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L’accès rapide aux nouveaux médicaments n’apporte pas toujours un bénéfice pour les patients

Publié en ligne le 27 janvier 2020 - Intégrité scientifique -
Rédaction médicale et scientifique

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Les politiques de développement de nouveaux médicaments dysfonctionnent, mais les acteurs ne semblent pas prêts à améliorer le système. « Ce qui est nouveau est forcément mieux » est une idée ancrée dans nos raisonnements. Les publicités insistent sur la nouveauté, faisant croire qu’elle est synonyme de progrès.

En Allemagne, plus de la moitié des nouveaux médicaments sont sans bénéfice

L’autorisation de mise sur le marché d’un médicament est délivrée par des agences : la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, l’Agence européenne des médicaments (EMA) dans l’Union européenne ou l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en France (ANSM). Elles évaluent l’efficacité et la sécurité du médicament à partir d’essais cliniques réglementaires réalisés par les industriels. Les patients sélectionnés pour les essais ne sont pas toujours bien représentatifs de la population des patients qui seront ultérieurement traités. Pour démontrer l’efficacité et la bonne tolérance des produits examinés, ces essais comparent souvent le nouveau médicament à un placebo, et pas toujours aux médicaments déjà disponibles.

Ce sont d’autres agences qui s’intéressent au bénéfice apporté comparé aux stratégies thérapeutiques existantes, une fois obtenue l’autorisation de mise sur le marché. Ces nouvelles évaluations permettent aux autorités de décider si le médicament sera pris en charge par le système de santé, et dans certains pays d’encadrer le prix. C’est ce que fait, en France, la Haute autorité de santé quand elle évalue le service médical rendu pour proposer un niveau de remboursement 1. C’est aussi le cas de l’IQWIG allemand (Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen, Institut pour la qualité et l’efficacité des soins de santé).

Se pourrait-il que ce processus conduise à prendre en charge des médicaments qui, en réalité, n’apportent aucun avantage par rapport aux traitements existants ? Deux experts de l’IQWIG ont mis en évidence de telles dérives à partir des données allemandes [1]. Ils se sont appuyés sur les 216 médicaments évalués par l’IQWIG entre 2011 et 2017 en Allemagne. Sur ces 216 produits, si 25 % avaient bien un bénéfice ajouté « majeur ou considérable », 16 % n’avaient qu’un bénéfice « mineur » ou « non quantifiable » et, surtout, 58 % n’avaient aucune preuve d’un bénéfice ajouté. Deux médicaments présentaient même moins de bénéfices. Ce constat n’est pas propre à l’Allemagne.

Certains médicaments sont qualifiés de « me-too » ( « moi aussi ») car ils sont très similaires à des produits existants. S’ils peuvent parfois avoir un intérêt, par exemple en limitant les effets secondaires pour certains patients et en offrant alors une palette de choix, la plupart n’apportent en réalité aucun bénéfice thérapeutique. Dans des spécialités telles que les antibiotiques, il serait pourtant fondamental d’inciter au développement de nouvelles molécules, plutôt que d’investir dans le développement de produits « me-too », similaires aux existants. D’une façon générale, ne serait-il pas plus productif pour la santé publique de partir des besoins thérapeutiques plutôt que des intérêts de l’industrie et des professionnels de la santé ?

Des anticancéreux peu efficaces pour satisfaire patients et industries : les décideurs et régulateurs le savent

Aux États-Unis, et depuis les années 1990, la FDA peut autoriser la mise sur le marché de produits anticancéreux sans que soit prouvée une amélioration de la survie globale des patients (suivant une procédure dite « accélérée » [2]). Des critères prédictifs suffisent, par exemple la diminution constatée de la taille d’une tumeur (ce qui n’est pourtant pas un indicateur fiable d’amélioration de la survie) pour autoriser la mise sur le marché d’un anticancéreux. Cette autorisation est alors accordée sous réserve de produire ultérieurement des données prouvant l’efficacité réelle (survie, qualité de vie).

Deux articles publiés dans le numéro de juillet 2019 de la prestigieuse revue JAMA Internal Medicine ont apporté des données objectives. Ainsi, des chercheurs de l’université de Portland ont montré que seulement 21 % des médicaments anticancéreux autorisés entre 2006 et 2018 par la FDA dans le cadre de la procédure accélérée ont montré un bénéfice en termes de survie globale [3]. D’autres chercheurs ont évalué 93 anticancéreux ayant eu une autorisation accélérée par la FDA entre 1997 et 2017 : dans seulement 20 % des cas, les essais de confirmation ont montré une amélioration de la survie globale [4]. Leur conclusion est simple : peu d’anticancéreux approuvés par la FDA apportent ultérieurement la preuve de leur efficacité sur un critère de survie globale. Mais ces anticancéreux restent, pour la plupart, autorisés.

Une pharmacie,anonyme (c. 1700)

Commentant cette situation dans ce même numéro de la revue, des chercheurs de l’université de Pennsylvanie à Philadelphie constatent que la FDA est prise entre le marteau et l’enclume  « avec des pressions contradictoires pour d’une part accélérer la mise sur le marché des médicaments et d’autre part assurer leur sécurité et leur efficacité » [5]. Ils mettent en cause la pertinence de la seule réduction de la taille de la tumeur pour prédire une efficacité future sur la survie des patients. La procédure accélérée utilisant ce critère ne peut se justifier que si l’évaluation finale est faite peu de temps après. Outre les mauvais résultats observés, le constat que plus d’un quart d’essais restent retardés, et non terminés après une approbation accélérée est inacceptable. Et ils contestent la vision optimiste de la FDA qui met en avant que seuls 5 % des médicaments sont finalement retirés après l’échec des essais de confirmation en faisant remarquer que c’est l’agence elle-même qui décide de ces retraits et  « qu’elle est très réticente et très lente à le faire ». Ils comparent la situation de la FDA à celle des autorités de régulation de l’aéronautique à propos des Boeing 737 Max cloués au sol et invitent la FDA à  « faire preuve de rigueur dans son processus d’approbation accéléré afin que les patients atteints d’un cancer mettant la vie en danger ne prennent pas de médicaments dépourvus de preuves fiables d’amélioration de la survie globale ou de la qualité de vie ».

Enfin, un autre article commentant ces résultats, toujours dans le même numéro du JAMA Internal Medicine, souligne que  « parmi les organismes de réglementation, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis est particulièrement importante [car] ses décisions n’affectent pas seulement la population des États-Unis, mais influencent souvent les décisions prises dans d’autres pays » [6]. Ainsi, si l’agence américaine est en mesure « d’être l’un des principaux protecteurs mondiaux des patients contre les traitements inutiles ou néfastes », les pratiques rapportées montrent « un système d’évaluation post-commercialisation qui ne sert ni les patients, ni la société ». La recherche avance très vite, et s’il y a « une tendance naturelle à l’impatience » des personnes pouvant bénéficier de ces traitements, les données « nous rappellent que la plupart des nouveaux médicaments anticancéreux ne présentent au mieux qu’un bénéfice marginal, malgré leur coût énorme ».

Des éléments qualitatifs ont par ailleurs complété ces données quantitatives [7]. Ce sont 23 experts qui ont été longuement interviewés : tous ont eu des responsabilités majeures au sein de la FDA et l’un d’eux l’a même dirigée. Il ressort de ces entretiens que ces décisions de mise sur le marché d’anticancéreux par la procédure accélérée vont à l’encontre de la santé publique. Des études suggèrent que les évaluations postcommercialisation manquent souvent de transparence, sont sujettes à des retards et ne répondent pas aux questions les plus importantes sur le plan clinique. Selon ces experts, cet état de fait est connu par la FDA, mais l’agence ne peut rien faire. L’insuffisance des ressources dont elle dispose et la mauvaise coordination en son sein, ainsi que la difficulté, voire l’impossibilité, de retirer du marché un anticancéreux face à l’opposition des entreprises et des patients contribuent à cette situation.

La nouveauté n’est pas toujours synonyme de progrès. En France, comme dans d’autres pays, des entités (comme la revue Prescrire) militent contre la surmédicalisation. Leur contribution est noyée dans le foisonnement des informations qui nous parviennent.

Références

1 | Wieseler B et al., “New drugs : where did we go wrong and can we do better ?”, BMJ, 2019, 366 :I4340.

2 | Gellad WF et al., “Accelerated approval and expensive drugs – A challenging combination”, New Engl J Med, 2017, 376 :2001-04.

3 | Chen EY et al., “An overview of cancer drugs approved by the US Food and Drug Administration based on the surrogate end point of response rate”, JAMA Intern Med, 2019, 179 :915-21.

4 | Gyawali B et al., “Assessment of the clinical benefit of cancer drugs receiving accelerated approval”, JAMA Intern Med, 2019, 179 :906-13.

5 | DiMagno SSP et al., “Accelerated approval of cancer drugs – Righting the ship of the US Food and Drug Administration”, JAMA Intern Med, 2019, 179 :922-3.

6 | Lehman R et al., “An international perspective on drugs for cancer. The best of times, the worst of times”, JAMA Intern Med, 2019, 179 :913-4.

7 | Herder M, “Pharmaceutical drugs of uncertainty value, lifecycle regulation at the US Food and Drug administration, and institutional incumbency”, The Milbank Quarterly, 2019, doi :10.1111/1468-0009.12413

1 C’est ce qu’elle vient de faire à propos de l’homéopathie en proposant de cesser son remboursement.

Publié dans le n° 330 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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