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État d’urgence

Publié en ligne le 4 avril 2008
État d’urgence
Michael Crichton.
Collection Best sellers, Robert Laffont, 2005, 646 pages, 22 € et Poche, Pocket, 8,70 €

Michael Crichton est un écrivain de science-fiction remportant un succès mérité. Né à Chicago, Illinois, en 1942, docteur en médecine (psychiatre) de la Harvard Medical School, il publie son premier roman, The Andromeda Strain (La variété Andromède, 1969) alors qu’il est étudiant en médecine. Après un post doc au Salk Institute for Biological Studies il devient vite écrivain et scénariste de films à plein temps. Spécialisé dans le thriller technologique, il accède à la renommée mondiale avec son roman Jurassic Park (1990), puis le film du même nom dont il écrit le scénario avec Steven Spielberg (1993), et, enfin pour couronner le tout, avec la série culte dont il est le créateur et producteur… ER (autrement dit… Urgences, commencée en 1994).

Par-delà une maîtrise difficilement contestable de l’écriture et de la communication, Michael Crichton est aussi un auteur engagé dénonçant sans faiblesse le caractère régressif du fondamentalisme écologiste et décroissanciste. Dans un discours devenu célèbre « Environmentalism as religion » prononcé en 2003 à San Francisco, Californie, il pointe le reformatage dans le credo des fondamentalistes de l’écologie politique des croyances et mythes judéo-chrétiens : une nature idéalisée (jardin d’Éden) dont la dégradation par la science et l’industrie (l’arbre de la connaissance) conduirait l’humanité vers une apocalypse planétaire (jugement dernier), et ce sans oublier le clin d’œil vers les rites alimentaires scellant la communauté des initiés auxquels la Vérité a été révélée (la communion par la nourriture biologique). En caractérisant l’écologisme comme semblant devenir la religion préférée des athées urbains, Michael Crichton ne se fait donc pas que des amis, ce qui n’entame pas pour autant son succès.

Avec son quatorzième roman, Michael Crichton s’essaie à la littérature engagée. L’exercice n’est pas rare dans le genre de la science-fiction. État d’urgence (State of Fear, 2004) prend pour cible ceux qui s’appuient sur la mesure d’un réchauffement planétaire pour prêcher une vision catastrophiste de l’avenir de l’humanité et culpabiliser les êtres humains dans leur aspiration à vivre mieux ; il dénonce principalement la façon dont les fondamentalistes de l’écologie politique traitent l’information scientifique (sélection partielle et partiale, mise en perspective, etc.) et subsidiairement comment les médias leur emboîtent le pas.

Pour ce faire, État d’urgence est construit comme un scénario de film. La trame générale est celle, éprouvée, du thriller technologique : une intrigue à rebondissements efficace, servie par la mise en œuvre, à des fins criminelles, de hautes technologies que seuls des agents spéciaux diplômés du MIT arriveront à déjouer. Une grande organisation planétaire de protection de l’environnement instrumentalise sans vergogne un groupuscule considérant l’action illégale, voire criminelle, comme étant légitime au regard des enjeux : l’objectif poursuivi est de créer de toute pièce, en mobilisant les technologies disponibles, des événements catastrophiques (tsunami, orage dévastateur, etc.) afin d’accélérer, par leur médiatisation, la prise de conscience par la population désinformée par les lobbies industriels que la planète court vers la catastrophe. Le travail de documentation technique réalisé par Crichton permet de rendre parfaitement crédible – même si évidemment improbable – la dimension technique du scénario.

À cette trame classique du genre, Crichton rajoute une troisième dimension. Ainsi, dans les moments de respiration de l’intrigue, Crichton se mute en propagandiste efficace des thèses hostiles au réchauffement planétaire. Sur la base d’un travail de documentaliste scientifique sérieux, technique qu’il maîtrise à l’évidence, Crichton s’évertue à démonter méthodiquement la « théorie du réchauffement planétaire » ; il utilise pour ce faire les mêmes outils de propagande, et notamment la même sélectivité partiale de l’information, que ceux qui érigent l’écologie politique en nouvelle religion. L’exercice, parfaitement documenté de nombreuses références de publications scientifiques et graphiques, est remarquablement réalisé et d’une redoutable efficacité.

Ce faisant, Crichton a tendu un piège dans lequel la plupart des sites militants de la cause environnementaliste sont tombés. En effet, les thèses de Crichton sont connues, et, si elles épousent la posture de l’écologiste sceptique selon Lomborg, elles ne se satisfont quand même pas de ce qu’une lecture au premier degré de ce qui est défendu dans le roman pourrait suggérer. Michael Crichton se fait binaire le temps d’un roman pour mieux tourner en dérision le caractère binaire des comportements qu’il dénonce. Cet objectif est d’autant mieux atteint qu’il secoue dans le même mouvement la torpeur du citoyen endormi et réveille la pointe de scepticisme salutaire qu’une communication souvent à sens unique et volontiers prédicatrice en matière climatique pourrait avoir étouffé.

Le style d’écriture de Crichton, qui a fait depuis longtemps ses preuves cinématographiques, est aussi parfaitement radiophonique. C’est ainsi que même si vous avez déjà lu la version française du roman publiée en français en 2005, je ne peux que vous conseiller de télécharger l’excellente version lue par l’acteur François d’Aubigny que le site www.audible.fr met à votre disposition pour vous accompagner sur votre lecteur audio portable (iPod, etc.) ou sur votre lecteur de CD. Quelles que soient vos convictions en matière climatique, je suis prêt à parier qu’après avoir lu et/ou entendu État d’urgence, vous n’écouterez plus de la même façon le présentateur du journal télévisé quand il vous commentera la tornade du jour comme une illustration supplémentaire des phénomènes météorologiques extrêmes toujours plus fréquents que vous devrez attendre du fait du réchauffement climatique...

Le consensus scientifique établit clairement qu’un réchauffement climatique est observé et désigne la responsabilité des activités humaines. Les rapports entre science, expertise et décision à propos du climat ont été développés dans un texte adopté par le conseil d’administration de l’Afis en 2013.
L’Afis précise un point important : la science ne dicte pas ce que la société doit faire. Cette question a été plus largement développée dans un dossier publié en juillet 2016.

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