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Entretien avec Renaud Piarroux

Publié en ligne le 16 septembre 2019 - Santé et médicament -

SPS : Quels sont les liens entre catastrophes naturelles et maladies infectieuses ?

Renaud Piarroux : Cela dépend du type de catastrophe naturelle. Dans une étude que nous avions menée en 2005, nous avions eu la surprise de ne trouver pratiquement aucune épidémie dans les suites immédiates (trois premiers mois) de plus de 600 catastrophes géophysiques (séismes, éruptions volcaniques, tsunamis), ni dans la littérature scientifique, ni dans les rapports de situation rédigés par les intervenants sur le terrain [1]. Cela s’explique probablement par le fait que les victimes de ces types de catastrophes reçoivent rapidement une aide visant tout particulièrement à prévenir les principaux risques épidémiques (vaccination, sécurisation de l’accès à l’eau). Cette règle n’est cependant pas absolue et des épidémies d’infections respiratoires ou de gale sont survenues dans certains cas, favorisées par le froid et la promiscuité. Le cas des catastrophes météorologiques est différent car les phénomènes de sécheresse ou d’inondations peuvent influer directement sur le cycle de vie de divers pathogènes et de vecteurs de maladies. De plus, les régions affectées sont généralement plus vastes et l’aide, à la fois plus limitée et plus diluée. Le cas d’Haïti ne déroge pas à la règle de la rareté des épidémies après un séisme. En effet, l’épidémie de choléra est survenue après un délai de neuf mois, elle a débuté dans une zone non touchée par le tremblement de terre et était due à une cause indépendante du séisme. Enfin, les camps où s’étaient abritées les personnes déplacées ont été moins fortement touchés que les bidonvilles et les zones rurales.

La science a servi à la fois de prétexte pour masquer une lourde responsabilité, mais elle a aussi constitué un outil qui a finalement permis d’établir cette responsabilité. Quelle leçon tirez-vous de cette dramatique histoire ?

La mystification a été une arme à double tranchant. Désorienter les scientifiques et le public en biaisant les rapports de situation et mobiliser certains experts pour écarter les soupçons a failli réussir à occulter la responsabilité des Casques bleus. Mais paradoxalement, cela a probablement contribué à consolider la preuve de leur responsabilité. En effet, il aurait été plus compliqué d’obtenir les souches isolées au Népal lors de l’été 2010 si les biologistes népalais avaient pensé que cela confirmerait la responsabilité des soldats de leur pays. Or, au moment de l’étude, la mystification aidant, l’idée dominante était que les Casques bleus népalais n’avaient rien à voir avec l’épidémie.

Une fois l’identité absolue établie entre une des souches népalaises et la souche haïtienne, le lien entre les Casques bleus et l’épidémie devenait évident. La démarche est identique à celle de la police scientifique comparant l’ADN d’un suspect à celui retrouvé sur la scène de crime. Mais ici, en l’absence d’enquête judiciaire, l’expérimentation a été menée à titre de recherche, par simple souci d’établir la vérité. Notons l’attitude exemplaire des biologistes népalais qui ont assumé ce résultat très embarrassant pour leur propre pays.

Plus généralement, cette histoire montre combien il est difficile de cacher quoi que ce soit à un public averti. Ici certaines scènes ont été filmées, d’autres photographiées, des messages ont été exhumés par Wikileaks ou grâce à la législation en vigueur aux États-Unis, et des souches et des séquences génomiques pouvant servir de preuves ont circulé d’un pays à l’autre.

A-t-elle tranché la controverse plus générale sur la possible cause environnementale dans une épidémie de choléra ?

En théorie, démontrer qu’une épidémie est d’origine importée n’empêche pas qu’ailleurs, une flambée de choléra soit le fruit d’une émergence locale. Cependant, depuis quelques années, l’analyse de milliers de génomes de souches collectées lors d’épidémies a permis d’établir une filiation directe entre toutes les épidémies. Ainsi, les deux vagues épidémiques en Amérique latine (celle d’Haïti et celle qui a frappé le Pérou en 1991) résultent d’introductions intercontinentales de souches de Vibrio cholerae en circulation dans le monde [2]. De même, les vagues épidémiques qui ont touché l’Afrique depuis une cinquantaine d’années sont dues à l’importation du choléra à partir de foyers asiatiques [3].

Ce qu’il reste à vérifier, c’est la capacité que pourrait avoir une souche – initialement importée – à s’installer durablement dans certains environnements aquatiques (par exemple les eaux saumâtres des estuaires), puis à provoquer une réémergence locale du choléra. Nous allons pouvoir trancher cette question qui fait toujours débat si la tendance actuelle se poursuit. En effet, depuis fin janvier 2019, aucun cas de choléra n’a été confirmé en Haïti malgré un effort soutenu pour tester le maximum de patients diarrhéiques (on en est à 96 résultats négatifs d’affilée). C’est le moment de chercher la souche dans l’environnement. Si, dans les mois qui viennent, nous n’identifions toujours pas de cas sporadiques, l’hypothèse d’un enracinement de la souche dans l’environnement pourra être écartée. Bien sûr, en cas de nouvelle épidémie, il faudra vérifier, par séquençage de l’ADN, s’il s’agit de la même souche ou d’une autre, importée d’une zone d’endémie. Finalement, s’il s’avérait que l’épidémie d’Haïti est définitivement stoppée, cela ouvrirait d’immenses espoirs pour la lutte contre le choléra partout dans le monde.

Propos recueillis par Jean-Paul Krivine

Références

1 Floret N et al., “Negligible Risk for Epidemics after Geophysical Disasters”, Emerg Infect Dis., 2006, 12 :543-548.

2 Domman D et al., “Integrated view of Vibrio cholerae in the Americas”, Science, 2017, 358 :789-793.

3 Weill FX, “Genomic history of the seventh pandemic of cholera in Africa”, Science, 2017, 358 :785-789.

© Dlrz4114 | Dreamstime.com

Publié dans le n° 328 de la revue


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Les auteurs

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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Renaud Piarroux

Spécialiste du choléra, Professeur à la faculté de médecine de Sorbonne Université, membre de l’Institut Pierre (...)

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