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L’irrationnel à la une

Publié en ligne le 28 juillet 2006 - Pseudo-sciences -

Le numéro daté du 21 janvier du quotidien Paris Normandie 1 affiche au milieu de sa première page un titre annonçant un dossier sur l’art de soigner les maladies des humains en soignant leur maison. De quoi s’agit-il ? La page 2, entièrement consacrée au dossier, nous renseigne. Elle contient des interviews de quatre personnages, experts autoproclamés, et d’une dame se disant satisfaite des services reçus. S’y ajoutent deux encadrés résumant et développant les conseils donnés et les concepts exposés.

Les procédés préconisés ressortissent d’une pseudo-science baptisée « géobiologie », en liaison avec la vieille tradition chinoise du « Feng-shui », convenablement modernisée pour tenir compte des nuisances supposées dues aux technologies actuelles. Ce type de sujet a été largement traité dans le dossier « ondes et champs » de notre numéro 266.

L’impression première qui se dégage de cet ensemble de textes, de photos, d’interviews, est l’absence totale, de la part des journalistes, de toute distanciation, de toute amorce d’esprit critique. On nous rapporte des séries d’affirmations péremptoires, présentées comme des certitudes, dépourvues de la moindre preuve à valeur scientifique. Tout cela est en complète contradiction avec les bases de la physique et de la biologie. Comme toujours cette contradiction ne conduit pas à nier a priori les phénomènes, mais à reporter la charge de la preuve sur ceux qui en affirment la réalité.

Quatre charlatans font leur publicité

Le géobiologue Hervé Tomin utilise baguette et pendule du radiesthésiste pour détecter les émanations supposées maléfiques d’un terrain devant porter une construction. Citons une de ses perles : il prétend mesurer la fréquence vibratoire du lieu, qui se situerait entre 6 500 et 9 000 Hertz. Outre les courants d’eau souterraine et les cheminées cosmotelluriques, il détecte aussi les âmes errantes !

Patrick Gaquerel se dit entrepreneur du bâtiment. Il s’appuie sur la tradition chinoise du Feng Shui pour implanter son entreprise, mais, pour faire bonne mesure, convoque aussi un radiesthésiste.

Hervé Laurent serait jardinier géobiologiste, « acupuncteur de la terre ». Il utilise lui aussi la radiesthésie. Au passage, une affirmation de bon sens : « l’ombre est l’ennemie du jardin ». Nul besoin de mise en scène pseudoscientifique pour en convenir !

Thierry Hazard est architecte d’intérieur. Son propos sur l’intégration de l’homme dans son environnement par la géobiologie est bien vague. Mais on le suit, hélas, quand il rapporte que rien ne se construit à Hong Kong sans l’avis du maître en Feng Shui.

Deux encadrés en rajoutent

Le dossier comprend deux encadrés supposés résumer les prescriptions de nos quatre praticiens, mais qui semblent en fait aller au delà. Le premier s’intéresse surtout à des facteurs d’environnement, le second aux influences imaginaires des appareils électriques.

Le premier encadré, intitulé « ce que la géobiologie prend en compte », récapitule tout ce qui est supposé nocif. Cela va des eaux souterraines aux objets chargés de mémoire négative. Impossible d’y échapper !

Le second encadré donne « des clés pour mieux vivre dans notre maison ». On y apprend que le radio-réveil doit être à 1,20 m au moins de notre tête, que le bois est un fabuleux conducteur de champ électromagnétique, que les miroirs renvoient les ondes nocives, que, si les installations ne sont pas mises à la terre, l’ionisation de l’air sera déstabilisée. Mais aussi (ce qui semble évident) qu’une cuisine doit être aérée.

Une profession en or

Le métier de conseiller en géobiologie est vraiment une profession idéale. Pas de risque de se faire poursuivre pour exercice illégal de la médecine comme les guérisseurs ; pas de risque d’être contredit par les faits, comme un radiesthésiste qui aurait fait forer un puits sec, puisque les bienfaits attendus sont hautement sensibles à l’imagination (meilleur sommeil) et invérifiables ; honoraires modestes mais nombreux clients, donc pas la peine de porter plainte ; on ne tombe pas dans la catégorie des sectes, car on cherche des clients et non des adeptes.

On comprend qu’un peu de publicité rédactionnelle soit la bienvenue. Mais comment les journalistes qui s’y sont prêtés ne se rendent-ils pas compte de la pollution intellectuelle qu’ils véhiculent ?

1 Merci à notre ami et abonné Jean-Louis Aurigny de nous avoir alerté sur ce numéro de Paris Normandie, et de nous avoir fait parvenir les coupures de presse.