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La bouteille à la mer de ceux qui souffrent

Publié en ligne le 30 septembre 2005 - Psychanalyse -

Au risque de finir dans la corbeille à papier...

J’ose tenter de prendre la balle au bond, j’ose tenter de faire entendre ma toute petite voix et celles de ceux qui m’ont fait confiance et l’honneur de les représenter en tant que présidente de l’Association de personnes souffrant de troubles anxieux et phobiques, Médiagora Paris (association Loi 1901 fondée en janvier 1998). 1 Ma voix se veut vive au risque même qu’elle finisse en lettre morte dans la corbeille d’un journal que je lis pourtant régulièrement.

Le Livre noir : un livre attendu, espéré

Je fais le constat que dans plusieurs « Rebonds » s’expriment les défenseurs des lapsus, du complexe né du mythe grec d’Oedipe et du maintien des symptômes. Leur « siège » de la parole (eux si muets d’ordinaire de par leur profession de foi) a lieu suite à la parution le 1er septembre du Livre noir de la psychanalyse, paru aux Éditions des Arènes. Cela semble tout à fait normal et sain dans un débat démocratique sauf que, voilà, seuls les mécontents s’expriment. Or, pour un ouvrage, de prime abord, austère et qui comporte 830 pages, des centaines de notes de bas de pages et co-écrits par des psychiatres, psychologues, historiens, philosophes, épistémologues, patients et familles, l’enthousiasme est grand : 23 000 exemplaires vendus en trois semaines. Cela s’appelle, je crois, un succès littéraire. Il semblerait qu’un tel livre était donc attendu, voire espéré. Lire un tel « pavé » ne relève pas seulement d’un effet de curiosité. Il faut être motivé et surtout concerné. Contrairement à ce que l’on (la presse) veut nous laisser croire, il ne s’agit pas d’une nouvelle guerre des psys. Non, il est question là d’un sujet de société car il s’agit tout simplement d’un problème majeur de santé publique : qu’est-ce qui est efficace ou non en termes de soin pour les patients ?

La psychanalyse : développement personnel, pas thérapie

Petit rappel : selon les derniers chiffres de l’OMS, l’organisation Mondiale de la Santé, une personne sur cinq souffrira au cours de sa vie d’un problème psychiatrique. Il n’est donc pas question de guerre, de rationalisation, de coût, de chasse aux sorcières des tenants du freudisme et du lacanisme mais de souffrance qu’il faut appréhender et soigner. Parmi les 23 000 premiers lecteurs du livre noir (il y en aura beaucoup d’autres, que certains le veuillent ou non), il se trouve beaucoup de personnes déçues par une psychanalyse qui les a égarées pendant des années sans réelle solution ni soulagement. Qu’on nous parle de développement personnel, d’accord, mais non pas de soin thérapeutique par la psychanalyse qui a envahi, de manière outrancière, le champ de la philosophie, de l’université des sciences humaines et même des médias, ces dernières décennies. Preuve en est cette large place accordée ici même à Jacques-Alain Miller, certes gendre de Lacan (mais ce n’est pas « diplômant ») mais, en aucune manière, médecin, psychiatre ou psychologue. Le bourgeois gentilhomme pouvait faire de la prose sans le savoir mais on ne devient jamais médecin malgré soi.

Redonner la parole à ceux qui souffrent

Aussi, il serait pertinent, pour ne pas dire essentiel, de donner la parole à ceux qui soignent et pourquoi pas - oh révolution - oh grande audace journalistique - à ceux qui souffrent et (que chacun, profane ou grand érudit, n’en doute pas) savent évaluer fort bien dans leur vie quotidienne les blessures de la souffrance psychologique et les handicapes sociaux qu’elles entraînent. Et ceux-là qui souffrent de phobie sociale, d’agoraphobie, de trouble obsessionnel et compulsif, de trouble bipolaire ou de schizophrénie savent également très bien reconnaître la capacité de leur thérapeute à leur venir en aide...ou non. N’en déplaise aussi à Monsieur Miller, les personnes qui souffrent comme celles qui les soignent préfèrent le dialogue, base fondamentale de l’alliance thérapeutique, aux divagations pseudointellectuelles de ses autodialogues médiatiques.
Et surtout, tout au fond du trou, et si on leur laisse enfin le choix thérapeutique, je vous laisse deviner s’ils prendront la pelle pour continuer de creuser ou l’échelle pour retrouver la lumière d’une vie ordinaire et apaisée.

Annie GRUYER
Co-auteur du Livre noir
Le 28 septembre 2005

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