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Les OGM, la gauche radicale et l’expertise

Publié en ligne le 22 février 2008 -

Rouge, hebdomadaire de la LCR, est avant tout un journal appuyé sur une grille de lecture « anticapitaliste » du monde. Pourtant, entre d’un côté le soutien affiché aux grévistes de la faim qui étaient prêts à mettre leur vie en jeu pour lutter héroïquement contre… contre quoi déjà ?.... ah oui, contre… du maïs ! 1, et d’un autre une pleine page accordée à la promotion de ce combat central de la classe ouvrière qu’est en ce début d’année 2008 la lutte contre l’irradiation des aliments (sic) 2, l’hebdomadaire en question a pu ressembler par moments ces dernières semaines à l’organe officiel de « La Vie Claire » ou d’une autre chaîne de magasins spécialisée dans les produits bios trop chers, les cristaux qui harmonisent les énergies et les crèmes antirides à l’huile de cacatoa des mers du Sud (déjà utilisée depuis des millénaires par les habitants indigènes des îles du Pacifique, c’est vous dire si ça marche) !

Au-delà de l’ironie, il vaut la peine d’analyser le cri de victoire qui a été poussé dans l’édition du 17 janvier sous la plume de Vincent Gay 3, à propos de l’activation de la clause de sauvegarde sur le maïs OGM MON 810, commercialisé par le célèbre Monsanto. La logique sous-jacente à ce texte rejoint pleinement celle qui transpire des propos du biologiste Jacques Testart (déjà évoqué à plusieurs reprises sur le site imposteurs.over-blog.com), tels qu’ils apparaissent dans une table ronde de L’Humanité du samedi 26 janvier, intitulée « Faut-il avoir peur des OGM ? » 4. Dans les deux cas, sur la question du rapport entre les experts et le politique, sont avancées des idées qui peuvent apparaître progressistes et « démocratiques » à première vue, mais qui avancent en fait sur une piste glissante….

Plusieurs choses posent problème.

À propos des motivations du pouvoir UMP qui a décidé d’activer la clause de sauvegarde,
Extrait de Rouge  : « Après maintes tergiversations, avancées et reculs, une première victoire vient récompenser des années de lutte contre les cultures en plein champ de plantes génétiquement modifiées(…). Une forte pression s’est, dès lors, exercée sur le gouvernement, en particulier à travers la grève de la faim de militants anti- OGM , dont José Bové ».

Là, tout à coup, on ne reconnaît plus le gouvernement Fillon/Sarkozy. Il aurait donc cédé à la pression croissante et payante des militants anti-OGM, faucheurs volontaires et grévistes de la faim en tête ?

On peut penser au contraire que cette décision intervient paradoxalement au moment où ce mouvement s’essoufflait (absence de relais dans les milieux scientifiques, net recul de la Confédération Paysanne aux élections professionnelles, émotion après le suicide d’un agriculteur du Lot et début de riposte des agriculteurs producteurs d’OGM, etc.). Si l’opinion publique est majoritairement réticente par rapport aux OGM, le bide retentissant de José Bové aux présidentielles et l’élection d’un rare candidat à ne pas s’être engagé en faveur d’un moratoire avaient montré qu’elle n’en faisait pas un critère de son vote (contrairement au pouvoir d’achat…). Bref, on peut penser que la pression sur Sarkozy a été minime, et on voit mal comment une grève de la faim moustachue, fut elle encensée par Rouge , aurait pu réussir ce qu’une quasi grève générale n’a pas réussi à propos des retraites en 2003….Pensons à la brutalité avec laquelle le gouvernement avait envoyé les CRS contre l’association Don Quichotte peu de temps auparavant, pensons au traitement réservé aux sans-papiers et à leurs soutiens, et remettons un instant les pieds sur terre. On peut plus sobrement, mais de manière plus cohérente au regard du comportement de l’hôte de l’Élysée, penser qu’il y a là une opération de communication et de politique spectacle, dans un étonnant pas de deux avec un José Bové friand lui aussi de ce genre de choses…. Une décision provisoire, comme tout le monde en a conscience…

Ce que cette décision purement politique (cf la suite) représente surtout, c’est un démenti assez catégorique aux analyses de ceux qui sont « anti-OGM parce que antilibéraux ». Avec quelle facilité ce gouvernement cède et offre une « première victoire », si l’on compare avec son attitude sur les dossiers des retraites, des services publics ou de la constitution européenne ! C’est peut être que les OGM ne sont pas à ce point la carte maîtresse du capitalisme de l’agro-alimentaire que certains décrivent, et que les enjeux sont en fait ailleurs….

Extrait de Rouge  : « Le 9 janvier, la Haute autorité d’évaluation a remis son rapport au gouvernement, dans laquelle elle émet des doutes sérieux sur l’absence de dangerosité du MON 810, en particulier concernant ses incidences sur la faune et la flore et sa dissémination sur des dizaines de kilomètres. Ce rapport reprend, de fait, les analyses de la Confédération paysanne et de l’Alliance pour la planète remises au gouvernement en novembre. »

Il faut être plus précis que ça. Dans ses déclarations publiques, le président UMP de la Haute Autorité a effectivement, si l’on veut, repris à son compte les analyses de la Confédération Paysanne et de l’Alliance pour la Planète. Mais, par contre, le rapport de la Haute Autorité lui-même ne le fait pas. L’AFIS a entrepris le travail de décorticage de ce rapport, mais ce qui est certain à ce jour, c’est que les idées avancées de « doutes sérieux » et d’«  effets négatifs » mises en avant sont le fait du sénateur UMP Jean-François Legrand et pas des scientifiques membres de la commission en question.
Voir à ce sujet.

Il s’agit bien d’une décision politique fondée sur une analyse d’opportunité, et non pas une décision d’ordre écologique ou sanitaire fondée sur des données scientifiques nouvelles.

Extrait de Rouge : « Concrètement, cela signifie qu’il n’y aura pas de culture d’OGM en France en 2008, ce qui a soulevé la colère des gros céréaliers, de la FNSEA et de responsables de l’UMP. »

Cette phrase est au cœur de ce qui est en fait une entourloupe. Elle vise à faire croire que les OGM, c’est uniquement le truc des gros céréaliers et de l’UMP (au moment où le pouvoir UMP impose un moratoire sur le seul OGM cultivé en France !). Le mensonge par omission qui se cache ici, c’est que les conclusions que tirent Legrand et Sarkozy n’ont pas seulement été contestées par « les gros céréaliers, la FNSEA et des responsables de l’UMP », mais aussi et surtout par 12 des 15 membres du collège scientifique de cette pré-Haute Autorité, qui se sont sentis floués et manipulés 5, puisqu’on leur a fait dire ce qu’ils n’avaient pas dit… Et ils sont ici en phase avec les 1 200 personnes qui ont paraphé l’appel contre le moratoire, dont la liste de signataires égrène un très impressionnant défilé de scientifiques travaillant dans le domaine concerné 6, ou avec les 40 académiciens qui appellent dans cette affaire à « respecter la parole des scientifiques » plutôt qu’à la détourner à des fins politiques.

Aussi, on peut s’étonner des propos de Jacques Testart :
« À ma connaissance, c’est la première fois que des politiques, comme le président de l’assemblée Bernard Accoyer, s’insurgent contre une décision venant d’une commission scientifique, en la taxant de pseudo-scientifique ».
Il se trouve que c’est en l’occurrence exactement l’inverse qui se produit ici : ce sont des scientifiques membres de la commission qui s’insurgent contre la décision du président – politique – de la même commission.
Que de révérence tout à coup pour un avis émanant d’une commission au moins partiellement composée de scientifiques ! Jusqu’ici, on avait surtout vu à d’innombrables reprises des avis plutôt favorables sur les OGM rendus par des commissions scientifiques être vilipendés par quelques autres scientifiques et surtout par beaucoup de politiques accusant les auteurs de l’avis d’être des vendus…. C’est ce qu’avoue d’ailleurs involontairement Testart dans sa phrase précédente : « Nous sommes nombreux à mettre en avant, et depuis longtemps, les problèmes que posent les OGM sans avoir l’écoute de nos collègues scientifiques » (CQFD, et c’est moi qui souligne). Ils n’ont notamment pas eu l’écoute de leurs collègues spécialisés dans le domaine concerné (puisque, lorsqu’un scientifique sort de son domaine d’expertise, on peut penser que son avis ne « vaut » pas plus que celui de n’importe qui…).
Ce que croit voir ici Testart ne se produit pas pour la 1ère fois : en février 2005, le politique Philippe Douste Blazy jetait dans sa poubelle ministérielle un rapport de l’Inserm évaluant l’efficacité des psychothérapies, parce que celui-ci était défavorable à la psychanalyse. Peut être Jacques Testart n’en a-t-il pas connaissance, mais ce cas précis correspond bien mieux au phénomène qu’il décrit que la querelle actuelle sur les OGM. 

Extrait de Rouge  : « Une deuxième phase de la lutte anti- OGM s’engage désormais à l’approche du débat parlementaire censé débuter le 5 février. Il s’agit de passer d’une décision ponctuelle, qui peut être remise en cause dès 2009, à une loi interdisant définitivement la culture d’ OGM en plein champ ainsi que dans les nourritures animales. »

On voit bien ici que le MON 810 de Monsanto n’est qu’un prétexte, et que les études sur tel ou tel OGM ne servent pas pour les anti-OGM à remettre en cause l’OGM en question, mais bien à bannir la technique OGM dans son ensemble. En effet, on comprend bien que si toutes les études montraient – en l’état des connaissances – l’inocuité complète d’un OGM donné (ce que tend d’ailleurs à montrer la pratique sur des millions d’hectares depuis une décennie), et quelle que soit l’utilité sociale et écologique de cet OGM, cela n’aurait pas grande importance, puisque ce qu’ils veulent en réalité, c’est « une loi interdisant définitivement la culture d’ OGM en plein champ ainsi que dans les nourritures animales ». Au passage on note que cela induit un rapport à la recherche et aux études pour le moins très très hypocrite :
À quoi sert de continuer la recherche pour mettre au point des PGM, si de toutes façons elles n’atterriront jamais dans le moindre champ ni dans la moindre assiette ? Il faudrait être franc et assumer son fondamentalisme sur cette question en réclamant l’abandon des recherches sur les PGM….Testart se cache d’ailleurs beaucoup moins : « Ce que je vois, c’est que le gouvernement vient d’allouer 45 millions d’euros aux biotechnologies. C’est exactement l’inverse de ce que le Grenelle de l’Environnement avait décidé, c’est-à-dire soutenir les progrès de l’agriculture biologique. Pour laquelle il y a beaucoup à faire ». Au moins, ça a le mérite d’être clair : rien à foutre des biotechnologies, ce sera l’agriculture bio qui nourrira 9 milliards d’habitants en 2050. Bon appétit, les générations futures….
On peut douter dans ce cadre de l’indépendance au moins idéologique d’un militant anti-OGM qui entreprend une étude sur une PGM particulier, étant donné que son but réel ne serait pas de tester quelque chose mais d’aboutir à une interdiction définitive de l’ensemble des PGM. Cela ne prouve rien en soi quant à son étude, cela veut juste dire qu’il faut sans doute plus se méfier à priori d’une étude menée par des militants de ce type que par un organisme dépendant de la recherche publique…

On le voit, la question qui est posée ici, c’est bien celle du rapport à l’expertise scientifique. L’approche développée par certains militants de la gauche radicale autour notamment des OGM est pour le moins contestable. Prenons par exemple le commentaire du même Vincent Gay dans un autre papier de Rouge daté du 20 décembre, intitulé « Nucléaire et santé  » 7 et consacré à une étude allemande relative à l’augmentation éventuelle des risques de cancer à proximité des centrales nucléaires. La méthodologie employée pour cette étude a été vertement critiquée à deux reprises sur le site imposteurs.over-blog.com, et il semble bien que les questions de méthode soient ici importantes.

Extrait de Rouge  : « Bien sûr, rien ne permet d’affirmer que ces maladies sont imputables au nucléaire , mais des statistiques aussi systématiques sont troublantes »

Si rien ne permet d’imputer ces maladies au nucléaires, alors pourquoi… les imputer ici au nucléaire ? La précaution oratoire liminaire est purement formelle, les conclusions sont adoptées alors même qu’on a avoué qu’on ne pouvait pas conclure ! Mais c’est la suite qui est la plus significative du problème qui nous intéresse ici :

Extrait de Rouge  : « Menée en France, une telle étude conduirait sans doute aux mêmes conclusions. Encore faudrait-il qu’elle soit indépendante ; or, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire est associé aux exploitants nucléaire s (EDF, Areva). Comment croire à une réelle objectivité scientifique, lorsque des enjeux financiers aussi importants sont en jeu ? Une évaluation indépendante du complexe électro nucléaire , demandée par le réseau Sortir du nucléaire , permettrait de lever le voile sur les conséquences sanitaires de plus de 50 ans d’exploitation nucléaire. »

Il y a quand même de quoi être sidéré par la méthode de raisonnement : l’auteur a déjà décidé par avance des conclusions d’une étude qui n’a pas eu lieu, et il explique déjà que si d’aventure cette étude n’allait pas dans son sens, c’est qu’elle aurait manqué d’« objectivité scientifique » ! ! ! ! À nouveau, on l’impression que les études n’ont pour seule fonction que de valider des préjugés… Et si le réel ne s’aligne pas sur le préjugé, c’est probablement que le réel a tort…
La question de la validité de l’étude (ici fictive) est abordée sous un angle très symptomatique : comme pour les OGM, on ne discute pas de l’étude en fonction de sa validité intrinsèque sur plan méthodologique, mais en fonction de qui l’a commandée. En gros : il y a trop d’argent en jeu, donc on ne peut pas croire les scientifiques qui travaillent pour EDF ou Areva ou quiconque a du pognon…On pourrait aussi ajouter qu’il faudrait se méfier dans la foulée de l’expertise pas franchement « neutre » du CRIIRAD, et se dire que, tant qu’à faire, autant se tourner vers un organisme public d’expertise, comme il en existe pour le nucléaire ou pour les OGM.
Il y a donc ici un problème réel qui est soulevé, celui de la fiabilité de la parole d‘experts, mais la méthode utilisée pour le résoudre est quand même un peu étrange (plus il y de sous derrière, moins la parole de l’expert est valable, point à la ligne).

Testart le dit lui aussi à sa manière  : « Mais qui paye les boîtes qui font ces tests ? Monsanto ou une autre multinationale ! On ne peut pas parler de « laboratoires habilités », ils ne sont reconnus par personne ! »

Autrement dit : pour mesurer la valeur scientifique de ce que dit quelqu’un, on n’examine pas… la valeur scientifique de ce que dit cette personne (ce qui ne pourra être fait à un certain point que par quelqu’un qui a les compétences scientifiques requises), mais on juge sa position sociale. On n’est plus très loin de l’idée de « science prolétarienne », si on se laisse aller sur cette pente savonneuse…. Non pas que la question « qui paye ? » soit idiote, loin s’en faut, mais elle ne peut pas se suffire à elle-même et n’est surtout pas en dernière analyse la plus pertinente pour juger de la qualité d’une étude scientifique. Quant à la notion d’« expertise indépendante », elle ne résout rien en elle-même, surtout lorsqu’elle est, comme souvent employée pour décrédibiliser la recherche publique et lui préférer l’expertise d’ONG scientifiques, qui sont parées abusivement de toutes les vertus d’indépendance. Ainsi, depuis que l’on sait que l’étude de Velot et Séralini a été financée par la multinationale écolo-fondamentaliste Greenpeace (qui est totalement neutre sur la question des OGM, comme chacun le sait) et par la petite coopérative ouvrière connue sous le nom de « Carrefour », on se dit que cet argument de l’« expertise indépendante » a un goût d’effet boomerang ! Les anti-OGM seraient-ils à la solde de la grande distribution ? Évidemment, tout cela n’a aucun sens…. La première qualité d’un expert n’est peut être pas son indépendance (notion qui ne veut pas dire grand-chose, personnellement je n’aime pas être indépendant et je préfère m’inscrire dans des structures collectives et organisées), mais sa compétence dans son domaine d’expertise…Les conflits d’intérêts peuvent ne pas être que financiers, mais aussi idéologiques, et le renforcement de la recherche publique (plutôt que son discrédit au profit de « lobbies » quels qu’ils soient) est encore la meilleure garantie que l’on puisse avoir.

Jacques Testart ouvre un problème intéressant sur le plan politique (celui du statut de l’expertise en démocratie), mais sa réponse est une fuite avant inquiétante :  » On peut s’interroger sur la place qui sera donnée à la société civile par rapport aux scientifiques dans les futures instances d’évaluation, comme la Haute Autorité sur les OGM ? (…) Les scientifiques ne doivent pas être les seuls à décider. »
Ben, ça dépend de ce qu’il y a à décider, non ? Si le problème concerne la question de l’utilisation sociale d’une technologie, c’est évident. Ceci dit, en société capitaliste, le problème n’est pas franchement que les scientifiques décident trop à la place des citoyens, c’est plutôt que les actionnaires décident à la place de la population. Enfin, il me semblait…. Cette vision du monde que développent Testart et les partisans de la Décroissance est très étrange : nous vivrions dans une dictature scientiste, là où l’on pourrait pourtant penser que règne le capital. Franchement, je me dis que si les scientifiques décidaient un peu plus sur des questions comme réchauffement climatique et les conséquences à en tirer, on ne vivrait pas plus mal, au contraire.
Bref, si la question est celle de savoir ce que fait la société, Testart a globalement raison, et on connaît peu de monde qui lui répondrait le contraire. Par contre, sur certaines questions d’ordre scientifique (que sous–entend son expression « évaluation »), c’est con mais c’est comme ça, ce sont les scientifiques du domaine concerné qui sont seuls à pouvoir décider. Par exemple : si la question posée n’est plus « Faut-il cultiver des OGM ? » (question économique/politique/sociale) mais « Cet OGM présente-t-il des dangers ou des avantages particulier d’ordre écologique, agronomique ou sanitaire ? »…. Jacques Testart aimerait-il vivre dans un État du sud des États-Unis dans lequel la communauté citoyenne locale déciderait elle–même, démocratiquement, si la théorie de l’évolution est meilleure que celle de la Création Biblique et doit être ou pas enseignée dans l’école du coin ? Quoique, il y a là peut-être deux questions différentes….
On le voit, le problème est bien plus épineux que ces généralités hâtives qui se parent de radicalité sociale pour tenir un propos souvent essentiellement technophobe…Cette question de l’expertise et de sa portée est délicate et n’est pas facile à résoudre. Ce qui est sûr, de mon point de vue, c’est qu’à ce sociologisme grossier plus proche de Bruno Latour que de Marx, on préférera les réflexions de Jean-Paul Krivine dans la revue de l’AFIS, dans un article intitulé « Indépendance et fiabilité de l’expertise »

Petite (mais longue) annexe pour finir
Une équation s’est répandue (et s’est malheureusement imposée) dans la gauche radicale, celle qui postule que OGM = Monsanto = grand capital, et dont le corollaire logique peut être résumé sous la forme : « Les OGMs sont un outil au service de la mondialisation capitaliste ». Cette équation politique débouche dans la tête de bien des gens de gauche sur sa réciproque connue sous le nom d’« Équation de Testard/Séralini/Velot » : refus des OGMs = refus de la mondialisation capitaliste = combat antilibéral et altermondialiste.

Pourtant les choses sont bien plus compliquées et surtout bien différentes de ça. Sans entrer ici dans le détail de l’argumentation 8, on peut relever que les faits ne collent pas vraiment avec cette vision de choses. Tout d’abord, un petit tour sur le site de Greenpeace nous apprend que, en 2007, 23 députés de la célèbre officine moscoutaire UMP (Union Marxiste pour le Prolétariat ?) étaient des partisans déclarés d’un moratoire sur les OGM (et pas sur le seul Maïs Monsanto MON 810, si l’on en croit Greenpeace…) 9. Parmi eux, notons la présence du fameux autant que délicieux Christian Vanneste, qui a eu son heure de gloire homophobe en expliquant que l’«  homosexualité est inférieure à l’hétérosexualité ». On l’entend d’ici penser un truc du genre : « Les OGM, c’est comme les pédés, c’est pas naturel ! ».

Certes, le groupe UMP comptant 311 membres, ces 23 séralinistes ne représentent que 7,4 % de celui-ci, mais on peut penser que, maintenant que le chef et néo-chanoine a décidé –entre deux tirades sur le sens du sacrifice des curés -qu’il existait des doutes nouveaux et sérieux, cette proportion a dû depuis monter en flèche, et surtout, on peut avancer sans risque de se tromper que la proportion de députés UMP favorables à des mesures indéniablement représentatives d’une vraie logique de classe comme la taxation accrue des profits ou l’interdiction des licenciements est elle inférieure ou égal à 0 %.... Tout ça pour dire que les frontières sociales et politiques ne sont pas si nettes que ça sur la question des OGM. 

Étrangement, dans cette liste de députés UMP irréductiblement opposés aux OGMs, ne figure pas le député de la Moselle François Grosdidier, qui affiche volontiers ses positions anti-OGMs qu’il développe à travers son association « Écologie responsable ». Pourtant, le brave François, « un bon gars » comme on dit chez nous, est bien connu des militants anti-OGMs, étant donné que Christian Vélot, Jacques Testard et Jean-Émile Sanchez tenaient table ronde avec lui le 12 novembre 2005 au salon de la Marjolaine (pour ceux qui ne connaissent pas, c’est la grande foire des produits bios/médecines alternatives/gadgets ésotériques et pseudos-sciences en tous genres), pour un débat intitulé « Les OGMs en question » 10. Très exactement à la même période, en novembre 2005, François Grosdidier, qui s’était fait élire à Woippy en chassant très clairement sur les terres du Front National, venait de commencer sa croisade pour l’interdiction de certains titres de rap et s’apprêtait à faire sa sortie sur « les mariages blancs » qu’il ne voulait plus célébrer dans sa mairie. Non, décidément, le croisement des gènes, c’est pas son truc, à François…

Dans le même ordre d’idée, devinerez-vous quel militant de gauche radicale a demandé en janvier 2007 l’«  interdiction immédiate et totale de toute culture et de tout essai d’OGM en milieu ouvert » en expliquant que :

« il serait suicidaire de faire peser, en autorisant la culture d’OGM à l’air libre, des risques irréversibles sur l’agriculture, l’alimentation, la santé publique et la biodiversité. Des risques que n’hésitent pourtant pas à prendre les multinationales, dont l’intérêt et l’objectif est de disséminer les OGM, de telle sorte que leur présence devienne incontournable. Car alors, ils pourront mettre la main sur les marchés juteux de l’agroalimentaire. À Bruxelles, ces firmes exercent un intense lobbying afin d’obtenir l’ouverture des marchés européens. Elles sont, dans ce combat, relayées par la toute-puissante Commission, qui autorise les importations d’OGM et édicte des réglementations pseudo-protectrices. »

Tout cela sonne bien, non ? On sent presque l’odeur de la pipe sous les poils de la moustache…

Mais bon, comme on se doute bien qu’il y a un piège… Peut être n’est-ce pas du José Bové mais plutôt du Susan George ou du Paul Ariès ? Allez, pourquoi pas : du François Hollande un soir de cuite ?

Perdu, c’est du vicomte de Villiers…. 11

Qu’est ce que tout cela prouve ?

Pas grand-chose, certes.

Mais quand même….

Il ne s’agit pas du tout d’insinuer ici que les anti-OGMs sont tous des gens d’extrême droite, ce serait absurde et mensonger. Mais on peut quand même faire remarquer à Christian Velot et Jacques Testart, grand donneurs de leçons de citoyenneté progressiste et très prompts à mettre en cause la probité de leurs collègues, qu’il serait judicieux d’éviter par principe de fricoter avec Grosdidier, tout en leur rappelant que si ils veulent continuer à être pris pour des gens crédibles sur le plan scientifique, la fréquentation participative du salon de la Marjolaine n’est peut être pas des plus indiquées de toutes façons (pas plus que la signature de manifestes en faveur de l’homéopathie et des « médecines traditionnelles » 12)…

Conclusion (provisoire)

Sur cette question des OGM, les lignes de clivage n’épousent pas des lignes de classe, mais plutôt des approches différentes de la place de la science dans la société, pour lesquelles justement le gauche/droite semble un peu brouillé ces temps-ci… À l’heure de la « novlangue néolibérale », les mots tendent à perdre leur sens historique légitime (puisque « réforme » semble aujourd’hui de plus en plus signifier « contre-réforme sociale », par exemple), mais il n’est pas sûr du tout que la gauche ait à gagner de ce brouillage généralisé et qu’elle soit sur la bonne voie en décrédibilisant avec autant d’ardeur des notions qui font pourtant partie de son patrimoine, comme celles de « progrès » ou de « progressisme ».

1 http://orta.dynalias.org/archivesrouge/article-rouge?id=7296 (indisponible—12 mars 2020).

2 http://orta.dynalias.org/archivesrouge/article-rouge?id=7422
Lors de la mascarade décroissante plus connue sous le nom de « contre-grenelle de l’environnement », cette question décisive de l’« irradiation des aliments » avait déjà occupé dans le programme de l’événement, et au même titre que « l’idéologie de la consommation » ou « la désobéissance civile », une véritable place de choix, qui n’avait pas été accordée à des questions aussi secondaires que, par exemple, « nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 » ou « le réchauffement climatique » :
http://www.contre-grenelle.org/.

3 http://orta.dynalias.org/archivesrouge/article-rouge?id=7371 (indisponible—12 mars 2020)].

4 Table ronde "Faut-il avoir peur des OGM ?", parue dans L’Humanité du 26 janvier 2008. Toutes les citations de Jacques Testart de cet article sont tirées de ce numéro de L’Humanité.

5 http://tf1.lci.fr/infos/sciences/environnement/0,,3678767,00-ogm-scientifiques-haute-autorite-sentent-trahis-.html(indisponible—12 mars 20320).

7 http://www.lcr-rouge.org/spip.php?article824 (indisponible—12 mars 2020)].

9 http://www.greenpeace.org/raw/content/france/getinvolved/votre-candidat-est-il-pro-ogm/resultats/deputes-pour-moratoire-ogm.pdf.

10 http://www.ogmdangers.org/action/agenda/
Je précise que j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé sur Internet de mention du fait que les 3 anti-OGMs altermondialistes auraient refusé de participer au débat en y apprenant la présence de Grosdidier.

11 http://www.pourlafrance.fr/actualites_detail.php?id_com=1075 (indisponible—12 mars 2020).

12 http://www.acecomed.org/manifeste/?petition=2.


Mots-clés : OGM


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L' auteur

Yann Kindo

Yann Kindo est enseignant en histoire-géographie. Il est l’auteur du blog La Faucille et la Labo

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