Accueil / En direct de l’ASP / "La Constance du jardinier" et les cobayes humains

"La Constance du jardinier" et les cobayes humains

Publié en ligne le 1er août 2006 -
par Pascal Lapointe

Dans le film La Constance du jardinier 1, qui sort en DVD ce mois-ci, une multinationale pharmaceutique utilise des populations pauvres du Kenya pour tester en secret — et au prix de nombreuses vies — son médicament.

Dans la vraie vie, une telle chose pourrait-elle se produire ?

Réponse : oui et non. Il ne faut pas se leurrer : la misère extrême de nombreux pays est la porte ouverte à toutes sortes d’abus. Des médicaments qui ne sont rien d’autre que de la farine et de l’eau sont vendus, des antibiotiques sont achetés sans prescriptions et des contrefaçons de médicaments génériques circulent en toute impunité. Quant aux tests sur des humains, le USA Today révélait en mai 2005 que les géants Merck et Wyeth effectuaient respectivement 50 et 70 % de leurs tests à l’extérieur des Etats-Unis, dans des pays où ça coûte moins cher. Toutefois, au contraire de ce qui se passe dans le film, les autorités et les populations sont, dans ces cas-là, parfaitement au courant de ce qui est testé (encore qu’on puisse s’interroger sur le degré d’information réellement compris par certains des « cobayes », spécialement s’ils sont analphabètes).

Mais c’est ailleurs que le film prend ses distances d’avec la réalité : un médicament contre quelque chose d’aussi important que la tuberculose serait scruté à la loupe, et pas seulement par des organisations militantes, avant de pouvoir entrer sur les marchés occidentaux. Par conséquent, un tel géant pharmaceutique devrait savoir que des études menées dans un hôpital de campagne du Kenya, sur des populations non informées, ne passeront jamais la rampe pour une publication dans une revue comme Nature, Science ou le New England Journal of Medicine. À plus forte raison, annoncer des résultats encourageants au Kenya, sans dire comment ils ont été obtenus, ne suffira jamais à convaincre les autorités américaines (la Food and Drug Administration) ou européennes que le médicament peut être vendu sur leurs territoires : ils exigeront de mener leurs propres études, de sorte que l’arnaque sera vite découverte.

Mais Simon Channing Williams, le producteur indépendant du film, de même que le romancier John Le Carré, ont vu juste sur un point : ces compagnies sont les nouvelles grandes puissances de notre époque ; leurs revenus dépassent à ce point le PNB de nombreux pays qu’elles ont un pouvoir de vie et de mort. Le fait qu’elles agissent dans un domaine voué à sauver des vies ne change rien au fait qu’elles sont soumises, comme tous les autres géants de la finance, au pouvoir des actionnaires, qui exigent d’abord et avant tout une hausse de la marge de profits.

Deux autres films, en 2005, se sont d’ailleurs mis à l’heure de la mondialisation : Syriana, où le « méchant » œuvrant dans l’ombre est une compagnie pétrolière, et Les Seigneurs de la guerre, où les politiciens des petites et des grandes puissances sont à ce point dépendants des marchands d’armes que ceux-ci passent à travers les mailles de tous les filets. Ce n’était qu’une question de temps avant que les pharmaceutiques ne soient à leur tour ciblées.

1 Curieusement sorti en France en décembre 2005 sous le titre : « The Constant Gardener »... la France ne serait-elle pas francophone (note de JB) ?


Partager cet article