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Dangers de la 5G : la pseudo-science… en haut débit

Publié en ligne le 15 avril 2020 - Ondes électromagnétiques -

Les ondes électromagnétiques cristallisent les angoisses d’un nombre croissant de nos concitoyens, depuis plusieurs années maintenant. Du four à micro-ondes au compteur Linky en passant par les ampoules fluocompactes, de nombreuses technologies ont été suspectées de produire des « ondes toxiques ou cancérigènes ». Des craintes entourent aussi la téléphonie mobile, désormais omniprésente dans nos vies. Et l’arrivée de la norme 5G ne fait qu’attiser ces peurs qui, dans leur sillon, traînent leur lot de désinformation scientifique, en particulier sur le web. Analyse d’une tempête… dans un verre d’eau.

Une technologie (presque) nouvelle

Une onde électromagnétique est la propagation d’une variation couplée d’un champ électrique et d’un champ magnétique. Elle est caractérisée en premier lieu par sa fréquence, qui détermine l’énergie transportée et, par voie de conséquence, la nature de ses interactions avec la matière, notamment organique. Les ondes électromagnétiques sont distribuées le long d’un large spectre de fréquence : depuis les fréquences très basses, produites par les variations de la tension sinusoïdale du secteur électrique, jusqu’aux rayons extrêmement énergétiques, tels les rayons X ou gamma, en passant par les rayonnements radiofréquences (RF) des téléphones mobiles et la lumière, laquelle constitue la fraction des rayonnements électromagnétiques visible par l’être humain. Les ondes de télécommunication mobile se situent dans une gamme de fréquences pour laquelle l’énergie transportée n’est pas suffisante pour engendrer des processus ionisants comme peuvent le faire les ultraviolets lointains. Elle est cependant suffisante, dans certaines conditions, pour provoquer des échauffements des tissus biologiques par agitation des molécules d’eau qui les composent (c’est le principe du four à micro-ondes).

Des normes, fondées sur les travaux de la Commission internationale de protection face aux rayonnements non-ionisants (ICNIRP), ont été définies pour limiter les intensités de rayonnements électromagnétiques artificiels afin que ces effets ne puissent jamais se produire dans le cadre de la vie courante. Ces normes permettent de maintenir un niveau d’exposition au sol relativement faible, de l’ordre de quelques V/m 1, alors que les seuls effets avérés apparaissent à des niveaux de plusieurs dizaines de V/m. Jusqu’à présent, la télécommunication mobile utilisait des fréquences comprises entre 0,8 et 2,1 GHz, mais pour augmenter les débits d’informations et permettre de nouvelles applications, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a autorisé le déploiement en France – à titre expérimental – de la technologie 5G, qui exploite des fréquences comprises entre 3,4 et 3,8 GHz et autour de 26 GHz [1]. Ces ondes, déjà mises à profit dans les liaisons satellitaires par exemple, ne diffèrent pas fondamentalement des ondes de télécommunication des générations précédentes (4G, 3G…), à ceci près que l’augmentation de fréquence les rend plus sensibles aux obstacles, ce qui en réduit la portée et rend nécessaire la densification du réseau d’antennes. Autre propriété, la profondeur de pénétration dans le corps humain est moins importante, ce qui, normalement, devrait être de nature à rassurer les personnes inquiètes d’être « traversées » par les ondes…

Un futur Armageddon ?

© Fotorince | Dreamstime.com

Pourtant, il y aurait péril en la demeure. On ne compte plus les sites web ou articles de presse en ligne annonçant le fléau. Le mot-clef « danger 5G » fait ressortir, sur Google, à la date de rédaction de cette chronique, environ 10 400 000 pages. D’après le site alterinfo.net, le déploiement de la 5G augmentera considérablement l’exposition à des ondes qui seraient capables de  « faire exploser nos récepteurs de la douleur sous la peau » et de provoquer  « des ravages sur nos champs d’énergie » [2]. Certains dénoncent ainsi une situation dans laquelle nous serions  « des rats de laboratoires » [3]. Preuves de la dangerosité des ondes 5G, les dégâts faits à la faune et à la flore. À La Haye, en 2018, tels des canaris à l’approche du grisou, de très nombreux oiseaux seraient morts dans le parc Huygens alors qu’à proximité, une antenne 5G était – nous dit-on – à l’essai. Pour beaucoup, il ne fait nul doute que la responsabilité des ondes est engagée. On peut ainsi lire sur le site Réseau international [4] qu’ « aucun signe de virus, aucune infection bactérienne, aucun poison » n’ayant été trouvé sur les pauvres étourneaux,  « la seule explication raisonnable est que cela vient des effets des nouvelles micro-ondes 5G sur le cœur des oiseaux ! » Il paraît même que les canards  « plongeaient tous ensemble la tête sous l’eau pour échapper à la radiation ». Certains sites alertent également sur la nocivité des rayonnements 5G sur les insectes, alors que  « ce phénomène n’avait pas été observé avec la 4G ou le Wifi » [5]. À n’en point douter, nous assène-t-on, les plantes souffriront également : ainsi,  « l’eau qui tombe sur ces plantes sera également irradiée » et les effets des ondes  « pourraient nous laisser des aliments qui ne sont pas sûrs à consommer » [6]

Bref, nous nous dirigerions tout droit vers une apocalypse pour la biosphère et un purgatoire pour l’humanité. Plusieurs ONG, dans un appel lancé en octobre 2019, ont donc réclamé un moratoire sur le déploiement de la 5G, estimant que  « personne, aucun animal, aucun oiseau, aucun insecte et aucune plante sur Terre ne sera en mesure d’éviter l’exposition 24 heures sur 24, 365 jours par an à des niveaux de rayonnement RF des dizaines à des centaines de fois plus grands que ce qui existe aujourd’hui » et que par conséquent la 5G va faire  « basculer la planète et la société dans un monde aux conséquences hors de contrôle » [7]. À l’appui de ces prophéties eschatologiques, ces ONG, soutenues par des scientifiques s’exprimant parfois très en dehors de leur domaine de compétence, affirment que  « plus de 10 000 études scientifiques publiées dans les plus grandes revues montrent que [les ondes] portent gravement atteinte à la santé humaine et à l’écosystème en général ». Et comme de bien entendu, les fossoyeurs tout trouvés de la planète sont les industriels qui  « ont convaincu les organismes gouvernementaux [qu’il n’y avait aucun danger] en leur fournissant des fausses informations » [8].

Un scénario épouvantable digne d’un film catastrophe… Ou plutôt d’une très mauvaise série Z. Car, piètres effets spéciaux, les arguments pseudo-scientifiques des militants « anti-5G » cachent mal une vérité moins spectaculaire. Les oiseaux du parc Huygens, près duquel, d’après la mairie, aucun test 5G n’était d’ailleurs en cours, avaient en réalité consommé des baies toxiques 2 [9]. Concernant les insectes, une étude a bien formulé l’hypothèse, sur la base de modèles numériques, qu’ils pouvaient absorber plus facilement le rayonnement 5G que les rayonnements de fréquence plus basse, pour des questions d’échelle [10]. Mais aucune observation in situ ne confirme aujourd’hui les résultats de ces modélisations. L’idée qu’arroser les plantes avec une eau « irradiée » par des ondes RF serait dangereux pour la santé relève au mieux d’une profonde ignorance des bases de la physique ou de la biologie, et, au pire, d’une volonté mal dissimulée d’exploiter la peur suscitée par la notion d’irradiation que le commun des mortels associe inexorablement aux dangers de la radioactivité et des rayonnements ionisants. Quant à l’évocation d’un risque d’augmentation dramatique des niveaux d’exposition, elle ne repose sur aucune réalité physique : les niveaux d’exposition, exprimés en termes de champ électrique, resteront 3 du même ordre de grandeur qu’aujourd’hui, c’est-à-dire bien en deçà des limites normatives.

Mais au-delà de cette tornade de fausses nouvelles et autres théories du complot, il y a ces innombrables études scientifiques appelées à la rescousse pour justifier l’opposition aux ondes en général et au déploiement de la 5G en particulier. Sur ce point, il faut dire que les études dédiées aux effets biologiques et sanitaires des ondes électromagnétiques ne sont pas toutes de qualité égale du point de vue méthodologique. Beaucoup d’études qui suggèrent un effet des ondes à faible dose, en particulier les études cas-témoins, souffrent de biais méthodologiques ou de faiblesses statistiques, voire des deux, qui souvent ne permettent pas la réplication des résultats. Ajoutons à cela l’absence de mécanisme scientifiquement et précisément décrit, l’absence de tableau clinique d’une quelconque maladie des ondes et le fait que les résultats des études les plus alarmistes sont loin de démontrer de graves effets pour la santé, et l’on comprend que les déclarations faites dans l’appel des ONG sont péremptoires. Comme nous le répétons souvent dans les colonnes de Science et pseudo-sciences, il est nécessaire de s’appuyer sur des méta-analyses qui évaluent la qualité des preuves, et non sur des études prises isolément pour déterminer la réalité ou non d’un phénomène, car 10 000 mauvaises études ne feront jamais une vérité scientifique... Aujourd’hui, les résultats des méta-analyses (par exemple [11]) ne plaident pas en faveur d’une dangerosité des ondes en dessous des valeurs normatives.

Une épidémie… de croyance

© Sarayut Thaneerat | Dreamstime.com

Cette histoire cataclysmique montre à nouveau que les pseudo-sciences s’infiltrent partout, en particulier pour dénoncer, en faisant feu de tout bois, les technologies émergentes. Certains de nos concitoyens, abusés par des discours alarmistes véhiculés par des associations « anti-ondes » et les médias de masse, sont ainsi sincèrement convaincus du profond méfait des ondes électromagnétiques de la téléphonie sur la santé. Ces convictions relèvent en grande partie de la croyance et l’on peut penser que la montée de la défiance repose sur les mécanismes ancestraux d’affirmation, de répétition et de contagion tels que ceux décrits par Gustave Le Bon (1841-1931). Je conclurai donc avec un extrait de sa Psychologie des foules [12], datant de la fin du XIXe siècle, mais qui sonne étonnamment juste à l’époque des réseaux sociaux et de la désinformation :  « L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, est un des plus sûrs moyens de faire pénétrer une idée dans l’esprits des foules. […] Lorsqu’une affirmation a été suffisamment répétée, et qu’il y a unanimité dans la répétition […] il se forme ce que l’on appelle un courant d’opinion et le puissant mécanisme de la contagion intervient. […] C’est surtout par le mécanisme de la contagion, jamais celui du raisonnement, que se propagent les opinions et croyances des foules. »

1 Le V/m (volt par mètre) est l’unité de mesure du champ électrique, utilisé comme grandeur de référence pour vérifier l’innocuité de l’exposition aux ondes électromagnétiques sur la gamme de fréquence de 1 Hz à 300 GHz.

2 Quant aux canards du parc, ils appartenaient peut-être tout simplement à l’une des nombreuses espèces de canards… plongeurs.

3 Les champs électriques s’additionnent en effet de manière vectorielle. Typiquement, lorsque deux champs électriques de même amplitude se superposent, l’amplitude du champ résultant est supérieure à l’amplitude des champs qui le composent d’un facteur égal à la racine carrée de 2 ( 1,4). Lorsque trois champs de même amplitude se superposent, l’amplitude du champ résultant est augmentée d’un facteur égal à la racine carrée de 3 ( 1,7). On est loin du facteur 10 ou 100 proclamé par les opposants à la 5G.

Publié dans le n° 331 de la revue


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L' auteur

Sébastien Point

Docteur en physique, ingénieur en optique et licencié en psychologie clinique et psychopathologie. Responsable de (...)

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