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Ebdo et le Lévothyrox : la fabrique de la rumeur

Publié en ligne le 15 décembre 2017 - Science et médias -

Ebdo, « votre futur journal d’information, sans pub, indépendant et inspirant » 1 est annoncé pour le 12 janvier 2018. Il nous promet « le meilleur du journalisme » réalisé par une équipe de trente-cinq permanents, dont de nombreux journalistes professionnels. L’objectif affiché : prendre à contre-pied la presse qui, « au lieu de nous donner des clés de compréhension », nous noie sous l’information. Le constat est net : « les journaux ne sont plus des repères. […] leur crédibilité est en baisse continue ».

L’objectif est louable… mais les premiers pas augurent bien mal de la suite. Un « numéro zéro » a été créé pour définir la maquette et rôder les processus. Mais il fallait un scoop, un « article explosif », c’est-à-dire « une information de première main, sortie nulle part ailleurs ». La recherche s’avère plus difficile que prévue jusqu’à ce qu’une des journalistes arrive « avec une lueur étrange dans les yeux ». Voilà le scoop tant attendu : « des décès [sont] enregistrés dans la base de données qui recense les effets indésirables du médicament Lévothyrox ». Certes, précise-t-on, « le lien entre les décès et le médicament n’est pas établi », et « seule une enquête indépendante peut le déterminer ». Reste à exploiter ce scoop tant espéré. Problème, le premier numéro du journal sort dans plus d’un mois, « comment diffuser une exclusivité imprimée dans un numéro secret ? ». Un accord est donc scellé avec Le Figaro qui relayera l’« information », mais en citant Ebdo qui gardera la primeur de l’information via un tweet « sous la forme d’une capture d’écran de l’article du numéro zéro ». Il est convenu que Le Figaro « suivra le pas quelques minutes plus tard », pour qu’ensuite « toute la presse française » fasse de même. Ce qui, sans surprise, sera le cas.

Le tweet diffusé par le journal Ebdo « oublie » la réserve initiale, celle qui affirme que le lien avec le Lévothyrox n’est pas établi et annonce « Les 13 morts du Lévothyrox cachés par les autorités françaises ». Et l’article lui-même développe le thème du scandale sanitaire majeur, en comparant au Mediator pour lequel, lors de son retrait du marché en novembre 2009 à cause d’effets indésirables, « la banque de données [de pharmacovigilance] n’enregistre aucun décès ».

Selon le calcul réalisé par le Journal International de Médecine [1], avec 600 000 décès par an en France et trois millions de personnes sous Lévothyrox, on s’attend à ce qu’un peu moins de 100 personnes sous Lévothyrox décèdent chaque jour. Et en ne considérant que les 15 000 personnes ayant déclaré un effet indésirable sur le seul mois d’octobre, « 75 décès incidents auraient pu être enregistrés sur 6 mois dans l’hypothèse optimiste où ces sujets auraient un état de santé équivalent à celui de la population générale ».

Peu importe cette réalité pour la journaliste d’Ebdo qui indique discrètement que seule « une enquête judiciaire […] peut déterminer le lien de cause à effet entre la prise du médicament et la mort ». Mais elle ne semble pas avoir besoin d’une telle enquête pour titrer « les 13 morts du Lévothyrox cachés par les autorités françaises ».

L’ANSM (l’Agence du médicament), confirme de son côté 14 décès parmi les cas saisis dans la base nationale de pharmacovigilance, mais précise qu’ils sont « sans lien établi avec le Lévothyrox », ajoutant que « l’enquête se poursuit et les résultats seront présentés le 30 janvier ».

Mais le 30 janvier, c’est trop tard pour le scoop de lancement d’Ebdo. Décidément, le nouveau journalisme autoproclamé ressemble à ce qui se fait de plus caricatural dans l’ancien.

[1] Haroche A, « Lévothyrox : le JIM se fâche ! », 30 novembre 2017. Sur le site www.jim.fr

1 Toutes les citations sont extraites du site de l’hebdomadaire

Publié dans le n° 323 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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