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Ile d’Anticosti : le cerf élimine l’ours

Publié en ligne le 16 août 2006 -
par Isabelle Burgun

La voracité du cerf de Virginie... aurait sonné le glas de l’ours noir d’Anticosti ! En lui coupant l’herbe sous la patte, ou plutôt en dévorant tous les arbustes à petits fruits, les cerfs sont devenus les maîtres de l’île.

« La diminution de leur nourriture d’automne a eu raison de la population de l’ours noir. Ces petites baies et fruits des arbustes leur permettaient d’accumuler des réserves corporelles suffisantes pour hiberner et allaiter les petits durant l’hiver », explique Steeve Côté, professeur de biologie à l’université Laval et chercheur au Centre d’études nordiques. Il a publié les conclusions de son étude dans le numéro d’octobre 2005 de Conservation Biology, un article repris dans la revue du Naturaliste Canadien cet hiver.

Dans cet article, il présente l’extinction en seulement 50 ans d’un grand mammifère, l’ours noir d’Amérique (Ursus americanus), causée par l’introduction sur l’île d’Anticosti d’un autre grand mammifère, le cerf de Virginie. Ce large territoire de 7943 km2 possède un climat sub-boréal et une végétation dominée par le sapin baumier, l’épinette blanche et l’épinette noire.

Présent dans toutes les forêts boréales, l’ours noir y vivait paisiblement en compagnie d’un seul autre mammifère gourmand de végétation, la souris sylvestre. Bien que l’on ignore précisément combien ils étaient, les ours noirs étaient si abondants qu’autrefois, les adeptes venaient sur l’île pour le chasser. Une mission impossible aujourd’hui car un seul ours a été vu au cours des dix dernières années. « Il est possible qu’il soit mort depuis », avance même le chercheur.

L’automne venu, les proies animales sont rares et la principale source de nourriture, ce sont les petits fruits. Une étude albertaine montre que les ours noirs gagnent du poids lorsque la densité des bleuets est de 423 baies au m2 et perdent leur masse corporelle lorsqu’elle voisine les 66 baies/m2 (Pelchat et Ruff, 1986). Fin août 2004, les inventaires d’arbustes à petits fruits (framboisiers, ronces pubescentes, cornouillers, bleuets...) montraient une moyenne de 0, 28 fruit/m2. « Il y a 235 fois moins de fruits que le minimum requis », soutient Steeve Côté. Écartant diverses hypothèses (maladie, coupes de bois, chasse à l’ours, etc.), le chercheur affirme même que la réintroduction ne peut pas être envisagée : en l’absence de nourriture, pas d’ours.

L’appétit croissant du nouveau venu

Autrefois propriété de Henri Menier, « le Roi du chocolat » et habile chasseur, l’île d’Anticosti voit l’introduction en 1896 de 220 cerfs de Virginie. Avec des hivers longs mais un climat plutôt maritime, les nouveaux venus s’adaptent bien. D’autant plus qu’ils ne connaissent pas de prédateurs. Les cerfs vont proliférer jusqu’à atteindre entre 60 000 et 100 000 individus dans les années 60, selon divers recensements aériens. Et même si les chasseurs en tuent près de 9 000 par année, la population ne décroît pas. « On en compte aujourd’hui près de 125 000. Bien qu’introduit au nord du nord de la distribution de l’espèce, c’est un animal très plastique, comme on dit dans notre jargon », précise le biologiste.

Et vorace. L’équipe du Pr Côté a réalisé des inventaires dans l’ouest de l’île aux étés 2001 et 2002 au sein de 14 peuplements forestiers sans pouvoir cueillir la moindre tige de sorbier d’Amérique, d’amélanchier, de dièreville chèvrefeuille ou de viorne. En plus de la disparition des arbustes à petits fruits, ces espèces normalement communes des forêts boréales disparaissent sous les dents des cerfs. Il ne reste plus guère d’arbustes compris entre 30 cm et deux mètres.

Parallèlement à son explosion démographique, les habitudes alimentaires des cerfs s’avèrent également dommageables. « Le cerf broute la plante au complet, feuilles et tiges inclus. Ce qui a des impacts sur la population d’ours, mais plus largement sur l’ensemble de l’écosystème », relève Steeve Côté. Les inventaires des années 1975 et 1978 montraient déjà des signes d’impact négatif. Tout comme les biologistes en constatent sur le sapin baumier, principale nourriture hivernale des cerfs.

Bref, le visage d’Anticosti a changé, des arbres et des plantes disparaissent et sont remplacés par d’autres. Ainsi, les sapinières régressent, cédant du terrain aux épinettes blanches. Des effets sont constatés sur les nutriments du sol, sur la densité d’insectes, les populations d’oiseaux chanteurs... Ce qui pousse le Pr Côté et son équipe à souhaiter poursuivre leurs travaux par une large étude écosystémique. « Ce problème n’est pas propre à Anticosti ou au Québec. Nous constatons une augmentation de cervidés et leurs répercussions dans le monde entier » soutient le chercheur. Profitant de la fragmentation du territoire, de la diminution des grands prédateurs, d’un recul du lobby des chasseurs, ces grands mammifères connaissent partout une explosion démographique. Et l’île d’Anticosti s’avère un formidable laboratoire pour observer ce phénomène.


Mots-clés : Écologie


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