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J’arrête la pilule

Publié en ligne le 18 septembre 2017
J’arrête la pilule
AVC, migraines, prise de poids, fatigue, baisse de libido, dépression, cancers, infertilité

Sabrina Debusquat
Les Liens qui Libèrent, 2017, 293 pages, 19,50 €

Les femmes ont droit à une information honnête sur les divers moyens contraceptifs à leur disposition afin de faire un choix éclairé. Le livre de Sabrina Debusquat, J’arrête la pilule, ne répond pas à cet objectif car il ne fournit qu’une information à charge, largement erronée.

Les effets indésirables ne sont pas correctement étudiés

Les effets indésirables des pilules sont décrits sans évaluation du risque absolu 1 et les différentes pilules sont étudiées en fonction de leur génération et non en fonction de la dose d’œstrogène et du type de progestatif 2. Ainsi, l’auteure décrit, pour les pilules de quatrième génération « un risque de thromboembolie multiplié par trois (vis-à-vis des pilules de deuxième génération qui multiplient déjà elles-mêmes ce risque par deux, comparé à une femme qui ne prend pas la pilule) » (p. 50). On trouvera une bonne mesure des risques thromboemboliques dans une étude 3 française sur cinq millions de femmes ayant utilisé un contraceptif oral. Pour 10 000 utilisatrices, on observera en un an entre 3 et 11 embolies pulmonaires, AVC ou infarctus du myocarde, à comparer à moins de 1 sans pilule, 3 avec la combinaison de 20 µg d’éthinylestradiol et de lévonorgestrel (2e génération) et 11 avec la combinaison de 50 µg d’éthinylestradiol et de norgestrel (2e génération aussi) ; les risques sont intermédiaires avec 30 ou 40 µg d’éthinylestradiol combinés à de la noréthistérone, du gestodène ou du désogestrel (respectivement 1ère, 3e et 3e générations).

Pour ce qui est des risques de cancer, des données qui vont bientôt être publiées montrent que les contraceptifs oraux auxquels la population française a été exposée (œstroprogestatifs dans 92 % des cas) ont causé en 2015 moins de cancers qu’ils n’en ont prévenus. Ceci prend en compte d’une part les cancers du sein et de l’utérus dont le risque est augmenté par l’utilisation de contraceptifs oraux, et d’autre part les cancers de l’endomètre et de l’ovaire dont le risque est diminué.

Les résultats des études sérieuses sont cités de façon incorrecte ou sélective. Par exemple, « les femmes meurent deux fois plus de morts accidentelles que les autres » (p. 141) : le papier du Lancet cité rapporte, il est vrai, 34 décès chez les utilisatrices de pilule versus 17 chez les témoins, mais ce ne sont pas les bons indicateurs. Il faut, en effet, diviser ces nombres par la durée de suivi : les risques sont alors de 18,2 pour 100 000 versus 12,6 pour 100 000, ce qui est assez différent. La plupart des données citées montrent des erreurs du même type.

La description détaillée des effets secondaires repose essentiellement sur les déclarations de 3 616 femmes ayant arrêté la pilule, déclarations recueillies sur un site Internet de l’auteure. Ce n’est donc pas un « sondage » mais une auto-sélection de femmes insatisfaites de leur pilule. On ne peut pas en déduire la moindre estimation de la fréquence des plaintes dans la population des utilisatrices.

La pilule n’est pas naturelle

Une des bases de l’argumentaire de Sabrina Debusquat est que « la pilule n’est pas naturelle ». Elle écrit ainsi, par exemple, à propos des pilules qualifiées de naturelles par l’industrie parce que fabriquées à base de soja : « elles sont modifiées de très nombreuses fois en laboratoire et elles restent étrangères à notre corps » (p. 40). En suivant ce raisonnement, on peut jeter la plupart des médicaments et les remplacer par diverses décoctions, de saule pour l’aspirine, de digitale pour la digitaline, d’if du Pacifique pour le taxotère, mais alors le principe actif pourra être moins efficace et la dose sera très incertaine. L’idée qu’un traitement doit être rejeté parce qu’il est étranger à notre corps nous ramène très loin en arrière dans l’histoire de la médecine, probablement quand l’espérance de vie ne dépassait pas 35 ans.

La pilule est un perturbateur endocrinien

La pilule est aussi diabolisée parce que c’est un perturbateur endocrinien (cette diabolisation est d’ailleurs mal étayée, mais ceci est une autre histoire). Tout ce qui modifie les systèmes endocriniens est considéré a priori comme mauvais, ce qui englobe donc naturellement les hormones utilisées à des fins contraceptives.

La pilule est une invention misogyne

L’auteure décrit la pilule comme une invention misogyne, mais alors en quoi le stérilet serait-il moins misogyne ? Si l’on pousse la logique féministe jusqu’au bout, c’est la vasectomie qui devrait être la solution idéale du point de vue de la femme ! Cette solution est parfois utilisée dans les pays anglo-saxons quand une femme ne peut utiliser aucun des moyens contraceptifs disponibles ; elle est très rarement utilisée en France.

Un discours anti-scientifique

On trouve dans le livre bon nombre d’affirmations surprenantes et non étayées comme « des techniques comme l’angiographie sont efficaces pour déceler un problème cardiaque chez l’homme mais pas chez la femme » (p. 130), ou « le foie des patientes plus fragiles s’encrasse, et elles supportent moins bien certains aliments comme le blé, le lait ou les œufs » (p. 137).

Incohérence dans les solutions proposées

Enfin, l’auteure propose le stérilet comme alternative, mais finit par dire qu’elle ne l’a pas non plus supporté et déclare aujourd’hui utiliser la symptothermie qui repose sur la surveillance de la température et des glaires cervicales dix à quinze jours par mois pour déterminer la date de l’ovulation, et l’utilisation de préservatifs ou d’un diaphragme pendant la période à risque.

Des pseudo-experts

Les experts cités par l’auteure sont une intéressante sélection de personnages plus ou moins alternatifs, comme Henri Joyeux, cancérologue radié récemment de l’ordre des médecins pour sa position anti-vaccinale, ou Ross Pelton, un pharmacien américain qui prétend, entre autres, guérir le cancer par un régime alimentaire et qui est actuellement vendeur de compléments nutritionnels censés résoudre tous les problèmes de santé.

Conclusion

Les femmes ont un large éventail de moyens contraceptifs à leur disposition. Pour en choisir un, il leur faut des informations claires et honnêtes qu’elles ne trouveront absolument pas dans ce livre de Sabrina Debusquat.

1 Le risque relatif est un rapport entre deux risques dans des populations différentes, par exemple les utilisatrices de pilule A comparées aux utilisatrices de pilule B. Quand on dit que le risque est multiplié par deux chez les utilisatrices de A, on ne dit rien sur le risque absolu. Si le risque absolu avec B est d’un cas pour 10 000 femmes par an, on aura un cas en plus avec A pour 10 000 femmes par an. Si le risque avec B est de 2 000 cas pour 10 000 femmes par an, on aura 2 000 cas en plus avec A.

2 La plupart des pilules combinent un œstrogène et un progestatif. L’éthinylestradiol est l’œstrogène de synthèse le plus utilisé dans les pilules.

3 Weill A, Dalichampt M, Raguideau F, Ricordeau P, Blotière PO, Rudant J, Alla F, Zureik M, “Low dose oestrogen combined oral contraception and risk of pulmonary embolism, stroke, and myocardial infarction in five million French women : cohort study” BMJ, 2016, 353:i2002.