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De Tchernobyl à Fukushima, les risques de la radioactivité

Publié en ligne le 12 février 2012 - Nucléaire -

Rien de plus naturel que la radioactivité. C’est d’un bain de radioactivité que sont nées les premières cellules vivantes. Notre planète lui doit sa chaleur, source de vie, et chaque seconde, huit mille atomes de potassium-40 et de carbone-14 se désintègrent dans notre corps. Ses applications médicales et industrielles ont largement amélioré nos conditions de vie, mais nous avons appris que la radioactivité, mal maîtrisée ou utilisée à des fins non pacifiques, peut nuire gravement à la santé de l’homme. Depuis Hiroshima, radioactivité rime avec danger. Après Tchernobyl, et aujourd’hui Fukushima, le nucléaire fait peur. Pourtant, les effets du nucléaire sur la santé sont bien connus et contrôlés dès la moindre alerte, sachant que le poison, encore une fois, c’est la dose. Celle-ci est calculée en milli-sievert (mSv), unité qui combine la quantité d’énergie déposée et la sensibilité des tissus. Par exemple, à Paris, l’irradiation naturelle entraîne une dose d’environ 2,5 mSv par an.

Les effets de la radioactivité sont d’autant plus graves et précoces que la dose est plus grande. En cas d’exposition rapide de tout l’organisme, les signes avant-coureurs – nausées, vomissements – se manifestent vers 700 mSv. Une dose de 4 500 mSv est mortelle dans 50 % des cas par destruction de la moelle osseuse. Au-delà de 6 000 mSv, la dose est presque toujours mortelle, en quelques heures par œdème cérébral ou en quelques jours par destruction de la paroi du tube digestif.

Intervention sur le site de la centrale de Daichi

À Tchernobyl, 237 liquidateurs ont eu une irradiation massive entraînant des signes cliniques regroupés sous le nom de Syndrome Aigu des Rayonnements ; 28 sont morts en quelques semaines et depuis 1986, 33 décès supplémentaires sont survenus. À Fukushima, le débit de dose a atteint 400 mSv par heure en certains endroits des centrales accidentées ; il est périlleux de travailler dans de telles conditions, même pour un bref laps de temps. Les autorités ont fixé la dose maximale pour les intervenants à 250 mSv. On a enregistré 29 cas de dose dépassant 100 mSv, dont trois au delà de 170 mSv. Aucune dose n’a atteint 250 mSv et il n’y a pas eu de cas de Syndrome Aigu des Rayonnements.

À plus long terme, on observe essentiellement des cancers, apparemment aléatoires, dont la probabilité augmente avec la dose et dont la gravité dépend du cancer en cause. Après Hiroshima et Nagasaki, la surveillance régulière d’environ 90 000 survivants a montré, pour les personnes exposées à au moins 100 mSv, un pic du nombre de leucémies 6 à 7 ans après le bombardement et, des années plus tard, une augmentation du nombre de cancers de nombreux organes. En 2000, les décès en excès parmi ces survivants étaient de 570 par cancer et 250 par maladies non cancéreuses (cardio-vasculaires, respiratoires, digestives) dont l’origine est incertaine.

Après Tchernobyl, la contamination par les atomes d’iodes radioactifs (iode 131 et 132) a entraîné en ex-URSS une véritable épidémie de cancers thyroïdiens chez des enfants qui, pour la plupart, avaient moins de dix ans lors de l’accident. Ces cancers thyroïdiens ne surviennent pratiquement que chez les jeunes enfants, pour des doses à la thyroïde d’au moins 100 mSv. En dehors de ces cas, on n’a observé aucune augmentation significative de l’incidence des cancers, ni chez les liquidateurs, ni dans les populations exposées, comme vient de le rappeler le rapport 2011 de l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation 1) sur les conséquences de cet accident. À Fukushima, en dehors des abords de la centrale, on estime qu’en restant exposé dehors sans précaution du 18 au 22 mars, un enfant de un an aurait reçu au plus 10 mSv à la thyroïde. Mis à part peut-être certains intervenants sur la centrale, si les zones où le débit de dose reste élevé sont rapidement évacuées et la consommation d’eau et d’aliments significativement contaminés est évitée, on peut raisonnablement espérer que l’accident de Fukushima ne fera que très peu de victimes, voire aucune, du fait de la radioactivité. En France, distante de 15 000 km sous le vent (2200 km pour Tchernobyl), le risque est négligeable.

En effet, à moins de 100 mSv, les mécanismes de défense de l’organisme contre ces rayonnements sont différents et proportionnellement beaucoup plus efficaces que contre de fortes doses, et les études épidémiologiques ne montrent pas d’augmentation significative du risque de cancer. On ne peut donc pas estimer le nombre des victimes d’un accident nucléaire en multipliant des populations considérables par des doses infimes et en supposant que le risque est strictement proportionnel à la dose, si faible soit-elle.

Contrairement à une rumeur bien établie, des malformations congénitales non héréditaires ne surviennent qu’au-delà d’une dose au fœtus comprise entre 100 et 200 mSv, avec une sensibilité maximale du neuvième jour au début de la neuvième semaine, au moment où se forment les organes. Quant aux malformations héréditaires, transmises à la descendance, elles n’ont été mises en évidence que chez l’animal, jamais dans l’espèce humaine.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer les risques psychosociaux indirects. Après Tchernobyl, environ 115 000 personnes ont été évacuées et ont perdu leur travail, leur habitation, leurs repères. Beaucoup ont souffert de dépression, sinistrose, addictions à l’alcool et au tabac, et la natalité a décru notablement, faute de désir d’enfant. Or, en réalité, plusieurs dizaines de milliers de ces personnes déplacées n’auraient pas été exposés à des doses dangereuses en restant chez elles. C’est leur évacuation qui a nui à leur santé. Pour éviter que cela se reproduise à Fukushima, la Commission Internationale de Protection contre les Rayonnements Ionisants (CIPR) a fixé à 20 mSv par an le seuil d’exposition auquel une évacuation était justifiée. Dans le cas contraire, l’évacuation n’est pas nécessaire et la CIPR recommande de diminuer l’exposition dans les années qui viennent, avec un objectif de 1 mSv par an ajouté à l’exposition naturelle. Le MEXT (Ministère japonais de l’éducation, de la culture, du sport, des sciences et des technologies) a établi des cartes qui montrent que sur la base de ce seuil, une zone supplémentaire située au nord-ouest des centrales devrait être évacuée, mais que des zones déjà évacuées pourraient être à nouveau habitées. La gestion de l’après-crise sera longue, centrée sur la surveillance des personnes exposées, de l’environnement, des aliments et boissons, la réhabilitation des territoires contaminés et la prise en charge des personnes déplacées. Contrairement à l’Ukraine en 1986, le Japon peut compter sur sa technologie, sa puissance économique et la pugnacité de sa population. C’est toute la différence.

Rédigé le 29 mai 2011

Thème : Nucléaire

Mots-clés : Énergie nucléaire