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Riz doré

Greenpeace : carence de raisonnement ou surdose de peur ?

Publié en ligne le 3 août 2014 - OGM et biotechnologies -

L’expertise scientifique évalue les OGM au cas par cas et ne présente les résultats produits que comme des outils parmi d’autres au service de politiques agricoles, économiques et sociales. À l’inverse, ceux qui ont décidé de s’opposer aux OGM en général, et pour des raisons idéologiques, se doivent de discréditer le riz doré (Golden Rice), emblématique de potentialité difficilement condamnable au nom d’une certaine vision du monde.

Ainsi, l’association écologiste Greenpeace a-t-elle édité un fascicule spécifique pour expliquer son rejet du riz doré. On y retrouve des allégations que les résultats scientifiques réfutent (et que nous analysons ici). Mais c’est aussi un texte imprégné de la peur des incertitudes qui seraient nécessairement porteuses de danger pour tout ce qui concerne les OGM, peur accompagnée d’une exigence du risque zéro que la science ne pourra jamais apporter.

Outre une attitude plus rationnelle face aux risques sanitaires et environnementaux de toutes les techniques de création variétales (quelles qu’elles soient), on aurait pu espérer une analyse plus responsable du rapport bénéfice/risque du riz doré : d’un côté, le bénéfice de contribuer à sauver des centaines de milliers de vies tous les ans et d’aider des pays à sortir de la pauvreté ; de l’autre, un risque improbable d’une technologie utilisée depuis vingt ans, couvrant 160 millions d’hectares en 2011 et pour laquelle un consensus scientifique clair existe, tant sur l’absence de danger sanitaire que sur les avantages environnementaux et productifs.

Ainsi, Greenpeace a publié, en octobre 2013, un rapport [1] intitulé « Golden Illusion. The broken promise of GE "Golden Rice" » (L’illusion dorée : la promesse non tenue du riz doré génétiquement modifié) dans lequel sont rassemblés les arguments qui justifient, selon l’association, son opposition à cette variété de riz génétiquement modifié. Analysons-les un par un.

La quantité de riz doré à ingérer

Pour Greenpeace, « il serait nécessaire de consommer 12 fois la quantité normale de riz pour atteindre les seuils recommandés d’apport en vitamine A ». En réalité un simple bol de riz doré (100 à 150g de riz cuit) représente 60 % des apports journaliers recommandés en vitamine A [2][3].

De l’argent dilapidé ?

Greenpeace présente le projet de riz doré comme une simple manœuvre visant à « aider l’industrie des biotechnologies à réhabiliter les OGM largement rejetés par la population ». Pour l’association, « l’argent investi dans le riz doré aurait pu être utilisé pour financer des méthodes de supplémentation en vitamine A connues et éprouvées. »

Le coût de distribution d’une dose bisannuelle de vitamine A est de un à deux dollars par an et par personne [4] ; en conséquence, le budget entier de développement du riz doré ne suffirait même pas à couvrir pendant quelques mois les besoins des populations carencées d’Asie. Par ailleurs, ces programmes ont montré leurs limites et ne seront que plus efficaces s’ils sont complétés par des solutions de bio-fortification 1 [4] comme le riz doré. Ce dernier n’est pas une substitution mais un complément aux méthodes de supplémentation connues et éprouvées.

Notons, si l’on voulait reprendre la logique de cette argumentation, que Greenpeace ne s’est pas posé la question de savoir si une partie de son budget (237M € en 2011), ou tout simplement son budget de dénigrement du riz doré, aurait pu être mieux utilisé pour financer directement les méthodes de supplémentation...

Des risques de pollinisation croisée ?

« La contamination des riz conventionnels est très probable. Planter le riz doré en Asie pourrait compromettre de façon irréversible les variétés traditionnelles et sauvages de riz. »

L’IRRI (International Rice Research Institute) [5] est le plus grand acteur de la conservation et de la diversité génétique du riz avec 112 000 variétés de semences qu’il met à la disposition des agriculteurs du monde entier. La sauvegarde de la variété des espèces est l’une des raisons d’être de cet Institut. Or, l’IRRI se trouve également être un des principaux promoteurs du riz doré. C’est d’ailleurs un de leurs essais en plein champ qui a été saccagé récemment aux Philippines. Si les agronomes de l’IRRI ne sont manifestement pas inquiets des pollinisations croisées, c’est probablement aussi parce que le riz est une plante autopollinisatrice dont le pollen n’est viable que quelques minutes, peu adapté à la dispersion, ce qui permet une isolation facile des différentes variétés. De plus, la question de la pollinisation croisée n’est pas spécifique au riz doré et peut concerner toutes les variétés de riz. Or, les paysans plantent essentiellement des variétés conçues il y a moins de 30 ans, sélectionnées pour leur rendement. Dès lors, difficile de faire un procès de « pollution génétique » au riz doré sachant que cette « pollution » (encore une fois par essence marginale) se produirait avec toutes les autres espèces qui ont été introduites depuis les années 70 (OGM ou non-OGM).

Les campagnes contre le riz doré sont menées à travers le monde par diverses associations et sous de multiples formes : affiches, livres, manifestations, arrachage de champs expérimentaux, dessins « humoristiques » (ici, on voit des enfants ayant mangé trop de riz doré et se plaignant certes, de bien voir le tableau en salle de classe, mais malheureusement plus leurs pieds (car devenus obèses à trop manger de riz pour atteindre les doses nécessaires selon les opposants).

Un risque plus élevé d’effets inattendus ?

« Le potentiel pour des effets inattendus dans le riz doré est plus important que dans des OGM plus simples car la manipulation pour produire le β-Carotène est plus complexe. »

Cette affirmation est sans fondements. Tout d’abord, le riz doré a subi un processus d’évaluation extrêmement contraignant éliminant un grand nombre de variations génétiques pour des raisons réglementaires [6], garantissant que la seule différence induite par la modification génétique est la production de β-Carotène. Par ailleurs, il est établi de longue date que les méthodes de sélection variétales traditionnelles entraînent plus de modification dans le génome que celles utilisées pour concevoir les OGM [7,8,9]. Dès lors, on comprend mal que Greenpeace continue d’utiliser l’argument de « l’effet inattendu » comme une source de danger.

De trop fortes doses de β-Carotène ?

« Risque pour la santé humaine : de larges doses de β-Carotène peuvent avoir des effets négatifs sur la santé. »

Notons ici un paradoxe : d’un côté, Greenpeace invoque la très grande insuffisance de β-Carotène produit pour discréditer le riz doré, et d’un autre... un risque de trop fortes doses. La surconsommation de β-Carotène n’entraîne en réalité aucun effet sanitaire connu [10], sauf pour les gros fumeurs avec des doses 10 fois au-dessus de la normale (il faudrait ingérer 3 kg de riz doré par jour pour atteindre ces doses – 26 kg en prenant le rapport 12 proposé par Greenpeace).

Greenpeace évoque également la potentielle toxicité d’une surdose des composants intermédiaires de la conversion du β-Carotène vers la vitamine A (retinol, acide retinoïque). Mais ces composés n’existent pas naturellement dans le riz ou les végétaux (ils existent dans la viande). Le β–Carotène du riz doré est le même que celui des carottes. Il n’y a donc pas de raison que le riz doré entraîne la création de plus de ces composants que n’importe quel autre légume, la production de rétinol étant par ailleurs régulée par l’organisme et plafonnée indépendamment de la quantité de β–Carotène présente dans le système digestif.

Une incitation à une alimentation mal équilibrée ?

« Le riz doré encourage un régime basé sur une seule source alimentaire (le riz) plutôt qu’une augmentation des sources riches en vitamines. »

Le riz doré, au même titre que les suppléments vitaminés, est un palliatif aux carences alimentaires dues à la pauvreté. Les populations victimes de carences ne demandent qu’à diversifier leur alimentation, mais n’en ont tout simplement pas les moyens. L’IRRI, comme le projet riz doré, n’ont d’autre but que de prévenir des morts inutiles, le temps que le développement permette aux populations de sortir de la pauvreté.

Des études sans valeur ?

« Les études montrant un bon apport de vitamine A par le riz doré sont invalides car elles ne portaient pas sur des sujets ayant des carences alimentaires et un organisme mal nourri a un effet sur l’assimilation correcte de la vitamine A. »

Le riz doré n’est pas la première initiative de complémentation en vitamine A par bio-fortification et il a été établi que cette démarche fonctionne sur des populations souffrant de carences alimentaires [11]. L’hypothèse d’une moindre conversion du β-Carotène en vitamine A sera évaluée dans le cadre de distribution du riz doré auprès des populations concernées.

Pas besoin d’OGM pour la bio-fortification ?

« Si les aliments bio-fortifiés peuvent être une intervention efficace à moyen terme pour lutter contre les carences en oligo-éléments, il n’est pas nécessaire de recourir au génie génétique pour la bio-fortification. »

Les techniques utilisées pour réaliser la bio-fortification en β-Carotène de la patate douce ou du maïs ne sont possibles que parce que l’expression du β-Carotène est déjà présente dans la partie comestible de ces plantes. Elles ne sont pas applicables pour le riz.

Soulignons ici une nouvelle contradiction dans l’argumentaire de l’association écologiste : d’un côté, elle conteste l’idée même d’aliments bio-fortifiés qui seraient inapplicables pour des populations mal nourries, et d’un autre, elle affirme que la bio-fortification « peut être efficace »... pour peu qu’on n’ait pas recours aux techniques OGM...

Références

1 | Greenpeace, The broken promise of GE ’Golden Rice’, Golden Illusion, 2013-10-17 
2 | Tang G et al. “β-Carotene in Golden Rice is as good as β-carotene in oil at providing vitamin A to children”, AJCN, sept. 2012.
3 | Tang G et al. “Golden Rice is an effective source of vitamin A.” Am J Clin Nutr. 2009 Jun ;89(6):1776-83.
4 | Keith P West Jr, Rolf DW Klemm, Alfred Sommer. “Vitamin A saves lives. Sound science, sound policy”. World Nutrition Volume 1, Number 5, October 2010)
5 | International Rice Rechearch Institute genebank http://goo.gl/4CNbQK
6 | Golden Rice Humanitarian Board : Golden Rice and BioSafety http://goo.gl/0wLvTW
7 | Cheng KC et al. “Effect of transgenes on global gene expression in soybean is within the natural range of variation of conventional cultivars.” J Agric Food Chem. 2008 May 14 ;56(9):3057-67.
8 | Baudo MM et al. “Transgenesis has less impact on the transcriptome of wheat grain than conventional breeding”. Plant Biotechnol J. 2006 Jul ;4(4):369-80.
9 | Batista R et al.“Microarray analyses reveal that plant mutagenesis may induce more transcriptomic changes than transgene insertion” PNAS, 2008 March 105 (9) 3640-3645
10 | 2006-02-01 EFSA : Tolerable upper intake levels for vitamins and minerals
11 l Hotz C et al. “β-Carotene-Rich Orange Sweet Potato in Rural Uganda Results in Increased Vitamin A Intakes among Children and Women and Improved Vitamin A Status among Children.” The Journal of Nutrition, October 2012 ; 142(10):1871–1880

1 La bio-fortification est une technique d’amélioration variétale permettant d’accroître la production de certains nutriments (par exemple le fer ou les vitamines) directement dans la plante. Cette méthode est plus efficace que l’ajout de nutriments dans la nourriture pour les pays ne disposant pas d’une infrastructure agro-alimentaire moderne.