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Former l’esprit critique (Tome 1)

Publié en ligne le 12 janvier 2019
Former l’esprit critique (Tome 1)
Pour une pensée libre

Gérard de Vecchi
ESF éditeur, 2017, 279 pages, 18 €

Cet ouvrage mettant l’esprit critique au cœur de son propos avait tout pour retenir notre attention. L’intention apparente est certes louable : former l’esprit critique, et le sous-titre Pour une pensée libre pourrait conduire à un enthousiasme naïf. Mais la préface de Philippe Mérieux nous incite d’emblée à une investigation plus poussée : « cet ouvrage ne sépare pas l’objectif de transmission de celui d’émancipation » (p. 11).

Gérard de Vecchi, maître de conférences en sciences de l’éducation et formateur d’enseignants, présente ses réflexions en 25 courts chapitres, cheminements et propositions autour de la notion d’esprit critique, avec, comme outil privilégié, la pratique du débat en classe pour le développer.

Développer cette compétence permettrait à l’élève d’entrer dans la pensée complexe et donnerait la possibilité de passer des problèmes individuels à ceux du groupe, puis de la société, d’acquérir le besoin d’agir pour faire évoluer le monde. «  Les élèves doivent remettre en cause la simple acquisition de connaissances pour aborder une véritable réflexion sur ces connaissances  » (p. 73). L’injonction de mettre les élèves face à cette complexité, sans que soit ici fournie quelque évaluation de leur effet, laisse cependant le lecteur dubitatif. D’autant que cet appel à remettre en cause les connaissances au moment même de leur transmission pourrait être contreproductif et donner à ces super élèves chargés de changer le monde une responsabilité bien écrasante… mais l’auteur préfère prendre le risque !

Il prône ensuite la provocation comme outil majeur pour entrer dans la pensée critique, avec des préceptes qui semblent davantage s’adresser à des adultes miniatures envahis de mauvaises conceptions à « déconstruire… » qu’à des écoliers. Tout au long de l’ouvrage, l’auteur ne montre d’ailleurs pas une connivence flagrante avec l’esprit enfantin. Il déplore la pauvreté des représentations des enfants, sans toutefois s’interroger si elles pourraient provenir d’une absence de connaissances. Mais un autre problème plus inquiétant se profile : si « L’école constitue un lieu privilégié pour aborder des questions controversées de manière organisée et équitable  » (p. 154), c’est donc fatalement l’enseignant qui tranche puisqu’il est seul aux commandes. L’école deviendrait alors plutôt un lieu d’information (partisane ?) que d’éducation. L’auteur souhaite par exemple que l’on mentionne le créationnisme (pourtant hors programme !), mais « défendu par certains mouvements religieux minoritaires  » (p. 161), recommandant que l’enseignant ne donne que modérément son « opinion ». « L’enseignant ne doit plus être un guide qui est devant et que l’on doit suivre, mais un pâtre qui est avec ses ouailles…  » (p. 226).

Selon lui, l’éducation aux médias doit aussi être réalisée en primaire. Le traitement d’un sujet politique peut alors produire son effet aux élèves afin que «  le néolibéralisme leur saute en plein visage » (p. 216).

Dans cet ouvrage grouillant de lieux communs (par exemple remplacer le mot faute par erreur) qui ne nécessitent pas tant de discours, on notera un certain manque de rigueur, des affirmations parfois lapidaires sans être toujours exactes : « les cours traditionnels et forcément ennuyeux » (p. 155) ; « l’écorce du saule blanc contient un produit qui rentre dans la composition de l’aspirine » et sert donc d’argumentaire dans un débat pour la coupe des arbres (p. 169). Mais l’aspirine est utilisée industriellement sans utiliser l’écorce de saule 1. Les références informatives (les associations Acrimed, Greenpeace, ou le journaliste du Monde Stéphane Foucart) recommandées par Gérard de Vecchi sont bien loin de faire l’unanimité. Il pourrait par ailleurs se montrer plus prudent sur les débats autour de l’islam, de l’affaire Charlie Hebdo avec les jeunes enfants, d’autant qu’il ne donne pas d’informations véritablement vérifiées concernant l’utilité de ces débats sur ces jeunes âmes. Une seule page (p. 68) est consacrée aux dangers de ces pratiques : formuler des critiques exige un minimum de connaissances, les élèves réagissent plus à la personne qu’au contenu… mais ces écueils sont rapidement balayés par l’auteur car pour lui, développer l’esprit critique est aussi fondamental qu’apprendre à lire, écrire, ou compter.

À lire avec beaucoup d’esprit critique, afin d’éviter de devenir trop facilement les moutons des pâtres.

1 Plus précisément, l’extrait du saule est une molécule (acide salicylique) à laquelle il manque un morceau pour que ce soit de l’aspirine, qui est synthétique depuis toujours (première synthèse vraiment réussie en 1897).