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L’hypnose

Publié en ligne le 27 novembre 2005 - Cerveau et cognition -
par Yves Galifret - SPS n°201, janvier 1993

Reprise d’un article des Cahiers rationalistes de 1987.

Le terme d’hypnose couvre des pratiques très variées s’exerçant sur l’animal ou sur l’homme et dans des environnements qui vont du music-hall au laboratoire en passant par les cabinets du guérisseur, du médecin marron et du clinicien sérieux. De plus, chez l’homme, elle implique une relation particulière entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé, relation affective qui prend des formes diverses selon la personnalité du sujet mais qui implique toujours que, comme le dit le psychiatre Henri Ey en préface à un ouvrage du psychiatre hypnotiseur Léon Chertok (L’hypnose, 3e éd. Masson, 1963) : « La force de l’hypnotiseur a besoin de la faiblesse de l’hypnotisé, de sa complicité inconsciente ».

Une telle situation ne facilite pas l’étude objective des phénomènes et on comprend que, dans de telles conditions, l’hypnose ait plutôt mauvaise presse et soit considérée par beaucoup « comme un mélange de jeu, de supercherie et de simulation ».

Un rejet aussi catégorique est-il justifié ? Nous envisagerons d’abord les phénomènes de suggestion hypnotique dans lesquels l’hypnotiseur, par la parole, provoque une manifestation motrice (chute du sujet en arrière, par exemple) ou une manifestation sensorielle (sensation olfactive, par exemple, en l’absence du produit odorant).

L’effet inverse peut également être recherché : blocage d’une sensation (insensibilité par exemple à la présence d’ammoniac). On passe de là aux applications thérapeutiques avec le blocage hypnotique ou la diminution des sensations douloureuses. De tels phénomènes sont attestés par des auteurs qui paraissent dignes de foi et il semble que l’on puisse admettre la possibilité de leur obtention. On notera qu’ils relèvent tous directement du fonctionnement du système nerveux et, si l’on ne peut leur proposer une explication précise, on peut au moins admettre que cette explication soit possible, en droit, dans le cadre de la neurophysiologie classique.

La situation se complique si l’on passe dans le domaine de l’immunologie. La réaction allergique, combinaison d’un antigène (dans ce cas, un allergène) à un anticorps, dérive de l’activité du système réticulo-endothélial et non de l’activité du système nerveux. On sait cependant que l’asthme, le rhume des foins ou l’urticaire sont très dépendants de l’état psychologique du sujet. La crise d’asthme provoquée par la vue de fleurs artificielles chez les sujets allergiques aux pollens est à cet égard très démonstrative. À l’inverse on a pu, chez certains sujets - mais tous les auteurs n’ont pas enregistré les mêmes succès - inhiber par suggestion hypnotique la réaction positive de la peau à une injection intradermique de tuberculine. En fait, les biopsies montrent qu’on ne bloque pas l’activité des leucocytes, le processus de défense lui-même, mais l’exsudation de fluide : d’où l’absence du gonflement caractéristique. Il y aurait donc seulement modification des perméabilités au niveau des membranes cellulaires et des microcapillaires, ce qui nous ramène à une action possible de neuromédiateurs libérés par le système neurovégétatif.

Cette intervention du système neurovégétatif est patente dans la suggestion hypnotique de chaleur de la main : la sensation de chaleur éprouvée par le sujet est corrélative d’une vasodilatation expérimentalement mesurée.

Les liens possibles entre le système nerveux et le phénomène cutané deviennent encore plus difficiles à imaginer dans le cas des verrues, tumeurs bénignes d’origine virale. Il semblecependant que l’on doive admettre le témoignage de cliniciens sérieux qui disent les avoir fait disparaître après quelques séances de suggestion hypnotique. Cette susceptibilité de la verrue aux conditions psychologiques pourrait probablement expliquer un certain succès à la campagne des nombreux remèdes de bonne femme. Encore faut-il faire la part des guérisons spontanées.

Pour répondre à l’objection, deux praticiens anglais ont fait une expérience sur 14 sujets affectés de verrues des deux côtés du corps. Seul le côté le plus affecté fut concerné par la suggestion hypnotique. Chez quatre sujets l’hypnose n’eut aucun effet ; chez les dix autres les verrues disparurent du côté « traité » et subsistèrent du côté « témoin ». Mais on trouve également dans la littérature le témoignage de praticiens qui disent n’avoir obtenu aucun succès dans le traitement des verrues par suggestion, hypnotique ou non.

On touche là une des difficultés majeures de l’étude de ces phénomènes : bon nombre de cas les plus spectaculaires sont observés dans des milieux dont la rigueur scientifique n’est pas la caractéristique dominante, en sorte qu’il est impossible de faire le partage entre réalité, truquage et illusion. De plus, à supposer qu’ils soient réels - et certains semblent l’être - ces phénomènes peuvent être difficiles à provoquer ; certains sujets sont absolument réfractaires - et encore plus difficiles à reproduire.

Ce genre d’argumentation est exactement celui qui est utilisé pour défendre les fantasmes parapsychologiques et, malheureusement pour sa crédibilité, l’hypnose est souvent associée à la parapsychologie, transmission de pensée, influences mystérieuses, etc. Le physiologiste (?) soviétique L. Vassiliev a été dans les années cinquante, soixante, un représentant typique de cette tendance et l’on regrettera que ses élucubrations, comme celles de Rhine, soient prises au sérieux dans un article, Hypnose et télépathie, figurant dans un volume publié sous la direction de Léon Chertok, Résurgence de l’hypnose (Desclée de Brouwer, 1984).

En dépit de ce handicap, l’hypnose ne peut être systématiquement rejetée et, s’il faut faire le bilan de ce que l’on trouve actuellement dans la littérature, on peut dire :

1. Qu’il faut admettre que, dans certaines circonstances qui restent à être scientifiquement analysées, des représentations mentales, suggérées sous hypnose, peuvent provoquer des manifestations somatiques. Le problème de la limite entre manifestations somatiques de ce genre, possibles et impossibles, est quasiment insoluble, le succès dépendant d’un grand nombre de facteurs difficilement contrôlables comme l’attitude du sujet, l’attitude de l’expérimentateur, la tonalité de la relation entre les deux protagonistes, etc. Et, pour répondre à la question de notre correspondant au sujet des brûlures au second degré (avec vésications), on peut citer Chertok qui écrivait, en 1963 : « Dans la littérature ancienne figure l’expérience célèbre des brûlures au 2e degré obtenues par suggestion (cependant, les auteurs récents ne semblent pas en mesure de renouveler ces résultats) ». Mais, s’étant intéressé de plus près au phénomène et disposant de deux patientes faciles à hypnotiser, il a été capable de provoquer ces brûlures chez les deux sujets. (Il donne les circonstances et le détail des expériences dans son ouvrage de 1979, Le non-savoir des psy ; Payot, édit.).

Quant à l’hémostase, la littérature, en provenance surtout de la chirurgie dentaire, indique une possibilité de réduction du saignement plutôt qu’une interruption totale, plus rare. Au demeurant le problème de la limite est mineur ; quelle que soit l’importance du phénomène provoqué, l’essentiel est qu’il le soit, réellement.

2. Que les mécanismes organiques, qui relient la représentation mentale à la manifestation somatique, sont loin d’être élucidés. Cependant, les efforts qui sont faits à la frontière de l’immunologie et des neurosciences, sont prometteurs. Ainsi on a montré que des neurotransmetteurs et des neuropeptides, molécules essentielles au fonctionnement du système nerveux, sont capables de se fixer sur des cellules du système immunitaire et d’en modifier le fonctionnement. De même, certaines molécules apparentées aux benzodiazépines(du groupe des tranquillisants) mais anxiogènes et convulsivantes sont capables d’augmenter les réactions immunitaires. Elles agiraient, d’une part au niveau de la rate, en accroissant la formation des lymphocytes B producteurs d’anticorps et d’autre part au niveau des macrophages sur lesquels elles se fixent en accroissant leur activité phagocytaire (les macrophages absorbent les éléments étrangers). Il n’est pas douteux que les progrès de la biologie moléculaire dans ces domaines nous permettront de connaître de mieux en mieux les multiples maillons de la chaîne causale et peut-être un jour d’expliquer le mécanisme de l’influence de la suggestion sur les verrues. Ce jour-là, comme le dit Chertok, un grand pas sera fait vers la compréhension des phénomènes psychosomatiques.

Quant à l’interrogation sur les stigmates ; on pourrait leur ajouter certaines des guérisons dites miraculeuses. Si stigmates ou guérisons il y a - il existe une très solide tradition de tricherie dans ces domaines - ces phénomènes relèvent des mêmes mécanismes. La représentation mentale n’est plus, dans ces cas, suggérée par hypnose, elle est forgée par l’enseignement religieux et l’exaltation mystique des sujets. Il n’y aurait donc rien là de miraculeux au sens d’irréductible à des phénomènes connus, si ces modifications somatiques se produisent réellement.

Pour en terminer avec ces considérations trop sommaires - il faudrait revenir sur une histoire où se mêlent les noms de Messmer, Charcot, Bernheim, Janet, Coué, Babinsky, Breuer, Freud... et qui aide à comprendre la difficulté de l’hypnose à trouver son statut - je voudrais préciser un dernier point qui semble n’être que formel mais qui implique en réalité toute une conception de la psychologie. Dans les considérations sur l’hypnose et la suggestion hypnotique on trouve très fréquemment des expressions du genre action du moral sur le physique, influence de l’esprit sur le corps, puissance de la pensée... propres à accroître l’aura mystérieuse qui entoure ces phénomènes. Sans revenir ici sur le fond d’un problème qui a été traité ailleurs (Raison Présente, 1985, n° 76 ; Bulletin de Psychologie, 1987, T. XL, n° 381) disons que ces formulations suggèrent un dualisme qui fait de la pensée une « chose », une « substance » qui agirait sur une autre « substance », celle du cerveau ou même du corps, directement. Une telle présentation ne facilite évidemment pas la compréhension des mécanismes et renvoie à « l’influence mystérieuse de l’esprit sur la matière ».

En fait, qui dit suggestion ou suggestion hypnotique, dit message verbal, utilisation d’un codage symbolique dont le cerveau a appris le maniement. Entre ce message et une éventuelle manifestation somatique, les mécanismes d’élaboration sont infiniment plus complexes mais dans le principe le rapport est le même qu’entre un ordre banal et son exécution. Pourquoi ne pas dire qu’il y a influence de l’esprit (de l’adjudant) sur la matière (du fantassin) lorsque celui-ci se met à marcher parce que celui-là a crié « en avant, marche » ?