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L’incident du Tricastin

Publié en ligne le 22 septembre 2008 - Nucléaire -

Une fuite de 30 mètres cubes d’une solution contenant de l’uranium s’est produite le 8 juillet dernier dans une usine du site nucléaire du Tricastin à Bollène (Vaucluse), une partie se déversant dans les rivières environnantes. L’incident, classé au niveau 1 sur l’échelle internationale des événements nucléaires (INES, de l’anglais International Nuclear Event Scale) a fait l’objet d’une importante couverture médiatique : ouverture des journaux télévisés, une des principaux quotidiens. Il se produit en France chaque année en moyenne une centaine d’incidents de niveau 1 (voir encadré). Ce niveau de classification correspond à l’absence d’impact sur la santé ou l’environnement. Pourtant, Greenpeace a aussitôt demandé la tenue d’un vaste débat sur le nucléaire, mais aussi la suspension du programme EPR. L’association « Sortir du nucléaire » s’interroge : « Faut-il attendre un Tchernobyl français avant de prendre les décisions qui s’imposent ? Un rassemblement antinucléaire européen, samedi 12 juillet à Paris, permettra aux citoyens d’exprimer la nécessité de sortir du nucléaire ».

L’échelle internationale des événements nucléaires

C’est une échelle mise en place au niveau international en 1991. Elle vise à faciliter la perception par les médias et le public de l’importance d’un incident ou accident impactant des installations nucléaires. Les événements sont ainsi classés du niveau 0 au niveau 7 selon leur gravité et en fonction de trois critères : incidences hors du site sur les personnes ou les biens, incidences sur le site, et incidences sur la défense en profondeur de l’installation. Les évènements de niveau 1 à 3 sont sans conséquence significative sur les populations et l’environnement (on parle d’incident). Du niveau 4 à 7 on utilise le terme « accident ».

Pour le niveau 0, on parle d’un « écart », une anomalie « sans importance du point de vue de la sûreté ». On en recense de l’ordre d’un millier par an en France. Un incident de niveau 1, comme celui du Tricastin est qualifié d’« anomalie », anomalie sortant du régime de fonctionnement autorisé. On en recense en moyenne une centaine par an. Tous les événements classés au niveau 1 et au-dessus font l’objet d’un « avis d’incident » publié sur le site de l’ASN. La catastrophe de Tchernobyl correspondait au niveau 7.

Depuis le début de l’année 2008, l’ASN a recensé 69 incidents de niveau 1 (un tous les trois jours en moyenne), dont une petite dizaine concerne des sites tels que les aéroports, les universités ou des laboratoires de recherche.

Certes, la SOCATRI, filiale d’AREVA qui exploite le site, a fait preuve de négligences. Mais une information honnête aurait permis aux citoyens de se faire une idée précise de la réalité de l’incident, de ses conséquences et des risques associés, loin des amalgames qui ont été faits. Le collectif « Sauvons le climat » a ainsi jugé utile et nécessaire de mettre l’incident du Tricastin en perspective en expliquant ce que signifient les recommandations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) sur les concentrations d’uranium dans l’eau potable. Nous reproduisons ici une adaptation de ce texte, signée Hervé Nifenecker.

L’incident de Tricastin ne concerne pas une centrale nucléaire

Le débordement d’un réservoir contenant une solution uranifère a eu lieu sur le site de la société SOCATRI (SOCiété Auxiliaire du TRIcastin), filiale d’AREVA. Entre autres activités, SOCATRI retraite les effluents de l’usine de séparation isotopique du Tricastin.

L’uranium est plus un toxique chimique que radiologique

Pour l’uranium, l’OMS retient une toxicité chimique rénale pour l’estimation de la concentration maximale admissible. La plus faible dose au-delà de laquelle des rats ont montré une détérioration de la fonction rénale correspond à une absorption journalière de 0,06 mg/kg. Pour tenir compte des incertitudes (extrapolation du cas du rat au cas de l’homme et influence des différences entre individus) l’OMS applique un facteur de réduction de 100, soit une absorption journalière tolérable (TDI) inférieure à 0,0006 mg/kg pour un homme de 60kg buvant 2 litres d’eau par jour. On obtient ainsi une concentration moyenne annuelle de 0,015 mg/litre d’eau. Il s’agit là d’une moyenne annuelle. Un dépassement de la norme est donc possible pendant une période limitée pourvu qu’on revienne en dessous de la moyenne pendant le reste de l’année.

Dans la pratique, selon l’OMS, de nombreuses eaux potables ont des concentrations plusieurs dizaines de fois supérieures à la norme sans que les reins des consommateurs semblent affectés 1.

Lors de l’incident du Tricastin, 30 tonnes d’une solution contenant environ 70 kilos d’uranium ont été relâchées. La concentration d’uranium dans la solution était donc de l’ordre de 2 grammes par litre. Selon l’ASN 2, après le débordement les concentrations observées étaient de l’ordre de 100 fois la norme de l’OMS, soit environ 1,5 mg/l. Autrement dit, pour atteindre la dose annuelle 3 un individu aurait dû boire une dizaine de litres de cette eau. Et il aurait eu peu de temps pour ce faire puisque, toujours selon l’ASN la concentration est revenue à la normale en quelques jours. L’IRSN 4 n’a observé aucune augmentation significative de la concentration d’uranium dans les poissons (environ 10 µg/kg).

L’effet radiologique

On peut calculer la dose recommandée concernant les effets des radiations. Le critère retenu par l’OMS est que l’irradiation annuelle due à l’uranium n’excède pas 0,1 mSv 5, soit le trentième de l’irradiation naturelle 6. Cette dose est obtenue par l’ingestion de 730 litres d’eau par an (2 litres par jour) ayant une concentration de 0,27 mg/l, près de 20 fois supérieure à celle correspondant à la toxicité rénale. C’est pourquoi c’est cette dernière qui a été retenue par l’OMS.

En général, les travailleurs sont soumis à des doses beaucoup plus importantes que le public en général. Les métallurgistes de l’uranium ont payé un lourd tribut à la naissance de l’industrie nucléaire et c’est leur malheureuse expérience qui a permis de définir, dès 1950, la dose létale d’uranium naturel 7 : 2 mg/kg soit environ 140 mg pour un travailleur 8. Dans ce cas le décès est dû à une intoxication rénale aiguë. Pour la même incorporation et en supposant une période biologique 9 de l’uranium d’un an on calcule que la dose de radiations reçues serait de l’ordre de 20 mSv, soit une augmentation maximum de la probabilité de cancer de un pour mille. On voit clairement ici que l’uranium est un poison chimique, assez semblable par ses effets à l’arsenic.

L’uranium dans l’environnement

L’uranium naturel est omniprésent dans notre environnement. Dans les sols, en moyenne on le trouve à une concentration de 3 à 4 parties par million (ppm) 10. Ainsi, par exemple, un jardin de 1 000 m2 contient environ, sur un mètre d’épaisseur, 10 kg d’uranium. Ces concentrations varient énormément et peuvent atteindre 80 ppm dans certains schistes et 350 ppm 11 (350 mg/kg, correspondant à 4 000 Bq 12) dans les phosphates.

Dans l’eau douce la concentration est souvent de l’ordre du μg/L, mais elle peut atteindre, dans des cas exceptionnels, la dizaine de mg/L. Dans l’eau de mer la concentration d’uranium atteint 3,3 microgrammes par litre : un km3 contient donc 3,3 tonnes d’uranium. On estime que l’océan contient 4 milliards de tonnes d’uranium qui se renouvelle au rythme de 20 000 tonnes par an grâce à l’apport des cours d’eau. On a mesuré que l’Isère voyait passer 7 tonnes d’uranium par an et on estime que le Rhône en rejette 300 tonnes à la mer pour un débit de 1 800 m3/s.

Dans les cendres produites en un an par une centrale à charbon d’une puissance de 1 000 MW, qui consomme plus de 4 millions de tonnes de charbon par an on trouve 5 tonnes d’uranium (et 13 tonnes de thorium)

Enfin nous abritons en nous une centaine de microgrammes d’uranium, pouvant même dépasser plusieurs centaines selon notre alimentation.

Conclusions

Sur le plan sanitaire et environnemental, la fuite du Tricastin est un non-événement, beaucoup moins grave que le déversement d’une cuve de fioul dans un cours d’eau. Sur le plan médiatique il en a été tout autrement. Manifestement, l’uranium fait peur alors que c’est un élément omniprésent dans le sol, dans l’eau et dans notre propre corps. C’est, essentiellement, un toxique chimique comme la plupart des métaux lourds, mais les médias ont surtout retenu le fait qu’il était radioactif. La radioactivité fait peur à de nombreux compatriotes à qui on n’a pas expliqué que nous sommes plongés dans une radioactivité naturelle, que nous sommes nous même des sources radioactives (7 000 becquerels pour un individu de 70 kg), mais que personne n’a jamais mis en évidence le moindre effet nocif de cette radioactivité naturelle ambiante. Là comme ailleurs, tout est question de dose. Rappelons que la dose guide fixée par l’OMS est très prudente et doit s’entendre comme devant être intégrée sur un an. 13.

Dégâts collatéraux

« Près du Tricastin, c’est la crise » titre Aujourd’hui dans son édition du 16 août 2008. « Des touristes qui désertent la région, l’immobilier en chute, des viticulteurs qui doutent… La fuite d’uranium du 7 juillet a cassé l’activité économique des quatre communes entourant le Tricastin. » Le même journal poursuit son enquête : un restaurateur parle d’un « endroit à éviter ». « Vendre en ce moment est impossible » raconte une habitante qui évoque une perte de 50 % de la valeur de ses biens. Une photo du lac Lapalud montre la rive déserte, là où l’an dernier des centaines de touristes profitaient de la place et de l’étendue d’eau. Mêmes les viticulteurs veulent débaptiser leur cru. L’impact le plus significatif de l’incident aura sans doute été celui-là.

Ceux qui ont choisi de médiatiser ainsi cet évènement en ne donnant pas les informations factuelles sur la réalité de l’incident, ses impacts sanitaires et environnementaux réels, mais en cultivant la peur et l’inquiétude, ne portent-ils pas une responsabilité dans ces conséquences économiques et sociales ?

La question du nucléaire ne mérite-t-elle pas un débat plus sérieux et dépassionné ?


Il est vrai que l’incident du Tricastin est consécutif à une erreur humaine ou organisationnelle. Mais, en général, il est illusoire de penser que les erreurs humaines ou les défaillances matérielles puissent être complètement éliminées. Les politiques de sûreté sont, certes, de limiter la probabilité de tels dysfonctionnements, mais, surtout, de faire en sorte qu’un tel dysfonctionnement ou même plusieurs simultanés, ne puissent conduire à une catastrophe : c’est ce qu’on appelle la défense en profondeur.

Nous ne pouvons que nous féliciter du choix en matière de nucléaire civil consistant à répertorier et rendre public chacun des accidents et des incidents, aussi anodins soient-il. Certes, cette transparence mise en œuvre par les pouvoirs publics et les opérateurs peut sembler entretenir un climat d’incertitude anxiogène pour une fraction de la population ou donner des armes à une exploitation partisane peu scrupuleuse du respect de la réalité des faits par quelques opposants irréductibles ; il n’y a néanmoins pas d’autre voie que le renforcement permanent de la transparence et de la sécurité en matière nucléaire pour consolider toujours davantage le pacte de confiance tourné vers l’avenir que les français ont passé depuis plus de cinquante ans avec la production d’énergie électrique d’origine nucléaire. Toutefois la transparence n’est pas suffisante si elle se limite à citer des chiffres (Becquerels, Sieverts) sans être accompagnée d’une pédagogie consistant à expliquer la nature et l’ampleur des risques courus par le public, par exemple en les comparant aux risques d’irradiation encourus dans des activités banales comme un vol en avion ou un séjour à la montagne.

1 Pour la petite histoire, l’eau de Badoit et de Saint-Yorre flirtaient avec une concentration de 0,1 mg par litre avant que les exploitants décident de la filtrer sur oxyde de manganèse pour éliminer cette concentration devenue gênante depuis la Directive OMS… qui a failli faire perdre à ces eaux leur statut d’eau minérale.

2 Autorité de sureté nucléaire, organisme qui « assure au nom de l’État, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l’environnement des risques liés aux activités nucléaires » http://www.asn.fr.

3 Nous l’avons dit, pour des expositions limitées dans le temps le concept de dose limite moyenne ne s’applique pas. Citons le rapport de l’OMS Guidelines for Drinking-water Quality : « As TDIs are regarded as representing a tolerable intake for a lifetime, they are not so precise that they cannot be exceeded for short periods of time. Shortterm exposure to levels exceeding the TDI is not a cause for concern, provided the individual’s intake averaged over longer periods of time does not appreciably exceed the level set. »

4 L’IRSN est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle conjointe de 5 ministères et joue un rôle « d’expert public en matière de recherche et d’expertise sur les risques nucléaires et radiologiques ».

5 Pour évaluer l’impact de la radioactivité sur l’homme et les organismes vivants, on utilise une unité de mesure appelée « Sievert », du nom du physicien suédois Rolf Sievert. Cette unité permet d’estimer la « dose reçue », c’est-à-dire de mesurer notre exposition aux rayonnements
http://www.cea.fr/multimedia/Pages/....

6 Les plus récentes études montrent qu’une telle augmentation de la dose reçue naturellement n’a aucun effet négatif. dose est obtenue par l’ingestion de 730 litres d’eau par an (2 litres par jour) ayant une concentration de 0,27 mg/l, près de 20 fois supérieure à celle correspondant à la toxicité rénale. C’est pourquoi c’est cette dernière qui a été retenue par l’OMS.

7 Par ingestion concentrée dans le temps. La dose létale est plus importante si l’ingestion a lieu sur une période longue.

8 Barillet : La Sécurité dans les laboratoires et les fabriques de produits chimiques minéraux, fasc.5 1950 Tiré à part de l’Industrie Chimique.

9 Durée moyenne de présence de l’uranium dans le corps avant son excrétion, essentiellement par voie urinaire.

11 L’activité d’un gramme d’uranium vaut 11 000 Becquerels (Bq).

12 Un échantillon radioactif se caractérise par son activité qui est le nombre de désintégrations de noyaux radioactifs par seconde qui se produisent en son sein. L’unité d’activité est le becquerel, du nom du physicien français Henri Becquerel qui a découvert la radioactivité en 1896 et de symbole Bq. 1 Bq = 1 désintégration par seconde.
http://www.cea.fr/multimedia/Docume....

13 Par exemple une dose limite de 1 mSv peut être obtenue par une irradiation moyenne et constante de 0,27 μSv par jour, ou par une irradiation de 0,9 mSv pendant un mois suivie d’une irradiation de 0,1 mSv pendant les 11 mois suivants.