Accueil / La problématique de l’énergie dans les rapports du GIEC

La problématique de l’énergie dans les rapports du GIEC

Publié en ligne le 2 novembre 2019 - Climat -

Les analyses des climatologues permettent de quantifier le changement climatique lié aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) et d’en anticiper les conséquences. Si ces émissions ne diminuent pas rapidement et fortement, on s’achemine vers un changement climatique de très grande ampleur. Les simulations du climat, réalisées en préparation aux rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, IPCC en anglais), indiquent que l’on pourrait assister, en un siècle, à une évolution des températures comparable à ce qui s’est produit en 10 000 ans, depuis que la Terre est sortie de la dernière période glaciaire. C’est donc une évolution cent fois plus rapide qui pourrait entraîner la disparition de nombreux écosystèmes, faute de capacités d’adaptation suffisantes. En 1988, en réponse aux alertes des climatologues, le GIEC a été créé pour établir un constat scientifique sur les questions liées au changement climatique. Ses auteurs, sélectionnés dans le monde académique, rédigent des rapports dont l’objectif est de faire une synthèse de la littérature scientifique, en indiquant les points qui font consensus et ceux sur lesquels il y a débat ou pour lesquels on manque d’informations fiables. Ces documents font l’objet d’une expertise réalisée par une large communauté de scientifiques. Régulièrement, tous les six ou sept ans environ, le GIEC produit un nouveau rapport en trois parties : la science du climat, les impacts du changement climatique, et les stratégies de limitation et d’adaptation au changement climatique. Le cinquième rapport est sorti en 2014 et le sixième est en cours d’élaboration [1]. En complément, le GIEC publie des documents spéciaux plus focalisés.

Ainsi, à la demande des États réunis à l’occasion de la COP21, réunion qui a conduit à l’accord de Paris, le GIEC a élaboré un rapport spécial – dit SR15 – sur les trajectoires et les conséquences d’un climat plus chaud de 1,5 ou 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle [2]. Comme pour tous les rapports du GIEC, ce document est accompagné d’une version synthétique, rédigée par les auteurs du rapport complet. Cette synthèse est négociée et amendée avec les représentants des États avant approbation finale. Certains en déduisent que ce résumé, qui a bien sûr une diffusion et une audience beaucoup plus large que le rapport complet, est un document politique plus que scientifique. Pourtant, même si les représentants des États influent significativement sur sa rédaction, tout ce qui est dans le résumé doit se trouver dans le rapport complet, et les scientifiques rédacteurs ont le dernier mot dans les négociations. Le résumé est donc bien un document scientifique, même s’il utilise un langage et des concepts accessibles à un large public.

Ce rapport, comme tous ceux du GIEC, n’est pas prescripteur. Il ne dit pas ce qui doit être fait, mais décrit ce vers quoi on s’achemine pour différents scénarios d’émissions. Il décrit aussi les trajectoires d’émissions qui permettraient de stabiliser le climat à un niveau donné de réchauffement. Certains scénarios admettent la possibilité d’un dépassement temporaire des températures cibles en supposant que, grâce à des politiques très volontaristes, les températures pourraient ensuite décroître.

L’augmentation de la concentration en CO2 atmosphérique est le principal moteur du changement climatique. Même si d’autres gaz (en particulier le méthane CH4, le protoxyde d’azote N2O, et l’hexafluorure de soufre SF6) jouent un rôle qui n’est pas complètement négligeable (notamment avec l’agriculture), c’est bien le CO2 qui est et restera la principale cause du changement climatique. Les émissions humaines de CO2 sont pour l’essentiel liées à l’énergie, et c’est la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel qui les induisent. Les autres sources importantes (Figure 1) sont associées au changement de l’usage des terres (entre 5 et 10 % du total), principalement la déforestation, et à la production de ciment (quelques %).

Quatre scénarios pour limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C

Figure 1 : L’usage des sources d’énergies charbon, pétrole et gaz conduit à des émissions de CO2croissantes (à partir des données du Global Carbon Project globalcarbonproject.org).

Pour stabiliser le climat à un niveau jugé « acceptable » dans le cadre de l’accord de Paris (entre 1,5 et 2 °C de plus par rapport à l’ère préindustrielle), il est donc nécessaire de diminuer fortement nos émissions de gaz à effet de serre, et même de les annuler durant la seconde moitié du XXIe siècle. On s’intéresse ici au bilan net, les émissions incompressibles étant compensées par des « puits » 1 de CO2. Il est donc nécessaire, d’une part de diminuer notre consommation d’énergies émettrices de CO2 et, d’autre part, de développer les sources d’énergies non ou peu carbonées. On peut enfin extraire du CO2 de l’atmosphère, essentiellement par la gestion des forêts (en augmentant les surfaces ou en stockant le carbone du bois prélevé à la forêt). Les différents scénarios repris par le GIEC donnent un poids variable à ces trois leviers d’action. Dans le résumé du rapport spécial commandé dans le cadre de l’accord de Paris, quatre d’entre eux sont décrits, mais il y en a beaucoup plus dans le document complet. Ces quatre scénarios permettent de stabiliser le climat à un réchauffement de 1,5 °C, bien que le quatrième admette un dépassement temporaire. Le premier suppose une diminution forte de la consommation d’énergie alors que le quatrième admet une hausse continue de cette consommation, mais avec un transfert vers des énergies non carbonées et surtout un développement massif des technologies de capture et d’enfouissement du CO2 atmosphérique.

La production d’énergie

Tous ces scénarios supposent une diminution forte et rapide de l’usage du charbon, plus modérée en ce qui concerne le pétrole et le gaz naturel ; le pétrole est jugé irremplaçable pour certains usages tels que le transport aérien, tandis que le gaz est moins émetteur de CO2 que le charbon par unité d’énergie. Les besoins énergétiques seraient couverts par un très fort développement des énergies renouvelables ainsi que par un développement, dans une moindre mesure, de l’énergie nucléaire. L’autre variable d’ajustement repose sur la technologie du CCS (Carbon Capture and Storage) dans laquelle on continue à utiliser un combustible fossile tel que le charbon, mais le CO2 produit est capté et enfoui dans le sous-sol. Cette méthode serait presque neutre sur le plan du CO2 émis. Il est aussi envisagé de brûler de la biomasse pour valoriser l’énergie produite et, là encore, de capter et enfouir le CO2 émis. En supposant qu’une forêt est replantée en parallèle à l’exploitation de la biomasse, le bilan net de ce processus est un puits de CO2 qui peut donc compenser une émission incompressible.

Tous les scénarios envisagés nécessitent une évolution considérable et rapide de nos modes de production d’énergie alors que les constantes de temps de cette industrie se comptent en dizaines d’années. Ainsi, on peut être dubitatif sur la possibilité de multiplier, d’ici à 2030, entre deux et six fois (en référence à 2010) la quantité d’énergie renouvelable produite chaque année, ou de voir le nucléaire augmenter entre 60 % et 100 % à la même échéance. Le rapport du GIEC dit bien que c’est encore possible, mais que des transformations très importantes du système énergétique, et de la société au sens large, seront nécessaires pour espérer y arriver.

La place de l’électricité nucléaire

Centrale au charbon de Belchatow en Pologne
© ewg3D istockphoto

La place du nucléaire dans ce rapport a, comme souvent lorsque cette industrie est évoquée, suscité la polémique. Ses partisans ont vu dans le résumé du rapport un soutien à ce mode de production d’électricité. Les quatre scénarios qui y sont présentés et qui permettent de stabiliser le climat reposent sur une augmentation substantielle du nucléaire. Ainsi, en 2050, la production d’énergie nucléaire est multipliée par un facteur de 2 à 6 par rapport à son niveau de 2010. Les opposants au nucléaire ont alors insisté sur le fait que, dans le rapport complet, il est bien dit que la plupart des scénarios, mais pas tous, prévoient une augmentation du nucléaire. Certains scénarios publiés dans la littérature scientifique et mentionnés par le GIEC affirment qu’il est possible de stabiliser le climat en se passant du nucléaire et en focalisant les efforts sur la sobriété énergétique, le développement des énergies renouvelables et les techniques de capture du carbone. De plus, le rapport complet insiste bien sur un certain nombre de problèmes que pose l’énergie nucléaire et qui en limitent ses possibilités de déploiement. En particulier,  « dans de nombreux pays, […] son acceptabilité sociale [est] liée aux préoccupations sur les risques d’accidents et sur la gestion des déchets radioactifs […], bien que l’évaluation comparative des risques pour la santé montre que ceux-ci sont faibles par unité de production d’électricité […] ». Le rapport souligne alors le rôle des moyens politiques  « que chaque pays mettra en place pour gérer les débats autour des choix technologiques et de leurs impacts environnementaux ». Il mentionne également les coûts de ce mode de production qui  « ont augmenté avec le temps dans certains pays développés, principalement en raison des conditions du marché où les risques associés aux technologies à fort investissement deviennent importants. » [3]

Le positionnement du GIEC sur le nucléaire peut ainsi se résumer par un extrait du cinquième rapport [4] :  « L’énergie nucléaire est une technologie mature pour produire une énergie de base à faible émission de CO2, mais sa contribution relative à la production électrique a diminué depuis le maximum de 1993. L’énergie nucléaire pourrait apporter une part croissante à la production d’énergie bas-carbone mais il existe plusieurs obstacles et des risques ». C’est donc une reconnaissance du potentiel de cette technologie pour couvrir une partie des besoins énergétiques dans un monde bas carbone, mais on ne peut certainement pas y voir un soutien sans faille.

Ainsi, le GIEC a identifié, dans la littérature scientifique, des scénarios dans lesquels la production d’électricité se fait sans émission de CO2 et sans recours au nucléaire. Cependant, ces scénarios reposent sur des hypothèses de sobriété et de développements technologiques qui peuvent paraître très optimistes, en particulier sur la question des moyens de stockage nécessaires pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables (éolienne et photovoltaïque). Ils reposent aussi sur les technologies de capture du carbone associées à une poursuite de l’utilisation des combustibles fossiles.

© RelaxFoto.de, Istockphoto.com

La mise en œuvre des technologies de capture et de stockage du gaz carbonique fait l’objet de nombreuses discussions quant à sa maturité à l’échelle requise et quant à ses conditions d’exploitation. Remarquons que la perspective d’injecter dans le sous-sol des quantités considérables de dioxyde de carbone (on parle de plusieurs milliards de tonnes par an) ne rencontre pas aujourd’hui la même opposition que celle visant à enfouir des déchets nucléaires sur quelques sites bien choisis sur le plan géologique. On peut penser qu’une telle opposition se développera lorsque cette perspective deviendra plus concrète.

Le GIEC reconnaît que, si l’on s’interdit l’utilisation des combustibles fossiles couplée avec la capture du CO2, l’option nucléaire devient strictement nécessaire.

Références

1 ipcc.ch/reports/

2 IPCC, “Global warming of 1,5 °C”, Special report, 2018. Sur ipcc.ch/sr15

3 IPCC, “Strengthening and Implementing the Global Response”, in : “Global warming of 1,5 °C”, Special report, 2018, Chapter 4. Sur ipcc.ch/sr15

4 IPCC, “Climate Change 2014 – Mitigation of Climate Change”, Working Group III Contribution to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, 2014.Sur ipcc.ch

1 Un puits est un processus qui permet de retirer du CO2 à l’atmosphère en l’injectant dans les océans ou le sous-sol, ou en le stockant sous une forme non oxydée (solide) comme le bois ou le charbon.