Accueil / Dans les médias / La science supposée expliquer le paranormal

Regard critique sur les médias

La science supposée expliquer le paranormal

Publié en ligne le 24 août 2015 - Paranormal -

Le dossier du magazine Ça m’intéresse, daté de décembre 2014, est consacré aux explications – présentées comme scientifiques – des phénomènes paranormaux. Il commence par un encadré qui nous rappelle que les dirigeants ont, de tout temps, eu recours aux services de voyants et autres médiums dans l’exercice de leur fonction. Faut-il y voir un gage de sérieux, ou une preuve que les plus grands dirigeants peuvent être très crédules ?

La physique quantique malgré elle…

La physique quantique est la première invitée comme explication rationnelle des phénomènes : « [...] et aujourd’hui, seules des analogies avec la physique quantique offrent des pistes d’explications ». Ceci n’est pas nouveau : la physique quantique étant difficile à comprendre, on peut facilement lui faire dire ce que l’on veut avec peu de risques d’être contredit. Cela permet de nombreuses spéculations dès que l’on extrapole de l’infiniment petit (qui est donc du domaine de la mécanique quantique) à l’environnement normal 1. Morvan Salez, présenté avec ses titres de docteur en astrophysique et techniques spatiales, explique que la physique quantique pourrait expliquer beaucoup de phénomènes paranormaux car elle accepte « des phénomènes qui remettent en cause la localité dans le temps et l’espace, et la causalité du passé vers le futur, [alors] pourquoi pas dans d’autres domaines ? » (« La science peut-elle expliquer le bizarre ? », page 71 du magazine). Tout est dans le « pourquoi pas ». Et un vrai éclairage scientifique aurait été utile mais contradictoire à l’esprit du dossier. En réalité, Morvan Salez est surtout connu pour son engagement dans l’INREES (Institut National de Recherche sur les Expériences Extraordinaires) et ses contributions au magazine ésotérique Inexploré.

Des scientifiques bien partisans

Pour renforcer l’effet d’autorité, le dossier est émaillé de propos supposés apporter l’indispensable caution scientifique. Ainsi, Mario Varvoglis, docteur en psychologie expérimentale, est présenté avec son titre de président de l’Institut métapsychique international (IMI) à Paris. Rappelons que cet institut n’a rien d’un laboratoire universitaire et sa reconnaissance d’utilité publique mise en avant ne reflète que le respect d’un certain nombre de critères comptables, mais pas une quelconque légitimité scientifique, ni même un réel intérêt pour le public. Pour Mario Varvoglis, « la parapsychologie étudie des phénomènes qui ne sont pas faits pour les laboratoires  ». Mais s’ils ne sont pas faits pour être étudiés dans des laboratoires… où peuvent-ils être sérieusement étudiés ? Dans les blogs ? Ainsi également Yves Lignon, présenté comme « chercheur en parapsychologie à Toulouse  ». S’il y a bien un Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse, structure créée et animée par Yves Lignon et ouverte à « toute personne qui considère que l’étude des phénomènes parapsychologiques, et de leur impact social, relève de la science », ce « laboratoire » n’a aucun rapport avec une structure universitaire. Le président de l’Université de Toulouse-Le Mirail a d’ailleurs plusieurs fois confirmé qu’il n’existait pas dans son établissement de Laboratoire de parapsychologie et qu’il s’agissait d’une activité privée d’Yves Lignon n’engageant en aucun cas l’Université. Et bien d’autres tels que Bertrand Méheust, philosophe et historien de la parapsychologie  ; Dean Radin, professeur de psychologie et directeur de l’Institut de sciences noétiques en Californie (parmi ses centres d’intérêt on peut mentionner l’étude de la nature et du fonctionnement de l’intellect humain et les liens entre cet intellect et l’intellect divin), auteur d’ouvrages sur la parapsychologie  ; le psychologue clinicien Renaud Evrard, qui officie à l’IMI lui aussi…

Bref, les scientifiques invoqués à l’appui du dossier ont pour caractéristique commune d’être tous d’ardents promoteurs des explications paranormales…

Un regard critique bien peu critique

Le regard critique est maintenant toujours invoqué dans ce type de dossier. Mais il est très souvent attribué aux partisans mêmes du paranormal : les « bons astrologues » jugent de la déontologie et du sérieux des astrologues, les « bons voyants » nous aident à faire le tri entre charlatans et « pratiquants sérieux ». Ici, dans un encadré intitulé « Comment éviter les dérives », c’est le Comité Illusionniste d’expertise et d’expérimentation des phénomènes paranormaux présidé par l’illusionniste Ranky qui est convoqué pour « scruter les trucages ». En réalité, François Ranky est un partisan convaincu du paranormal.

Ranky, Randi : ne pas confondre

James Randi [1], de double nationalité canadienne et américaine, est un illusionniste professionnel. Mais il est plus particulièrement connu comme un démystificateur des pseudo-sciences et autres phénomènes paranormaux. Il est, à travers sa James Randi Educational Foundation, un promoteur actif du scepticisme scientifique [3]. Il est connu pour son challenge dénommé le One Million Dollar Paranormal Challenge, qui attribuera un prix d’un million de dollars à n’importe quel participant pouvant démontrer la réalité d’évènements paranormaux. Pour l’instant, personne n’a pu obtenir cette récompense.

François Ranky, quant à lui, est un illusionniste professionnel français, créateur du Comité Illusionniste d’Expertise et d’Expérimentation des Phénomènes Paranormaux (CIEEPP) [2]. Le but de ce Comité est de « défendre le paranormal par l’authentification des véritables capacités paranormales, mais aussi par la dénonciation des truqueurs. En effet, tous les phénomènes produits par les médiums peuvent être imités par l’illusionnisme, c’est-à-dire par des trucages, mais cela ne prouve pas que les véritables phénomènes n’existent pas ». D’après Ranky, concernant les phénomènes paranormaux qu’il a pu expertiser, « il existe de nombreux trucages de magiciens dans près de 70 % des cas mais il y a aussi des gens avec des facultés psi extraordinaires. Les cas spontanés sont les plus difficiles à étudier : il faudrait plus d’enquêtes de terrain et de témoignages  ». L’investigation des cas « psi » donne lieu à la remise d’un « diplôme de capacité psi » par le CIEEPP. Contrairement à James Randi, même si Ranky a pu déjouer quelques « arnaques », il cautionne dans un certain sens le paranormal. Et il n’offre pas une récompense d’un million de dollars à quiconque obtient son diplôme de capacité psi.

Ranky, Randi… Des noms proches, mais en réalité beaucoup de différences. Tout comme entre le CIEEPP et feu le CFEPP (Comité Français pour l’étude des phénomènes paranormaux), créé bien avant le CIEEPP à l’initiative de rationalistes français tels que Michel Rouzé, Evry Schatzman, Yves Galifret, Jean-Claude Pecker, et dont le premier président fut Alfred Kastler. Le CFEPP se réunissait à ses débuts dans les locaux de Science et Vie, accueilli par Philippe Cousin (qui fut lui aussi secrétaire général du CFEPP). Des ressemblances paranormales ?


1 | http://web.randi.org/
2 | http://paranormal.blogspirit.com/le...
3 | http://fr.wikipedia.org/wiki/Scepti...

Le lecteur est donc insidieusement emmené du côté parapsychologique du sujet, car le dossier ne mentionne quasiment jamais le travail des sceptiques. Seul Chris French est cité rapidement, page 70, pour résumer la position des sceptiques. Selon les journalistes auteurs du dossier, la parapsychologie est une « science [qui] étudie de manière rationnelle et pluridisciplinaire des faits à première vue inexplicables, qui mettraient en jeu des capacités psychiques atypiques ». On fait croire là qu’il s’agit d’une vraie discipline scientifique, mécanique quantique et témoignages « scientifiques » à l’appui. À aucun moment, cette discipline n’est remise en question dans l’article. La parapsychologie n’est pas une discipline enseignée à l’université en France et aucune école doctorale de parapsychologie n’est recensée sur le site officiel de l’enseignement supérieur.

1 Pour aller plus loin sur le sujet : une note de lecture sur un livre de Richard Monvoisin Quantox