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Entretien avec Franck Ramus

Publié en ligne le 11 octobre 2019 - Science et décision -

SPS : Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressé à la science ?

Franck Ramus : J’ai toujours été globalement intéressé par la science, j’étais très curieux, je posais beaucoup de questions. J’ai fait une prépa scientifique, puis l’École polytechnique et j’avais toujours cette appétence pour la recherche. J’étais intéressé par la physique, sauf que ce n’était pas pour moi, ça devenait extrêmement abstrait et ça ne répondait plus aux questions que je me posais. J’ai alors commencé à me réorienter et j’ai eu la chance d’avoir des cours assez diversifiés, de biologie, d’économie et une introduction aux sciences cognitives. Je me suis rendu sur place, auprès de chercheurs dans leur laboratoire en sciences cognitives pour voir ce qu’ils faisaient et pour trouver un stage de DEA (diplôme d’études approfondies, ancienne dénomination d’une seconde année de Master). Je me suis donc embarqué dans un DEA en sciences cognitives où j’ai rencontré mon mentor, Jacques Mehler, qui travaillait sur l’apprentissage du langage par le bébé, un sujet qui m’a plu d’emblée. J’ai continué en thèse, j’ai fait un doctorat en sciences cognitives et je ne l’ai jamais regretté. Un peu par chance et par hasard, j’ai découvert les sujets qui m’intéressaient vraiment.

Quelle a été, pour vous, la plus grande avancée de la science dans les deux cents dernières années ?

Il y en aurait beaucoup ! Évidemment, une grande avancée qui me touche personnellement beaucoup, c’est la théorie de l’évolution et ses concepts-clés : la variabilité, la descendance avec modification et la sélection naturelle. Les idées qui sont contenues dans les livres de Darwin sont absolument remarquables, c’est vraiment un modèle de ce que peut être une théorie scientifique : un tout petit nombre d’idées clés mais qui ont un pouvoir explicatif extraordinaire, qui permettent de donner un sens et une cohérence à un nombre faramineux d’observations et qui continuent de s’accumuler tous les jours. De ce point de vue là, c’est pour moi au même niveau que la théorie de la gravitation universelle de Newton.

Quelle place doit occuper la science dans la société ?

Je suis plutôt partisan d’une distinction assez claire des prérogatives de la science d’une part, et de la politique et de la morale d’autre part. La science est la démarche qui nous permet d’acquérir des connaissances, de savoir ce qui est, comment le monde fonctionne, y compris nous. D’un autre côté, la science ne nous dit pas ce qu’il faut faire, ce qui est bon, ce qui est moral, donc on a besoin d’un domaine de réflexion qui est distinct de la science. Et enfin il y a l’action, la politique, c’est-à-dire quoi et comment faire pour parvenir à nos objectifs. Sur cette question, la science a son mot à dire pour identifier les moyens à mettre en œuvre et évaluer le résultat de nos actions. De nos jours, la science est insuffisamment utilisée, on continue à l’ignorer dans un tas de domaines où on ne l’attend pas spontanément, comme dans les politiques sociales ou l’éducation. Les décideurs se privent des connaissances qui existent déjà et d’une méthodologie qui permettrait de comparer les politiques publiques et d’affiner leur efficacité. En Angleterre et aux États-Unis, cette approche est bien développée, mais elle est totalement insuffisante en France, où l’on pense qu’il suffit de débattre et de faire de grandes phrases pour avoir raison.

Qu’est-ce qui caractérise la science ?

La science est une démarche par laquelle on acquiert des connaissances de manière fiable, qui consiste à formuler des hypothèses les plus claires et explicites possibles, à en dériver des prédictions qui sont testables et, enfin, à les tester rigoureusement en collectant des données au moyen d’observations et d’expérimentations. Si les prédictions ne sont pas conformes, nous sommes amenés à les rejeter ou les réviser, en faisant ainsi une itération entre la collecte des données et la formulation d’hypothèses qui s’affinent avec le temps et qui deviennent des modèles de plus en plus fidèles à la réalité. C’est une démarche qui s’applique pour toutes les questions factuelles qu’on se pose sur le monde.

La recherche doit-elle tenir compte des polémiques publiques et des remous de la « société civile » ?

La science peut apporter beaucoup dans un certain nombre de débats publics, mais pas tous.

Par exemple, savoir s’il faut autoriser le mariage pour les personnes homosexuelles n’est pas une question factuelle, c’est une question de valeurs, donc la science n’a strictement rien à dire là-dessus. En revanche, pour déterminer la meilleure manière d’atténuer le changement climatique, d’enseigner la lecture à l’école ou soigner les troubles mentaux, qui sont des sujets qui peuvent être très polémiques, la science a quelque chose à dire et elle n’est parfois pas suffisamment entendue.

Pour conclure ?

Dans les débats entre science et société, l’accusation de scientisme est souvent avancée par ceux qui s’opposent au discours scientifique. Ils reprochent de croire naïvement que la science va tout expliquer et régler tous les problèmes des êtres humains. Plus personne dans le milieu scientifique n’adhère à cette vision du monde qui a été théorisée au XIXe siècle, mais cela reste un chiffon rouge régulièrement agité. Une partie de ces critiques considèrent que la science n’est qu’une manière parmi d’autres d’acquérir des connaissances, une simple perception subjective du monde. La démarche scientifique est pourtant le seul moyen fiable que nous ayons d’acquérir des connaissances. Elle a ses limites, que l’on doit accepter faute de mieux.

Propos recueillis par Emeric Planet. Entretien intégral disponible sur notre site afis.org sous la forme d’une vidéo (réalisation Emeric Planet).



Thème : Science et décision

Mots-clés : Science

Publié dans le n° 328 de la revue


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Les auteurs

Franck Ramus

Directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l’École normale supérieure. Il dirige l’équipe « (...)

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Emeric Planet

Informaticien et membre du comité de rédaction de la revue Sciences & pseudo-sciences.

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