ont été écrits par des scientifiques chinois connaissant les deux cultures scientifiques. Il me semble que les synthèses objectives de ces études auraient été bienvenues, et plutôt rationnelles.

C.B.

Aucune question n’est naïve. C’est bien souvent lorsqu’une question paraît toute simple que l’on ne peut y répondre spontanément... Les vôtres vont nous permettre de rappeler que constater la réalité de l’effet d’un médicament ou d’un traitement par des études cliniques contrôlées (celles qui permettent de s’assurer de l’effet spécifique d’un traitement, car on a pu s’affranchir de certains biais, comme l’effet contextuel ou la guérison naturelle) ne nous dit rien, effectivement, sur le moyen d’action de celui-ci. Il existe d’ailleurs des processus thérapeutiques constatés sur lesquels notre connaissance est encore très incomplète.

La matière présente bien des mystères, mais de toute façon, comme vous le pressentez, c’est bien au niveau des molécules que tout se passe. Le principe d’action d’une molécule médicamenteuse est la reconnaissance d’une molécule-cible. Cette reconnaissance, en général, se fait par complémentarité de forme dans l’espace, associée à une compatibilité de charges ioniques et de diverses forces moins puissantes entre les deux molécules. Lorsque le médicament qui diffuse partout dans l’organisme en général se fixe sur sa cible localisée, parfois seulement dans un organe donné, l’association des deux molécules entraîne une modification de l’interaction entre la cible et d’autres molécules cellulaires et modifie donc l’activité de la cellule. Le résultat peut être de stimuler une activité enzymatique, ou au contraire de l’inhiber ; de stimuler ou inhiber la production, la libération, la fixation sur son récepteur ou la destruction d’une hormone ou d’une autre molécule ; de faciliter ou empêcher la production, la libération, la fixation sur son récepteur, la destruction ou la recapture d’un neurotransmetteur, etc.

Dans le médicament, il y a d’ailleurs plusieurs éléments : la molécule active est l’élément qui a un effet thérapeutique. Mais souvent sont ajoutés des excipients, dont le rôle principal est juste de permettre une meilleure absorption par le corps humain. En gros, pour reprendre l’image de la clé, permettre « d’huiler » un peu le médicament pour qu’il puisse s’adapter au mieux à la serrure.

Pour ce qui est de l’acupuncture, notre approche n’est pas « franco-française », car elle s’appuie sur la science qui est universelle. Il n’y a pas de science chinoise ou de science française ! La science est la même partout, et c’est un de nos messages importants. La vérité est la même partout, le corps humain est le même partout, la méthode scientifique est la même partout et la théorie quantique, par exemple, serait fausse si elle ne marchait pas au Japon. Les collaborations internationales sont d’ailleurs désormais la norme.

Les articles scientifiques sur l’acupuncture vont à peu près tous dans le même sens : il y a un consensus sur le fait que l’acupuncture peut avoir un effet analgésique, mais sans que les méridiens aient un sens biologique. D’ailleurs, vous avez raison de dire que le monde scientifique chinois est intégré à la science, non pas occidentale, mais universelle. C’est pourquoi les scientifiques chinois ne prônent plus l’acupuncture depuis longtemps. Et la médecine pratiquée en Chine de nos jours est largement celle pratiquée dans l’ensemble des pays du monde. Par contre, détail amusant : on a pu montrer que l’effet contextuel de l’acupuncture était amélioré si le praticien était d’origine asiatique !

Ph. Le V. et N.G.

Pâques au tison ?

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article sur l’île de Pâques de Cauwe, de Dapper et Coupé. C’est d’une rigueur étonnante et convaincante et je me suis dit après la lecture que je resterais abonné à votre revue.

Le seul point qui reste mal élucidé est celui de la déforestation puisqu’il semble bien que la colonisation n’y soit pour rien ; il m’intéresserait d’avoir des informations complémentaires sur ce point qui n’est pas un détail.

D.L.

Nous avons transmis votre lettre à l’auteur, qui vous répond plus en détail dans l’encadré ci-dessous.

Les causes du déboisement à l’Île de Pâques

Le principe du déboisement de l’île de Pâques est clairement établi, les preuves scientifiques sont là, notamment grâce à l’étude des pollens dans les cratères des anciens volcans. Lors de leur arrivée (autour de l’an Mil), les Polynésiens ont donc découvert une terre entièrement boisée. Toujours sur la base des mêmes études des pollens, mais aussi des charbons de bois, il ne fait plus de doute que le maximum du déboisement fut atteint vers le milieu du XVIIe siècle de notre ère (il y a un peu plus de 300 ans).

Par contre, les causes de ce déboisement engendrent toujours de nombreux débats. Certains en affirment la soudaineté et la relation avec de petites crises climatiques naturelles, liées au phénomène el Niño. Il s’agit, notamment, de mes collègues Catherine et Michel Orliac du CNRS à Paris. Mais d’autres chercheurs estiment que le changement fut graduel, également porté par l’inconscience des insulaires qui exploitèrent les arbres de manière trop prononcée. La thèse est soutenue par un des spécialistes des pollens en Océanie, le Néozélandais John Flenley, aidé par l’archéologue britannique Paul Bahn. Il y a, au minimum, une part de vérité dans cette thèse, car les Rapanui, comme tous les autres Polynésiens, sont des agriculteurs. Or, comme partout ailleurs dans le monde, les agriculteurs ont besoin d’espaces pour leurs champs, mais aussi pour leurs villages. Les habitants de l’île de Pâques n’ont pas fait exception et, au fil des générations, ils ont lentement attaqué la forêt, afin de soutenir leur système économique et leur développement démographique. Ont-ils été, pour autant, les responsables de l’entièreté du déboisement ? La question est légitime car, dans les autres îles du Pacifique, également occupées par des Polynésiens qui avaient les mêmes bases économiques, rien de semblable ne s’est produit. Ici interviennent sans doute plusieurs phénomènes ou caractéristiques propres à Rapa Nui. Le relief de cette île, bien que prononcé, est nettement plus doux que celui des autres îles du Pacifique. Les volcans y sont plus usés et la totalité du territoire est colonisable par l’agriculture. Par ailleurs, Rapa Nui est très isolée géographiquement et le transport naturel de pollens par les courants aériens est plus ténu qu’ailleurs ; le renouvellement naturel de la forêt y est donc plus lent. Enfin, le comte de Lapérouse avait déjà mis le doigt, à la fin du XVIIIe siècle, sur un problème récurrent dans les îles : là, une forêt fragilisée par des déboisements nécessaires à l’implantation humaine s’autodétruit plus facilement sous l’impact de l’air chargé en salinité ; seule une forêt assez dense est armée pour résister à ce phénomène.

Au total, l’île de Pâques a accumulé plusieurs processus qui furent fatals à son domaine boisé : activités humaines (ni meilleures, ni pires qu’ailleurs), relief trop doux, salinité de l’air, isolat géographique et impact des oscillations climatiques liées à el Niño. L’humanité autant que la nature sont donc responsables du déboisement, sans qu’on puisse, dans le détail, reconstituer la part exacte de chacun. Mais le point de départ est bien l’installation humaine et la légitime nécessité de dégager des terres pour l’agriculture. La suite du processus est sans doute tributaire autant des hommes que de la nature. Le mouvement fut donc lent et graduel (thèse de Flenley et Bahn), mais marqué par des accélérations dues aux variations climatiques (thèse des Orliac). En ce sens, les hommes n’auraient donc pas entièrement déboisé leur île (ils avaient aussi besoin des arbres pour fabriquer maisons et bateaux, en récolter les fruits ou pour obtenir le bois nécessaire au transport de leur statues), mais leurs activités ont peut-être, sans le vouloir, permis un plus grand impact de phénomènes naturels néfastes aux arbres. Les thèses extrémistes (« tout est méfait des Polynésiens » ou « tout est la faute de la nature ») sont rarement convaincantes. La réalité est toujours complexe, surtout quand elle s’inscrit dans la durée (6 à 7 siècles d’occupations humaines avant le point culminant de la déforestation !)

Nicolas Cauwe

Pâques au balcon !

Je suis abonné depuis quelques années et je lis toujours avec plaisir et intérêt SPS : vous faites un excellent et indispensable travail […]

[Le traitement d’un sujet intéressant m’a toutefois gêné] dans le numéro « Île de Pâques, suicide écologique » : j’ai eu l’impression que vous faisiez fausse route par rapport au rôle de votre revue. J’y ai compris qu’une équipe au travail depuis une douzaine d’années remet en cause la version jusque-là acceptée de l’effondrement, avec des arguments nouveaux et apparemment solides, et en accord avec des observations plus anciennes. Mais il me semble que l’on est là en plein dans le débat scientifique, et non pas dans la réfutation de croyances obstinées et irrationnelles en contradiction avec les résultats établis de la science. La publication de cet article dans votre revue tend à mettre sur le même plan ces deux niveaux de confrontation, et verse de l’eau au moulin des « relativistes » (aucune vérité n’est certaine, donc toutes les opinions se valent) qui sont les fourriers des « négationnistes » qui nient que la science soit une meilleure source de connaissance que la révélation.

J.V.

P.S : j’ai cherché, en vain, une adresse électronique où vous écrire. Je me suis finalement résolu à utiliser du papier et un timbre, merveilleusement suranné !

Pour l’Île de Pâques, vous avez en partie raison : un de nos cœurs de cible, c’est bien de réfuter les « croyances obstinées et irrationnelles en contradiction avec les résultats établis de la science ». Et nous sommes ici, c’est vrai, devant de la science « en train de se faire ». Toutefois, une partie de ce qui était perçu comme « connaissance établie » était plus une vision « grand public » qu’une certitude scientifique consensuelle.

Et n’oublions pas également un autre aspect de notre travail qui s’attache aux questions relatives à l’interface science/société. Nous estimons avoir un rôle à jouer dans la mesure où le débat médiatique est souvent pollué par des arguments ou des éléments idéologiques qui exagèrent, ou même parfois déforment ou nient la réalité. Pour prendre quelques exemples récents, le gaz de schiste, le nucléaire ou l’alimentation ne sont pas des domaines pseudo-scientifiques, mais nous les abordons pour tenter d’apporter au débat un regard dépassionné, débarrassé de l’idéologie ou d’un surplus d’émotion, souvent mauvaise conseillère.

Dans le cas de l’Île de Pâques, cela rejoint aussi notre dénonciation de « l’archéologie romantique » (SPS n° 294 de janvier 2011) et du grand nombre d’ouvrages à succès qui surfent sur certaines croyances (pour le coup, carrément irrationnelles, bien souvent, comme le triangle des Bermudes, ou des civilisations extraterrestres). Nous voyons bien que les thèses alarmistes, qui prétendent à un « suicide écologique » ou à une « punition de la nature » sur les folles et inconsidérées activités humaines, rencontrent immédiatement un succès immérité au regard de leur peu de sérieux scientifique.

Enfin, rappelons, à toutes fins utiles, (et nous veillerons dorénavant à l’indiquer en bonne place) l’adresse destinée aux messages de nos lecteurs : lecteurs@pseudo-sciences.org. Le papier est-il suranné, je ne sais pas… (j’espère que non !). Mais le traitement des messages informatiques est bien plus commode pour nous !

M.B.

Effet cocktail

Je suis un lecteur assidu de votre revue depuis maintenant quelques années, et c’est avec plaisir que j’ai découvert hier votre dernier numéro consacré à la santé et l’environnement, vrais risques ou fausses peurs. J’ai lu avec intérêt le petit encadré consacré à « l’effet cocktail » des substances chimiques, et j’ai été déçu de ne rien lire sur ces deux études publiées par l’INRA qui semblent mettre en évidence un tel effet 1.

Pourriez-vous éclairer ma lanterne d’ex-scientifique ? […]

Pierre Duvic (Rambaud - 05)

Les deux articles auxquels vous faites référence, qui correspondent à des travaux entrepris par l’équipe de l’INRA et de l’Université de Toulouse, sont des recherches réalisées in vitro, sur des modèles cellulaires, dont certaines cellules d’origine cancéreuse. Il convient de rester très prudent quant aux conclusions que l’on peut tirer de tels travaux, ce qui est le cas des auteurs de ces articles, qui soulignent bien qu’il convient de confirmer leurs résultats in vivo avant d’en tirer des enseignements incontestables. Il me semble que les communiqués de l’INRA manquent de nuances et de la nécessaire réserve en la matière. En effet, les modèles in vitro, et ceux des chercheurs de l’INRA sont très améliorés par rapport à ce que l’on trouve souvent dans la littérature, ne reflètent que partiellement la réalité d’un organisme qui dispose à la fois d’une panoplie d’activités de métabolisme et de mécanismes de défense dont ne dispose pas un modèle cellulaire, quelles que soient les précautions prises. En particulier, il faudrait disposer de données quantitatives en ce qui concerne la quantité de composé ou de son (ou ses) métabolite( s) qui attei(gne)nt la cible (donc l’organe auquel on s’intéresse), quantité qui n’a rien à voir avec ce que l’on utilise in vitro lorsque l’on tente de reproduire un mélange de résidus présents dans les aliments. Les conclusions de l’article publié dans “Environmental and Molecular Mutagenesis” sont éclairantes à cet égard (je traduis) : « Comparé à l’exposition humaine au fludioxonil et au cyprodinil estimée dans la population française, nous estimons que pour le fludioxonil, la dose effectivement génotoxique in vitro est 4.000 fois plus élevée que la dose théorique interne dans la population générale. Pour le cyprodinil, le même calcul indique que la dose génotoxique est 56 fois plus élevée que la dose théorique interne ». Les auteurs utilisent pour faire ces évaluations, une méthode tout à fait innovante, baptisée «  in vitro-to-in vivo extrapolation ».

L’équipe de chercheurs auteurs des publications citées font considérablement progresser la méthodologie de recherche in vitro, mais je préfère me baser sur des travaux in vivo, comme ceux qu’ils développent en parallèle. Je vous communique une référence récente d’un tel travail 2. Mon conseil : attention à ne pas tirer de conclusions hâtives de travaux réalisés in vitro, quelle que soit leur qualité et, pour le moment, s’en tenir aux résultats des études in vivo chez l’animal. Il reste à extrapoler de l’animal à l’homme et c’est déjà assez difficile !

Gérard Pascal

Placebo ? Et alors ?

Je renouvelle mon abonnement bien que je sois agacée par votre acharnement contre l’homéopathie. Aucune preuve de son efficacité ; je suis d’accord. Mais beaucoup de patients y trouvent soulagement, alors !!? Les cabinets médicaux sont encombrés de « malades » pour troubles fonctionnels, paraît-il. Si « rien », enfin un placebo, les soulage… pas d’effets secondaires, pas de dégâts organiques, à craindre seulement les foudres de l’industrie pharmaceutique ??... Et puis, est-on certain ad vitam aeternam de cette inefficacité ??... L’infiniment petit n’a peut-être pas dit son dernier mot ?? Je suis bien de votre avis concernant les pseudo-sciences et j’approuve complètement votre vigilance sur le sujet.

Bien cordialement et… merci à l’AFIS.

C.P.

Commençons par la fin : en fait, si, l’infiniment petit a « dit son dernier mot ». C’est même une des raisons pour lesquelles nous parlons de l’homéopathie : nous ne sommes pas dans de la nouvelle science encore balbutiante, qui pourrait déboucher sur des découvertes inattendues. C’est un cas d’école où la « messe est dite » et où les preuves de l’absence d’effet spécifique sont patentes. Bien entendu, la science ne peut jamais dire « jamais » (et ses détracteurs ne se privent pas d’exploiter sa prudence méthodologique). Mais pour que l’homéopathie trouve une base scientifique, il faudrait admettre qu’une brique clé de toute notre physique et notre chimie, qui s’est construite dessus et a fait ses preuves depuis trois siècles, qui est à la base de toutes nos applications... est caduque. Il s’agit de la théorie atomique. Qu’il peut y avoir un effet sans matière atomique. Toujours est-il que l’homéopathie est sans doute le domaine à prétentions scientifiques où les études sont les plus nombreuses, et elles concordent : l’homéopathie est un placebo « parfait ».

– Des gélules fabuleuses ! Quand je regarde la boîte, j’arrête de tousser !

Par contre, la question d’accepter ou non le « bien » que peut faire un placebo est un tout autre problème, bien délicat ! Disons que trois questions sont soulevées. (1) L’aspect éthique : la tromperie est condamnable. Le patient n’aurait-il pas droit à une explication réelle, faut-il nécessairement lui faire croire en des théories magiques, et des effets prétendus avérés ? Ou à de fausses preuves, comme les témoignages ? Il existe quantité de placebos qui ne font pas appel à des pratiques magiques (le premier d’entre eux est la relation de confiance patient-médecin). (2) le retard de « vrais soins » qui est sans doute le principal problème. Ce ne sont pas les « foudres de l’industrie pharmaceutique » qui sont à craindre, évidemment, mais de ne rien entreprendre d’efficace lorsque c’est possible. (3) et enfin, à l’inverse, je souligne ce que nous disons souvent : nous ne parlons ici que de science, de validation etc., mais ne condamnons jamais l’utilisation individuelle de telle ou telle pratique. Si quelqu’un dit « moi, je m’en fiche de savoir comment, ça me fait du bien », avouons qu’on ne voit pas ce que l’on pourrait y trouver à redire…

Par contre, et là, notre message est important, nous demandons que la santé publique ne soit basée que sur des approches ayant fait leurs preuves. Sur le plan individuel, chacun fait comme il l’entend, mais l’homéopathie ne devrait pas avoir sa place dans le système de soins (remboursements, hôpitaux, etc.). Après tout, la prière, « ça marche » (pas mieux qu’un placebo…), mais même si chacun croit ce qu’il veut, la religion ne peut être instaurée comme thérapie reconnue et remboursée.

M.B. et J.-P.K.

Tabac :c’est encore pire…

Dans l’article intitulé « Fumer : un choix vraiment libre ? » (SPS n°306, pp. 39-40), il est dit que « maintenir simplement le nombre de ses clients impose à l’industrie de gagner chaque année 70 000 nouveaux fumeurs... pour remplacer les disparus ». Il y a là une inexactitude qu’il convient de corriger.

En fait, cette remarque confond deux choses : maintenir le nombre de fumeurs (les clients de l’industrie) à un niveau constant et remplacer les fumeurs actifs qui décèdent à cause du tabac (environ 70 000). La deuxième catégorie n’est pas égale à la première mais en constitue un sous-ensemble minoritaire. Selon l’OMS (encadré en bas de la page 40), « le tabac tue la moitié de ceux qui en consomment » – ce qui veut dire que chaque année, l’industrie perd autant de clients qui meurent d’une cause non attribuable à leur tabagisme (dans l’état actuel des connaissances) : grosso modo, l’industrie du tabac perd chaque année 70 000 fumeurs qui sont tués par ses produits et 70 000 autres fumeurs qui meurent pour d’autres raisons, soit en tout 140 000 clients. Et on n’est pas au bout du compte. Ces clients sont ceux qu’elle perd parce qu’ils décèdent. L’industrie perd aussi chaque année ses clients qui décident d’arrêter de fumer – la courbe de prévalence du tabagisme atteint son maximum aux environs de 25 ans et ne cesse ensuite de diminuer avec l’âge. On estime que, grosso modo, 50 % des fumeurs réussissent à arrêter définitivement de fumer à un moment où un autre de leur vie. Les 140 000 personnes qui atteignent la fin de leur vie tout en restant fumeurs jusqu’au bout ne représentent donc que la moitié de la clientèle perdue par l’industrie du tabac, l’autre moitié étant constituée des 140 000 fumeurs (estimation à la louche) qui arrêtent de fumer chaque année.

C’est donc en tout environ 280 000 clients que l’industrie du tabac doit gagner chaque année, simplement pour maintenir son marché à un niveau constant.

On peut estimer que près de 80 % des fumeurs commencent à fumer avant 18 ans – cette classe d’âge constitue la cible idéale pour l’industrie du tabac, qui connaît bien l’importance pour elle de l’initiation au tabagisme à l’adolescence. Elle sait que la marque de cigarettes s’inscrit virtuellement dans l’ADN du jeune, tant elle occupe une place cruciale dans l’identité d’adulte que l’adolescent se construit à cette époque charnière de sa vie – une grande partie du marketing des cigarettiers est fondée sur l’exploitation de ce phénomène.

C’est donc plus de 200 000 adolescents que l’industrie a besoin de piéger chaque année en France, simplement pour maintenir son triste business. Une analyse basée sur l’estimation de la prévalence du tabagisme dans les classes d’âge 10-17 ans arrive – par une voie différente – à un résultat tout à fait similaire.

Pascal D.

Merci de ces précisions tout à fait intéressantes ! Votre triste calcul est édifiant…

Convention mondiale de lutte contre le tabac

Je me permets de vous écrire au sujet de l’article de Monsieur le Professeur Gilbert Lagrue dans le numéro 306 de la revue Science et pseudo-sciences concernant « Le tabac : un risque majeur de santé publique ».

En tant que Président du Comité National Contre le Tabagisme et Président d’honneur de l’Alliance Contre le Tabac, je suis toujours très heureux quand votre revue aborde ce scandale sanitaire [...]. Je me permets toutefois, d’insister sur une dimension majeure, qui n’apparaît pas clairement dans ce document : la France, comme la très grande majorité des pays et l’Union Européenne, a signé et ratifié la Convention Cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la Lutte Anti-Tabac (CCLAT), premier traité international de santé publique et d’ailleurs seul traité de santé publique à ce jour. Ce traité développe de façon structurée les mesures à prendre concernant l’offre, la demande et la réduction des risques pour amener une réduction rapide et efficace de la mortalité précoce liée au tabagisme.

L’ensemble de ces mesures repose sur des preuves publiées dans la littérature internationale scientifique, essentiellement médicale, et les pays qui ont mis en oeuvre cette CCLAT ont vu le pourcentage de leurs fumeurs baisser de façon drastique et rapide ; actuellement en Grande-Bretagne, environ 20 % des adultes sont fumeurs, alors qu’ils sont encore plus de 30 % en France, mais déjà moins de 20 % en Australie, au Canada et 13 % en Californie. En vous félicitant encore pour la qualité de votre revue […],

Professeur Yves Martinet

Alibi…

Je suis abonné à votre revue Science et pseudo-sciences. Comme c’est une des meilleures revues que j’aie jamais lue, c’est toujours avec impatience que j’attends le numéro suivant... La qualité des articles est exceptionnelle. Soyez-en remerciés. Le dernier numéro que j’ai reçu est le 305 de juillet. Auriez-vous l’amabilité de vérifier mon abonnement. Je veux à tout prix éviter que cet abonnement soit périmé avant de payer pour l’année suivante, et je ne me souviens plus à quelle période de l’année je le renouvelais précédemment.

Roger Grandjean (Luxembourg)

Merci de votre message si encourageant ! Je me permets de l’utiliser pour une précision : depuis quelques temps, nos abonnements ne sont plus « annuels », mais pour cinq numéros. Lorsque nous publions dans la même année un hors-série, il est inclus dans l’abonnement, et ce numéro supplémentaire permet de « coller », avec quatre trimestriels, pour couvrir une année. Mais notre rythme actuel n’est pas de produire un hors-série par an… Dans ces cas-là, un cinquième numéro « normal » est inclus naturellement dans votre abonnement. Par ailleurs, si par hasard, vous souscrivez pour un an (ou deux ans) alors que votre abonnement est encore actif, la durée souscrite s’ajoute à celle déjà en cours. Rien n’est perdu, avec des gestionnaires rationnels !

M.B.

L’efficacité de notre action (suite du débat)

Bonjour, je me permets de vous écrire pour ajouter mon grain de sel à la tribune d’Hervé This 3. J’ai découvert simultanément l’AFIS et la revue SPS il y a deux ans. Depuis, je dévore chaque article – ou presque – de la revue. Car j’ai trouvé là réponses à nombre de questions qui me tarabustaient depuis un certain temps, à savoir pourquoi dans un siècle où notre vie quotidienne est dominée par la science et les technologies qui en découlent, le « grand public » se méfie d’elles et préfère croire à des absurdités ?

Étant astronome, je me suis intéressé aux croyances liées à la Lune, pour essayer de les démonter dans un article sur mon blog qui rencontre un certain succès [voir l’encadré, reproduit par nos soins – NDLR].

La Lune et les femmes

http://snovae.free.fr/ Le blog de Guillaume Blanc (Les tribulations d’un astronome)

Certains voient une influence de la Lune sur la vie de l’homme simplement parce que la période de gestation humaine est d’environ neuf mois, ce qui correspond à environ neuf lunaisons : normal, car notre calendrier moderne dérive d’un ancien calendrier basé sur les phases de la Lune (notre satellite se retrouve dans la même phase tous les 29.53 jours, c’est la période de révolution synodique de la Lune). La Lune n’a donc rien à voir avec la période de gestation de la femme, elle n’est qu’à l’origine d’une unité de mesure du temps... Même chose pour ceux qui prétendent voir une origine lunaire dans le cycle menstruel de la femme, qui est en moyenne de 28 jours, que l’on s’empresse d’associer aux 29.53 jours que dure une lunaison. Sauf que le cycle de la femme peut varier de 24 à 35 jours, et que 28 ce n’est pas 29.53.

René Siffointe, dans un article dans la revue L’Astronomie (vol. 112, nov-déc 1998) rajoute : « Associer les femmes à des sacs de ciment (en moyenne, la masse d’une femme est proche de celle d’un sac de ciment de 50 kg) est aussi sage qu’associer son cycle menstruel à celui de la Lune, uniquement sur une coïncidence approximative des durées. » Mais il est vrai que nombre de coïncidences numérologiques sont à l’origine de nombre de croyances toutes plus infondées les unes que les autres.

Quant à la croyance fréquemment rencontrée que le nombre de naissances serait plus important au moment de la pleine Lune, il est aisé de lui tordre le cou : il suffit de regarder s’il existe une correspondance entre les deux. Ce qu’ont fait nombre d’auteurs, en particulier des américains qui ont utilisé une base de 50 millions de naissances 4. Résultat, pas de corrélation statistiquement significative...

Je m’aperçois que, souvent, il suffit d’évoquer quelques arguments « scientifiques » rationnels pour dissoudre de telles croyances. SPS a l’avantage de me fournir de tels arguments dans les nombreux domaines où je ne suis pas scientifiquement compétent.

Ainsi, pour revenir sur le dossier 9/11, cité par Hervé This, si, tout comme lui, intuitivement, je rejetais la théorie du complot, lire le dossier que vous avez consacré au sujet m’a fait comprendre les arguments du rapport officiel, me donnant ainsi les outils pour discuter – et tenter ainsi de convaincre – le citoyen lambda de mon entourage qui serait tombé sur les théories complotistes en regardant la télé, par exemple. Autre exemple, les ondes électromagnétiques [de la téléphonie mobile]. En tant que physicien, j’étais évidemment convaincu de leur innocuité pour la santé (même si parfois les médias arrivent quand même à insinuer un petit doute), mais les arguments que j’ai pu trouver dans vos lignes ont conforté mes idées en la matière, que je m’efforce de répandre au mieux autour de moi et dans la presse en ligne qui fait la part belle à l’électro-sensibilité.

Bref, les articles que je trouve dans SPS me permettent de raffermir des positions floues, de me faire une opinion sur certains sujets sur lesquels je ne savais que penser (la psychanalyse par exemple). Évidemment, il y a des sujets sur lesquels j’ai un avis moins tranché que le vôtre, OGM, gaz de schiste, nucléaire, même si je partage votre opinion sur le fait que la recherche doit être autorisée sur ces sujets (OGM, gaz de schiste...), l’interdire sur des bases idéologiques est fortement dommageable.

C’est ainsi, en assistant au débat « Démocratie, science et crédulité », que je me suis rendu compte du frein économique pour l’innovation en France que de telles interdictions infondées engendraient. D’ailleurs, j’ai lu le livre de Gérald Bronner dans la foulée, La démocratie des crédules, où j’ai trouvé les réponses à ma question sur la recrudescence des croyances et des pseudo-sciences au 21e siècle : on devrait ainsi éduquer les gens à utiliser Internet, outil génial mais avec des côtés pervers...

SPS me permet également de m’interroger : par exemple au sujet de l’alimentation. Le bruit court que le « bio » est la panacée, que le « tout bio » résoudrait tous les problèmes. J’avais déjà quelques doutes sur cette dernière assertion, mais j’avoue que je ne pensais pas que les produits bio n’étaient pas « meilleurs », au sens de meilleurs pour la santé, que les aliments issus de l’agriculture conventionnelle. Un article dans SPS qui donne quelques clefs, je reste sur la défensive, néanmoins, mais avec l’envie de creuser un peu sur le sujet. Là, je termine la lecture de « Le tout bio est-il possible ? » coordonné par Bernard le Buanec, qui achève de me convaincre.

Bref, je trouve que SPS fournit bon nombre de pistes pour comprendre les rapports entre la science, la technologie et la société, et éduquer ses lecteurs là-dessus. À ce titre, elle n’est pas, de ce que j’ai pu en lire jusque-là, à mon sens, une revue de vulgarisation à proprement parler, et de ce fait ne vient pas faire concurrence à Pour la Science ou La Recherche pour ne citer qu’elles. Disons qu’elle leur est complémentaire. Maintenant, il est évident, à mon sens, que pour lire cette revue sans être scientifique, il faut quand même une bonne dose d’ouverture d’esprit. Peut-être même en l’étant, d’ailleurs. Tant il m’apparaît que nombre de sujets à l’interface entre science ou technologie et société vont à l’encontre des « bruits de couloir » erronés et colportés, entre autres, par les médias.

Après, il est clair que cette « utilité » de l’AFIS et SPS m’est toute personnelle et ne me sert qu’à argumenter dans mon cercle restreint de connaissances. Parfois sans succès, d’ailleurs. D’où la question de la méthode que pose Hervé This. Ou des méthodes. Après tout, certains lecteurs et contributeurs doivent bien avoir leur « méthode » pour convaincre. Ce n’est pas toujours facile de trouver les bons arguments au bon moment. Ceci étant, je ne suis même pas persuadé qu’une telle méthode existe, à part celle de maîtriser l’art de la rhétorique. Les charlatans de tout poil semblent avoir un avantage sur ce point !

Bien cordialement,

Guillaume Blanc, astrophysicien

Merci beaucoup de votre participation à ce dialogue, qui se poursuit épisodiquement, mais sûrement, si j’ose dire. Sur l’art de la rhétorique, je ne résiste pas à vous livrer une citation de Platon, utilisée sur certains sites sceptiques : « Suppose qu’un orateur et qu’un médecin se rendent dans la cité que tu voudras, et qu’il faille organiser, à l’assemblée (…), une confrontation entre le médecin et l’orateur pour savoir lequel des deux on doit choisir comme médecin. Eh bien j’affirme que le médecin aurait l’air de n’être rien du tout, et que l’homme qui sait parler serait choisi s’il le voulait. (…) Car il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste. Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique ! »

Espérons tout de même que la vérité a aussi des atouts propres, qui peuvent s’imposer sans effets de manche…

M.B.

2 Demur C. ; Métais B. ; Canlet C. et al., Dietary exposure to a low dose of pesticides alone or as a mixture : the biological metabolic fingerprint and impact on hamatopoiesis, Toxicology ; 2013, 308, 74-87