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L’étude sur les OGM de Gilles-Eric Séralini : une réaction de scientifiques

Publié en ligne le 1er octobre 2012 - OGM et biotechnologies -

Bien entendu, la vérité scientifique ne s’établit pas avec des pétitions ou des appels. Mais à l’évidence, l’opération politique développée à l’occasion de la publication de l’article de Gilles-Eric Séralini ne vise pas à l’avancée de la connaissance scientifique. Ses initiateurs souhaiteraient que leurs contradicteurs en restent sur le strict terrain des résultats allégués, de l’analyse qui prendra du temps, de la réplication qui demandera des années. Temps pendant lequel la campagne se développe sur un autre terrain : celui du grand public, des images choc, des politiques qui veulent se protéger de toute accusation de scandale sanitaire à venir. Avec le risque que « la forme médiatique et amplificatrice choisie par le pouvoir politique ne manquera pas de peser sur l’évaluation qu’elle réclame en urgence tout en anticipant ses conclusions. » 1

Ainsi, la réaction que nous reproduisons ici témoigne de l’indignation de chercheurs face à une instrumentalisation de la science, avec un « coup médiatique » présenté comme une « révélation scientifique ».

Science et pseudo-sciences
« Cette étude doit être considérée plus comme un coup médiatique que comme une révélation de résultats scientifiques » (*)
(*) Titre de la rédaction extrait du texte de l’appel.

Cet appel a également été publié dans le magazine Marianne du 29 septembre 2012.

De multiples études scientifiques réalisées sur le long terme, de 2 à 3 ans, sur des animaux (rats, bovins, cochons et volailles) n’avaient, jusqu’à présent, révélé aucun effet négatif des plantes « OGM » sur leur santé. Des millions d’animaux ont été nourris de par le monde avec des produits végétaux issus de plantes génétiquement modifiées depuis plus de 15 ans. Aucun signe clinique de maladie n’a jamais été signalé par les vétérinaires, même pour les reproducteurs âgés.

Aussi, la dernière annonce du CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique), selon laquelle le maïs génétiquement modifié NK 603 déclenchait assurément des tumeurs sur les rats a-t-elle provoqué l’étonnement de la communauté scientifique. Cette bombe médiatique a relancé le débat sur l’innocuité des OGM pour la santé dans l’opinion publique qui s’inquiète légitimement des conclusions de l’étude.

La médiatisation extraordinaire de l’étude a entraîné une réaction exceptionnellement rapide et très critique de la part de la communauté scientifique dans le monde entier. Des chercheurs américains, australiens, suisses, anglais, ont émis, comme l’AFBV (Association française des biotechnologies végétales), de très nombreuses réserves sur la méthode utilisée, la petite taille des effectifs par lot qui ne permet pas de tirer des conclusions statistiques sérieuses, le manque de précisions sur la composition de la nourriture donnée aux rats, etc. D’autres scientifiques, tout aussi nombreux, s’étonnent que les auteurs de l’étude aient retenu comme lignée des rats le type Sprague-Dawley/Harman. Le choix de cette lignée de rats qui développe spontanément et avec une fréquence très élevée des tumeurs est incompatible avec des lots de dix animaux pour une étude de toxicologie qui cherche à mettre en évidence un effet cancérigène.

L’absence de communication des données brutes de cette étude accentue les doutes de la communauté scientifique sur les conclusions qui en ont été tirées par les auteurs.

Nous sommes aussi très étonnés des réactions des États impliqués par les conclusions de l’étude du CRIIGEN. Après de telles conclusions aussi dramatiques et péremptoires, les pouvoirs publics des pays producteurs de cet OGM ou des pays importateurs n’auraient-ils pas dû instaurer un moratoire immédiat, principe de précaution oblige ? Or aucun d’entre eux n’a pris une telle décision, pas même les pouvoirs publics français pourtant habitués à faire du zèle dans ce domaine. S’attendent-ils à une invalidation de cette étude par les instances d’évaluation officielles comme cela a été le cas pour de précédentes études réalisées par le CRIIGEN ?

Cette étude a été financée, pour partie, par Carrefour et Auchan. Les responsables de ces deux entreprises en connaissent donc les résultats terrifiants depuis plusieurs mois. Pourquoi n’ont-ils pas, séance tenante, retiré de leurs rayons français comme étrangers tous les produits alimentaires susceptibles de contenir des traces de cet OGM ? Doutent-ils des résultats ? La seule réaction connue est celle de Carrefour qui a lancé en France une nouvelle campagne de publicité pour vanter ses produits « sans OGM » le lendemain de la révélation des conclusions de cette étude… certainement un pur hasard du calendrier.

Cette étude doit être considérée plus comme un coup médiatique que comme une révélation de résultats scientifiques. Informés des résultats sans avoir pu avoir accès aux données de base, un grand nombre de journalistes et d’hommes politiques se sont comportés comme de simples amplificateurs d’un message parfaitement « marketé » : une étude révélatrice, deux livres sortant simultanément quelques jours après la publication dans le Nouvel Observateur, un film… Une telle démarche n’est pas une démarche scientifique éthiquement correcte. Comme l’a écrit Sylvestre Huet, journaliste à Libération, « Cette opération est un désastre pour le débat public, sa qualité, sa capacité à générer de la décision politique et démocratique. »

Attendons donc dans le calme l’évaluation de cette étude par les instances d’expertise officielles françaises et européennes.

Appel de chercheurs INRA, CNRS, INSERM, universités (France, Belgique, Canada, Italie, USA, Australie, Brésil) :

Yannick Andréol, Dominique Anxolabehere, Francine Casse, Gérard Corthier, Yvette Dattée, Alain Deshayes, Michel Dron, Dusco Ehrlich, Marc Fellous, Christian Ferault, Claude Gaillardin, Patrick Gaudray, Pascal Genschik, Rosine Haguenauer-Tsapis, Danièle Hernandez-Verdun, Dominique Job, Philippe Joudrier, Claudine Junien, David Klatzmann, Hubert Laude, Olivier Lemaire, Pierro Marandini, Bernard Mauchamp, Claude Mawas, Jean-François Morot-Gaudry, Wayne Parrott, Gérard Pascal, Alain Pavé, Georges Pelletier, Georges Periquet, Jean-Claude Pernollet, Dominique Planchenault, Francis Quetier, Catherine Rameau, Hubert de Rochambeau, Pascal Simonet, Lucia de Souza, Maxime Schwartz, David Tribe, Daniel Vaiman, Marc Van Montagu, Robert Wager.

1 Jean-Yves Nau, « OGM-Monsanto : Pourquoi le gouvernement français s’est affolé », http://www.slate.fr/story/62473/ogm-monsanto-affolement-gouvernement-francais