Accueil / Notes de lecture / Le pharmachien (note de lecture n°2)

Le pharmachien (note de lecture n°2)

Publié en ligne le 21 janvier 2016
Le pharmachien

Différencier le vrai du n’importe quoi en santé !

Olivier Bernard
Kennes Éditions, 2015, 210 pages, 19,95 €

Olivier Bernard est pharmacien et québécois. On retrouve cette deuxième caractéristique dans l’expression de l’auteur : avec son éditeur européen, ils ont choisi de conserver le langage d’origine, tutoiement de rigueur inclus, qui correspond à la façon dont les gens parlent dans la Belle Province – un petit lexique facilite la compréhension des expressions qui poseraient problème. Olivier Bernard est aussi blogueur : depuis quelques années, il alimente de ses chroniques, de ses dessins et de ses conseils le site du Pharmachien, « le pharmacien qui simplifie la science et anéantit la pseudoscience  ». Quelques-unes de ses productions Internet sont reprises dans le présent ouvrage, mais l’essentiel est inédit.

Dans une rapide histoire de la santé, en prologue, l’auteur rappelle que bien des gens se sont intéressés de tout temps à la santé de leurs congénères, tentant, lorsqu’elle faisait défaut, de la leur rendre avec des moyens et des méthodes bien peu orthodoxes, du surnaturel antique au spiritualisme actuel. On retiendra aussi que des remèdes efficaces et bien connus ont pu, à une époque, être des potions quelconques, comme par exemple cette tisane de saule – qui deviendra la future aspirine – en concurrence avec les « huiles magiques  » de quelque charlatan.

Dans une première partie, Olivier Bernard propose une typologie des intervenants en matière de santé, distinguant avec humour, le « clan lumineux  » des agents qui ont fait des études et « qui puisent l’essence de leur pouvoir dans la science  » (p. 27) en conflit avec le « clan obscur » des « êtres d’une nature plus intuitive qui ont choisi de tirer une sagesse profonde au sein des croyances et des traditions  » (p. 26). Il présente ainsi, à la manière des cartes définissant les avatars dans les jeux de rôle, les médecins, les pharmaciens, le dentiste, le thérapeute physique (physio, ergo ou kiné), l’infirmière, la diététicienne, la psychologue face à l’homéopathe, à la lasérothérapeute, à la naturopathe, au quanticien, à la conseillère holistique, à la coach de vie, au maître Reiki. Cette typologie permet de mettre en avant les caractéristiques qui permettront d’identifier les personnes auxquelles on peut confier sa santé.

Rappelant que le corps n’est pas une simple mécanique, l’auteur souligne les difficultés auxquelles sont confrontés les médecins dans leur diagnostic et les traitements mis en œuvre, parfois sans succès. Ce qui le conduit à se pencher sur les médicaments, en commençant par montrer que ce qui constitue « la quête des temps modernes », le naturel, foncièrement bon, n’est pas toujours une bonne idée. Prenant quelques exemples de molécules comme les vitamines, la gelée de pétrole 1 ou divers composants utilisés en chimiothérapie, il rappelle que la distinction entre naturel et chimique n’a pas plus de sens que la distinction entre bon et mauvais en soi : la plupart des molécules utilisées en thérapeutique, produites de façon synthétique, ne présentent pas de différence avec celles découvertes dans la nature. C’est leur quantité ou la présence de contaminants qui peut poser problème. Il s’attaque ensuite à sept croyances populaires concernant les médicaments, éclairant ainsi les contrôles que subit un produit, avant sa mise sur le marché, bien sûr, mais aussi après, grâce à la pharmacovigilance exercée de façon constante.

Olivier Bernard expose succinctement, dans la deuxième partie de son livre, un certain nombre de thérapies alternatives, le plus souvent holistiques, c’est-à-dire qu’elles prennent en compte l’ensemble de l’individu, dans toutes ses dimensions (sociale, émotionnelle, spirituelle…) pour traiter le mal 2 : la guérison par les anges, par la pensée, le Reiki, l’homéopathie, l’hydrothérapie colonique, la thérapie quantique. Parce que l’ouvrage est aussi guide pratique et manuel de mise en garde, l’auteur propose une check-list des questions à se poser lorsque l’on est confronté à de tels discours. Puis, prenant le recul nécessaire avec son activité professionnelle, le Pharmachien passe en revue les « principaux mensonges » avancés par les fabricants des innombrables « produits ridicules » (principalement diurétiques et laxatifs, nous dit-il) destinés à éliminer les « toxines » accumulées ou à retrouver l’équilibre après les excès.

La plupart des tenants de ces alter-médecines s’inscrivent dans ce qu’Olivier Bernard appelle l’hyperscience, une manière de noyer le discours dans la référence à de multiples études scientifiques, sans prendre le soin d’évaluer leur valeur ou sans être apte à le faire. Plus généralement, les médias, eux-mêmes, pratiquent cette hyperscience, en extrapolant, sans que cela soit justifié, les résultats de telle ou telle publication. Cela conduit à la diffusion dans le public d’opinions mal informées : le cas du refus de vaccination illustre de façon dramatique cette situation.

Dans la troisième partie de son ouvrage, intitulée « Chapitres pour gagner le prix Nobel de la santé », on trouve les conseils du Pharmachien pour « s’obstiner avec élégance » ainsi que les diverses formes d’argumentation 3. Plutôt que l’attaque frontale, la méthode préconisée est d’écouter son interlocuteur, de prendre en compte son avis avant de lui opposer quelques arguments ou simplement de le conduire à s’interroger. L’auteur y aborde aussi quelques maux contemporains auxquels chacun peut être confronté : la déprime versus la dépression, d’une part, le stress, d’autre part, avec quelques réflexions sur la résilience et la relaxation. Le parti pris d’Olivier Bernard est ici de sensibiliser et responsabiliser le lecteur en lui permettant de comprendre ces situations et comment y réagir. Pourtant, on pourra regretter que, dans ces deux chapitres, l’aspect pseudo-médical soit ignoré : on n’y trouve aucune mise en garde contre le « coaching gestion du stress » et autres « spécialistes » du développement personnel. On sait pourtant que certains abusent de telles situations pour se créer une clientèle dépendante, tant dans le cadre privé que professionnel 4. Enfin, en épilogue, sont rappelés les rêves fous qui ne se réaliseront vraisemblablement pas (la machine qui guérit tout, l’humain biologiquement parfait…) et est formulé l’espoir que la prochaine étape de l’évolution humaine conduise à l’Homo salveo, l’humain qui aura une attitude responsable vis-à-vis de sa santé.

Le tome 2 est maintenant disponible

L’approche d’Olivier Bernard est rationnelle, elle vise à développer l’esprit critique et nous y souscrivons, bien entendu. Dans une démarche particulièrement accessible et pédagogique, il réaffirme quelques principes fondamentaux de la médecine scientifique. Son ouvrage, riche en illustrations, plein d’humour et constitué de séquences variées (des fiches, des tests, des bandes dessinées, du texte aussi…), permet de passer un bon moment de détente tout en apprenant – ou en rappelant – des choses bien utiles au quotidien. Son aspect ludique plaira aux ados et aux jeunes adultes. C’est aussi et surtout un livre à offrir aux personnes séduites par les thérapies alternatives et holistiques. Chacun y trouvera matière à réflexion quant à la gestion de sa santé.

Le pharmachien.com

C’est la combinaison de deux des passions d’Olivier Bernard :
- rendre la science vivante, accessible et intéressante ;
- mettre fin aux mythes scientifiques et médicaux, de façon diplomatique ou non.

D’une façon plus large, l’objectif est d’encourager les gens à développer leur sens critique et à faire de meilleurs choix en matière de santé. Ses outils : bandes dessinées, infographiques, vidéos, commentaires impertinents…

Retrouvez une autre note de lecture concernant Le pharmachien (note de lecture n°1)

1 Plus connue, en France, sous son nom commercial devenu courant, la vaseline.

2 Olivier Bernard s’affirme lui-même partisan des pratiques holistiques estimant « que l’on devrait d’intéresser à tous les troubles qui causent de la souffrance chez les gens, que la cause soit médicale ou non  » (p. 79). Il précise d’ailleurs que, dans une certaine mesure, les équipes médicales fonctionnent ainsi, en prenant en compte différentes disciplines, mais dans un cadre scientifiquement validé.

3 Un récit « dont vous êtes le héros » permet de tester votre capacité d’argumentation, dans le contexte de discussions lors d’un « souper de famille » sur la consommation de comprimés de calcium naturel plutôt que du calcium chimique, ou sur une étude démontrant que le ketchup provoque le cancer de la paupière gauche.

4 Voir par exemple : Réveiller les neurones du bonheur.