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L’humanité au pluriel

Publié en ligne le 12 août 2008
L’humanité au pluriel
La génétique et la question des races

Bertrand Jordan
Seuil, 2008, 229 pages,19 €

[…] l’égalité en droit n’a pas à être fondée sur la biologie, elle est d’une autre nature, elle exprime le choix d’une société de considérer tous ses membres comme des égaux.

(page 75)


Alors qu’un homme, de « race noire », fils d’un père kenyan et d’une mère américaine, sera le prochain candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine à la fin de cette année, un autre homme, de « race blanche », prix Nobel de médecine en 1962, déclarait, à propos de son pessimisme quant à la prospérité de l’Afrique et selon des propos rapportés par Helen Nugent dans le Sunday Time du 17 octobre 2007, que « nos politiques de développement sont basées sur le fait que leur intelligence [celle des Africains] est la même que la nôtre, alors que tous les tests disent que ce n’est vraiment pas le cas  ». Ce genre de propos, tenus ici par James Watson, est sous-tendu par trois idées : d’une part la possibilité de catégoriser, de façon simple, la population humaine en races, d’autre part l’inégalité qui doit nécessairement exister entre les races ainsi définies et enfin la validation scientifique de la catégorisation et de l’inégalité.

Dans son nouveau livre, Bertrand Jordan, biologiste moléculaire et brillant vulgarisateur de sa discipline, membre du comité de parrainage de l’AFIS, revient sur tous ces aspects de la « question des races » et les éclaire par les dernières découvertes de la génétique.

Il montre, dans une première partie historique, comment les races furent définies dès le 17e siècle, selon les continents et la morphologie des individus, puis comment, jusqu’à nos jours, les données scientifiques sont utilisées par certains pour affirmer l’existence des races et leur inégalité. Bertrand Jordan montre aussi comment, au cours du 20e siècle, la perception de la race a évolué dans une nation d’immigrants comme les États-Unis.

À partir du milieu des années 1950, en réaction au nazisme, la différence entre les populations humaines devient culturelle : les sciences biologiques sont désormais utilisées au service d’une argumentation antiraciste et anti-inégalitaire. Un tel discours antiraciste fondé sur la science, et sur la génétique en particulier (« tous les humains partagent, en commun, 99,9 % de leur patrimoine génétique, nous sommes tous identiques, donc les races n’existent pas, donc le racisme n’a pas lieu d’être », « aucun groupe humain ne présente un gène que ne posséderait aucun autre groupe »…), est cependant très risqué : « vouloir prouver scientifiquement que tous les hommes sont égaux, c’est s’exposer à être démenti par une étude qui démontrerait des différences d’aptitudes physiques ou mentales entre individus ou entre groupes, et du coup remettrait en cause leur égalité  ».

Et c’est ce que montre la simple observation : les humains ne sont pas identiques et égaux du point de vue génétique. Il y a incontestablement une inégalité des groupes humains devant les maladies : certains groupes sont plus résistants au choléra, au paludisme, d’autres sont plus exposés au diabète… Pour autant, ces différences conditionnent-elles la personnalité, le comportement ou l’intelligence ?

L’auteur présente avec clarté les données actuelles de la génétique qui permettent de définir des groupes humains, telles les SNP (ou Snip), ces différences ponctuelles d’un seul nucléotide dans une séquence d’ADN constituée de milliers de nucléotides. En analysant un grand nombre de ces Snip dans l’ADN d’un individu, il est possible de le rattacher à un groupe géographique. Mais, parce que l’Homme est une espèce récente et qu’il n’est jamais resté très longtemps isolé sur un territoire restreint, ce ne sont pas des « races » qui sont ainsi définies, mais des groupes d’ascendance, dont les contours restent flous et la diversité interne très grande.

Ces techniques d’analyse du patrimoine génétique de chacun se perfectionnent et s’automatisent, et elles sont désormais disponibles pour le grand public : chacun peut rechercher par la génétique, moyennant finance, son origine ancestrale. Cette approche, particulièrement développée aux États-Unis en direction des populations afro-américaines ou amérindiennes, peut renforcer l’idée d’une séparation génétique des races mais en même temps, « elle bat en brèche la notion de race pure en montrant à quel point nous sommes tous des “métis” ».

Bertrand Jordan discute aussi de la relation « race » et maladie, de l’idée (commerciale !) de médicament « ethnique » et des aptitudes particulières à une « race ».

Enfin, une bibliographie et une « webographie » fournies permettent d’approfondir les différents sujets en renvoyant, en particulier, aux publications scientifiques originales.

Ce livre est particulièrement utile à un moment où affluent de nombreuses informations sur le génome humain et où la problématique des « races » et de leurs prétendues aptitudes reste d’actualité.