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L’affaire Wakefield

Le rôle des lobbies anti-vaccin et les conséquences d’une fraude médicale

Publié en ligne le 29 avril 2013 - Vaccination -

En Angleterre, douze ans ont été nécessaires pour vaincre les nombreuses résistances et mettre en évidence une fraude dont les conclusions ont été le retrait du droit d’exercer la médecine pour Andrew Wakefield, et la rétractation en 2010 d’un article du Lancet de 1998 sur les éventuels liens entre le vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) et l’autisme. C’est un journaliste d’investigation tenace, Brian Deer, qui aura mis en lumière la fraude et permis de comprendre ce qui s’était passé.

En 1996, un cabinet d’avocats anglais mandaté par un lobby anti-vaccin a contacté un chirurgien digestif pour travailler sur le lien entre ROR et autisme. Ce chirurgien, Andrew Wakefield, travaillait alors sur le diagnostic des colites par la détection du virus de la rougeole dans le tissu intestinal et les liquides biologiques, et voulait monter une société produisant des tests diagnostic. L’avocat lui a proposé un contrat pour attaquer les fabricants du vaccin, permettant ainsi à A. Wakefield d’obtenir l’argent nécessaire pour ses recherches. En 1998, A. Wakefield a publié dans The Lancet, avec 12 coauteurs, une étude portant sur une série de douze cas d’enfants et avançant l’hypothèse suivante : le vaccin ROR pourrait être la cause d’un syndrome associant autisme et maladie intestinale.

Nouvelle alerte sur le vaccin ROR. Lynda Lee-Potter : l’hypocrisie et les mots creux à propos du ROR sont causes de blessures jamais dévoilées. Maintenant, nous voulons la vérité.

La conférence de presse organisée à l’occasion de la publication de l’article a dérapé en faisant croire que le lien entre ROR et autisme était réellement établi. Les tabloïds anglais se sont emballés et la machine médiatique a dépassé tout le monde en omettant de dire qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse. En 2001, l’hôpital a demandé à Wakefield de quitter son poste ; la vaccination ROR a baissé dans le Royaume-Uni (voir la figure en page suivante), avec résurgence de cas de rougeole dans Londres, et en 2006, un premier cas de décès d’un enfant de 13 ans victime de la rougeole a été observé.

Toutefois, en 2004, suite aux affirmations réitérées de Brian Deer, The Lancet a réalisé un audit dans l’hôpital où travaillait Andrew Wakefield (mais sans consulter les dossiers des douze patients traités dans l’étude). À l’issue de cet audit, le journal a publié cinq lettres réfutant toutes les allégations de Brian Deer. Mais dix des douze co-auteurs de l’étude controversée n’ont pas soutenu Andrew Wakefield.

Brian Deer a néanmoins maintenu ses accusations, et trouvera un relais dans les médias. En 2009, le General Medical Council (GMC) a finalement demandé un audit, dont les conclusions, rendues publiques en 2010, sont sans ambiguïté : les cas rapportés dans The Lancet en 1998 comportaient de nombreuses erreurs par rapport aux dossiers de l’hôpital. Trois critères avaient été proposés pour émettre l’hypothèse d’un lien entre ROR et autisme (autisme régressif, colite non spécifique, symptômes après la vaccination ROR). Or, dans l’article du Lancet, 6 enfants sur 12 remplissaient les 3 critères, mais aucun dans les dossiers de l’hôpital !

En 2012, Andrew Wakefield vit à Austin, Texas, USA et donne des conférences pour des lobbies anti-vaccins. Trois livres ont été publiés sur cette affaire, ainsi que des chapitres de livres et des articles.

Le déclin de la vaccination ROR au Royaune-Uni

Les conséquences d’une fraude médicale

Les conséquences des mauvaises pratiques en science sont, de façon générale, mal connues. Qu’ont-elles été dans le cas particulier de l’affaire Andrew Wakefield ? Humaines et financières, elles ont été importantes, mais jamais évaluées, et les connaître est difficile. On peut cependant en identifier quatre types :

Les coûts individuels : Andrew Wakefield a perdu son emploi de chirurgien, a engagé des procédures judiciaires contre des revues, et contre le journaliste Brian Deer. Le British Medical Journal a été attaqué par Wakefield et a eu à supporter des frais pour se défendre en justice. À tout cela il faut ajouter le temps passé sur ce dossier pour la rédaction. De façon similaire, plusieurs procès aux USA se sont appuyés sur les « résultats » de Wakefield ;

L’image des protagonistes. The Lancet garde probablement sa notoriété, mais le rédacteur en chef a été très critiqué. L’hôpital où exerçait Andrew Wakefield a masqué la fraude pendant longtemps. Les tabloïds anglais, ainsi que des chaînes de télévision qui ont soutenu Brian Deer, sont sortis très positivement de l’affaire. Les lobbies anti-vaccins ont perdu une bataille, mais ils continuent à faire comme si ROR et autisme étaient liés. Quelles images restera-t-il des douze co-auteurs (seuls deux l’ont soutenu) ? D’autres revues qui avaient publié des articles de Wakefield ont dû les rétracter.

Coûts scientifiques pour tenter de confirmer l’hypothèse. Combien d’études ont été faites à partir de cette hypothèse et pour quels coûts directs et indirects ? Nous avons recensé 7 études de cohortes, 9 études cas-témoins et 4 études à partir de registres qui ont été publiées après 1998, et aucune n’a mis en évidence de lien entre ROR et autisme. Pendant douze ans, combien d’autorités de santé, combien de départements de pharmacovigilance, combien d’industries pharmaceutiques dans le monde ont analysé, voire re-analysé, des données pour rassurer les décideurs, ou le public ? Combien de dépenses ont été liées aux audits, jusqu’à celui du GMC en 2010 ?

Les conséquences humaines. Les taux de vaccination ROR ayant diminué au Royaume-Uni, combien de cas de rougeole, oreillons ou rubéole auraient pu être évités ? Des morts par rougeole ont été observés. Combien de symptômes, de craintes diverses ont entraîné des consultations médicales, etc. ? Le retentissement sur le public dans les pays anglo-saxons (Royaume-Uni et USA) n’est pas évaluable, puisque même Tony Blair a été interpellé. Il n’a pas su dire si son dernier né était vacciné, ce qui a augmenté la polémique.

L’absence de culture méthodologique et d’esprit critique de la plupart des acteurs explique que des guerres d’opinions aient été médiatisées, et qu’il aura fallu attendre 12 ans pour décider d’analyser les données sources...

Références

1 | Maisonneuve H, Floret D.« L’affaire Wakefield : 12 ans d’errance car aucun lien entre autisme et vaccination ROR n’a été montré ». La Presse Médicale 2012, numéro thématique de septembre. Prépublication
2 | 2012 iThenticate report. True costs of research misconduct. Disponible aussi ici