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L’art de choisir ses citations

Publié en ligne le 5 juillet 2020 - Intégrité scientifique -

Les scientifiques publient les résultats de leurs recherches sous forme d’articles dans des revues scientifiques. Afin de rendre le contenu clair et précis, et faire en sorte qu’ils puissent être bien compris des autres chercheurs du domaine, le plan et la rédaction de ces articles suivent des règles maintenant bien codifiées (résumé, introduction, méthodes mises en œuvre, résultats obtenus, discussions sur ces résultats, conclusions). S’ils reprennent des données obtenues par d’autres chercheurs, ils doivent citer l’article original. Ainsi, une publication scientifique contient-elle toujours, à la fin, une section appelée « références » où sont rassemblés tous les articles cités dans le corps du texte. Citer un article suppose de l’avoir lu entièrement (ne lire que le résumé peut conduire à des erreurs) et de se garder de toute surestimation des résultats, de toute interprétation ou modification des messages portés. Il importe aussi de bien sélectionner ses références en fonction de la qualité de leurs méthodes (et non pas pour le seul intérêt de leurs résultats). Citer les éditoriaux de revues généralistes doit être considéré avec précaution car ils apportent plutôt des opinions que des preuves scientifiques.

Une pratique malhonnête consiste à choisir les citations en ignorant volontairement ces principes. Cette pratique conduit à présenter la science de manière trompeuse ou en privilégiant des critères en fonction de motivations diverses (opinions personnelles, intérêts idéologiques ou économiques).

Ces « biais de citation » ont fait l’objet de nombreuses études [1] et constituent une manière de contourner un obstacle ou un problème.

Saint Jérôme dans le scriptorium (XVesiècle)

Cela peut prendre différentes formes : omission volontaire de citer un article (celui d’un concurrent, un article qui contient des données qui dérangent le chercheur), sélection d’une certaine catégorie de publications (par exemple, uniquement les études qui concluent en faveur d’une hypothèse en ignorant celles qui pourraient l’infirmer), amplification de certains résultats (présenter des effets plus importants que ceux décrits dans l’article cité). On trouve même des cas où des articles sont invoqués en leur faisant dire l’inverse de ce qu’ils contiennent réellement ! Des auteurs ajoutent parfois des références à leurs articles pour faire plaisir aux rédacteurs des revues.

Il arrive aussi que ce soient les responsables éditoriaux des revues euxmêmes qui imposent des citations aux auteurs afin d’augmenter la notoriété de ces revues (le « facteur d’impact »). Une enquête à laquelle ont répondu 10 000 scientifiques américains apporte des informations intéressantes (et probablement en dessous de la réalité, car fondées sur de l’autodéclaration) [2] : presque 10 % des chercheurs en médecine, en sciences hors médecine, en sciences sociales, un peu plus de 20 % en sciences de l’ingénieur et presque 30 % en sciences économiques admettent ajouter des citations à la demande du rédacteur en chef ou des relecteurs.

Une étude portant sur l’analyse de 242 articles et 675 citations sur une période de 15 ans a illustré (sur le cas du dépôt d’une protéine dans le muscle pouvant produire une inflammation) que des thèses non fondées pouvaient être propagées au sein de la communauté scientifique par des citations biaisées [3]. Un constat similaire de propagation de théories erronées a été également mis en évidence dans un autre domaine (hypothèse qu’un haut degré d’hygiène au début de la vie augmenterait le risque de développer des allergies plus tard) [4]. Ces distorsions de la vérité concernent également des dossiers de demande de financement de recherches [3].

La dynamique des citations de deux équipes travaillant sur une relation éventuelle entre la natation dans des piscines chlorées et l’asthme de l’enfant a été analysée [5]. Dans ce cas, il a été clairement montré que les deux groupes d’auteurs ne citaient que les membres de leur équipe et jamais les membres de l’équipe concurrente.

Des pratiques qui ne sont pas marginales

Le rat de bibliothèque,Carl Schleicher (1825-1903)

La qualité des références citées en fin d’article a fait l’objet d’une quarantaine d’études (principalement dans les domaines de la biologie et de la santé) qui ont donné lieu à deux publications de synthèse [6, 7]. Les erreurs majeures sont classées généralement en trois catégories : (1) la référence ne contient pas les données pour confirmer l’affirmation où elle est invoquée ; (2) la référence n’a pas de relation avec l’affirmation ; (3) la référence contredit l’affirmation. Les erreurs mineures sont des simplifications, des généralisations abusives, des fautes triviales et des erreurs de dactylographie (devenues rares depuis l’ère de l’électronique). Ces résultats s’appuient sur un très grand nombre de références analysées. Par exemple, 7 321 références ont été évaluées dans une publication faisant une synthèse des données [6]. La conclusion est simple : selon les études, de 15 à 25 % des références avaient des erreurs (65 % majeures et 35 % mineures) [7].

Il y a de nombreuses explications pour ces pratiques douteuses. Les limites entre l’intentionnel et le non-intentionnel, entre les pratiques responsables de la science et les manipulations des références sont souvent floues et peu évidentes à déterminer. Ces pratiques allant à l’encontre de l’intégrité scientifique ont souvent pour résultat d’augmenter la notoriété d’une équipe, de faire plaisir au rédacteur de la revue ou d’appuyer indûment l’hypothèse soutenue par les auteurs. Dans certains cas, les auteurs pensent que beaucoup de citations peuvent aider à convaincre le lecteur de leur connaissance du sujet (fausse connaissance quand ils ajoutent des citations qu’ils n’ont pas lues). Dans d’autres cas, citer les noms des probables relecteurs est perçu comme une manière de ne pas irriter ceux qui vous évaluent et qui regardent si leurs propres recherches sont citées.

Cependant, les chercheurs ont une tendance naturelle à s’auto-citer ou citer leur équipe (une recherche est souvent un continuum au sein d’une équipe et il peut être normal de citer les travaux précédents pour bien situer un contexte). En cas d’oubli, le rédacteur en chef d’une publication ou le relecteur d’un manuscrit (choisis car ils connaissent bien le sujet) sont bien placés pour identifier des travaux similaires (éventuellement les leurs) et suggérer à l’auteur de les citer.

Les chercheurs plus expérimentés pour montrer l’exemple ?

En 2009 déjà, la situation était connue et jugée suffisamment grave pour nécessiter une action sérieuse [8]. La responsabilité des relecteurs des revues scientifiques et des comités de rédaction était pointée (ils pourraient vérifier le contenu des références citées dans les articles). Demander aux jeunes chercheurs d’avoir des pratiques de citation vertueuses ne peut être crédible que si les chercheurs expérimentés montrent l’exemple. Aujourd’hui, l’air du temps a changé : l’intégrité scientifique est une exigence croissante. Mais les « référents intégrité » qui se mettent maintenant en place dans nos grandes institutions scientifiques ontils connaissance de ces mauvaises pratiques de citations ? Enfin, vérifier des citations n’est pas facile et ne peut être fait que par des experts du domaine.

Références

1 | Song F et al., “Dissemination and publication of research findings : an updated review of related biases”, Health Technology Assessment, 2010, 14 :8.

2 | Fong EA, Wilhite AW, “Authorship and citation manipulation in academic research”, PLoS ONE, 2017, 12 : e0187394.

3 | Greenberg SA, “How citation distortions create unfounded authority : analysis of a citation network”, BMJ, 2009, 239 :b2680.

4 | Duyx B et al., “Selective citation in the literature on the hygiene hypothesis : a citation analysis on the association between infections and rhinitis”, BMJ Open, 2019, 9 :e026518.

5 | Urlings MJE et al., “Selective citation in the literature on swimming in chlorinated water and childhood asthma : a network analysis”, Research Integrity and Peer Review, 2017, 2 :17.

6 | Jergas H, Baethge C, “Quotation accuracy in medical journal articles – A systematic review and meta-analysis”, PeerJ, 2015, 3 :e1364.

7 | Mogull SA, “Accuracy of cited ‘facts’ cited in medical research articles : a review of study methodology and recalculation of quotation error rates”. PLoS ONE, 2017, 12 :e0184727.

8 | Fergusson D, “Inappropriate referencing in research”, BMJ, 2009, 239 :b2049.


Rédaction médicale et scientifique

Retrouvez plus d’informations sur le thème de l’intégrité scientifique sur le blog : redactionmedicale.fr


Publié dans le n° 331 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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