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Les cigarettes électroniques

Publié en ligne le 18 janvier 2015 - Tabac -
Version longue d’un encadré paru dans SPS n° 311

Les cigarettes électroniques voient leur usage se développer progressivement alors que les ventes de tabac diminuent et que celles des substituts nicotiniques stagnent [1].

Les cigarettes électroniques sont des dispositifs fonctionnant sur piles/batteries (en général rechargeables) permettant à l’usager d’inhaler la vapeur produite par le chauffage d’un liquide. La température de chauffage et la composition de ce liquide sont déterminées soit par le fabricant (pour les dispositifs jetables) soit, le plus souvent, par le consommateur qui peut composer son « mélange » en fonction de ses désirs à partir de : nicotine, arômes, agents de saveur, colorants… La présence de propylène glycol/glycérol (80/20) explique la production d’une vapeur visible dans l’air expiré.

Il est préférable de parler toujours au pluriel des cigarettes électroniques car il existe de nombreux dispositifs et la liste des produits pouvant être « vapotés » à des concentrations variables (avec ajout, ou non, de nicotine) est potentiellement illimitée. Fin 2014, aucune standardisation des dispositifs et des produits consommés n’existe.

L’industrie du tabac, qui a initialement négligé ce marché potentiel de la nicotine, fait des efforts considérables pour reprendre la main en standardisant les cigarettes électroniques et les produits vapotés : British American Tobacco commercialise la Vype®, Philip Morris la Markten®. Leur objectif est de maintenir les consommateurs dépendants à la nicotine le plus longtemps possible.

Étant donné le nombre d’incertitudes sur des points cruciaux qui existent au sujet des cigarettes électroniques, il est normal qu’un débat s’instaure et que les personnes interprètent différemment, selon leur sensibilité et leur expérience, les aspects pour lesquels il reste encore beaucoup de marge spéculative. Dans cette période d’incertitude, il est toutefois indispensable pour les pouvoirs publics de réglementer leur usage, principalement du fait que la très grande majorité des vapoteurs consomment de la nicotine qui est actuellement la drogue la plus puissante sur le marché des drogues licites et illicites.

Afin de définir une politique sérieuse et cohérente, il est souhaitable d’envisager plusieurs points de vue :
 celui des fumeurs qui veulent arrêter,
 celui des jeunes qu’il faut protéger contre la dépendance à la nicotine,
 celui de la population générale.

Fin 2014, les observations scientifiques sont peu nombreuses ; toutefois, il est possible de faire état de trois expertises collégiales indépendantes réalisées par l’Organisation Mondiale de la Santé [2], l’American Heart Association [3] et l’European Respiratory Society [4].

Quels sont les risques sanitaires liés à l’usage des cigarettes électroniques ?

Les risques liés à la consommation de tabac fumé sont, en grande partie, dus à l’inhalation de la fumée produite par la combustion du produit. Cette combustion n’existe pas avec les cigarettes électroniques.

Toutefois, actuellement, le recul d’utilisation des cigarettes électroniques est insuffisant pour répondre de façon formelle. De plus, la température de chauffage des produits varie d’un dispositif à l’autre, la variété des produits vapotés est sans limite et ils peuvent être combinés entre eux à des concentrations variables. Enfin, très souvent la composition exacte des arômes, additifs… achetés par le vapoteur est inconnue.

En ce qui concerne la nicotine, ses risques pour la santé de son consommateur sont imparfaitement connus [5]. Si la consommation sur le long terme des substituts nicotiniques (patchs et formes orales : gommes, inhaler, spray…) aux doses thérapeutiques est sans grand danger pour l’usager, leur administration sous la forme de tabac fumé se traduit par une accélération de la fréquence cardiaque avec une élévation de la pression artérielle. Le risque cancérigène de la nicotine a pu être évoqué, toutefois sans preuve formelle à ce jour. Enfin, la nicotine traverse le placenta et peut être à l’origine d’un syndrome de sevrage nicotinique du bébé à la naissance [6]. Concernant le vapotage de nicotine, certains usagers utilisent leur cigarette électronique quasiment en continu et les doses de nicotine administrées peuvent être élevées. Bien sûr, l’usage de la nicotine sous forme de tabac fumé ou par vapotage entraîne l’installation et la poursuite d’une dépendance.

Au total, fin 2014, il est très vraisemblable que vapoter soit moins dangereux que fumer, toutefois, cette réduction de risque reste à quantifier.

Pour l’OMS, si « l’utilisation de ces dispositifs présente un danger grave pour l’adolescent et le fœtus, l’exposition réduite à des substances toxiques que permet l’utilisation d’inhalateurs électroniques de nicotine bien réglementés par des fumeurs adultes réguliers en remplacement complet des cigarettes a des chances d’être moins toxique pour le fumeur que les cigarettes classiques ou que d’autres produits de tabac brûlés. Toutefois, on ignore actuellement l’importance de la réduction de risques. » [2]

Les cigarettes électroniques peuvent-elles aider à arrêter de fumer ?

Le peu d’études scientifiques méthodologiquement valables à partir de séries de vapoteurs suffisamment importantes avec randomisation et suivi suffisamment long publiées ne permet pas actuellement d’évaluer et de quantifier un éventuel effet thérapeutique sur la consommation de tabac. Bien évidemment, des observations individuelles d’arrêt du tabac avec utilisation des cigarettes électroniques existent de même que des observations d’échec après recours au vapotage.

Pour l’OMS : « les données scientifiques sur l’efficacité des inhalateurs électronique de nicotine comme méthode de sevrage tabagique sont limitées et ne permettent pas de tirer des conclusions ». « Aucune cigarette électronique de nicotine n’a encore été évaluée et approuvée par un organisme public en tant qu’aide au sevrage tabagique. » [2]

Est-il efficace pour la santé de vapoter pour fumer moins ?

Actuellement, la majorité des vapoteurs sont des vapo-fumeurs ; c’est-à-dire des fumeurs qui réduisent leur nombre de cigarettes fumées par jour tout en vapotant, en espérant ainsi réduire les risques pour leur santé liés à la fumée de cigarettes.

Malheureusement, vapoter tout en réduisant le nombre de cigarettes fumées dans l’objectif de réduire les risques liés au tabagisme est peu efficace ; de nombreuses études sur des dizaines de milliers de fumeurs suivis sur des dizaines d’années démontrent que réduire durablement sa consommation de tabac fumé [ce qui est très difficile) ne réduit pas significativement les risques pour la santé du fumeur [7, 8] ; en effet, d’une part, le fumeur modifie son mode de fumage en fonction du nombre de cigarettes fumées (c’est le phénomène de compensation avec recours à des bouffées plus profondes, plus nombreuses, plus longues…), ce qui se traduit par une réduction modeste de la quantité de produits toxiques inhalés et, d’autre part, le risque cardio-vasculaire est déjà important pour la consommation de quelques cigarettes [9] et les risques de cancer augmentent plus en fonction du nombre d’années de tabagisme que du nombre de cigarettes fumées [10]. La méconnaissance par les vapo-fumeurs de cette « fausse sécurité » liée à la réduction du nombre de cigarettes fumées permet à l’industrie du tabac de continuer, tout en vendant des cigarettes électroniques, de maintenir les fumeurs dans leur consommation de tabac fumé.

L’OMS conclut que : « comme il est probable que la durée du tabagisme joue un rôle plus important que son intensité dans les conséquences nocives qu’il a sur la santé, le double usage aura bien moins d’effets bénéfiques sur la survie en général que le sevrage tabagique complet »[2].

Faut-il interdire la vente des cigarettes électroniques aux mineurs ?

L’interdiction de vente aux mineurs des cigarettes électroniques a été votée par le parlement français en juin 2013 [11] ; elle est parfaitement justifiée, surtout concernant la vente de nicotine qui est une drogue puissante. La crainte du législateur est que les jeunes adolescents s’initient à la consommation de nicotine et deviennent dépendants à la nicotine par l’usage des cigarettes électroniques, puis passent tôt ou tard à celle de tabac fumé. Le recul est actuellement insuffisant pour savoir si cette crainte est fondée ou non.

La publicité pour les cigarettes électroniques doit-elle être encadrée ?

Le marketing de la cigarette électronique a évolué rapidement au cours des dernières années. Initialement, il était orienté vers les fumeurs en préconisant une possible réduction de risques. Maintenant, suite en particulier à la reprise progressive du marché par l’industrie du tabac, il est de plus en plus ciblé vers les jeunes afin de les amener à consommer de la nicotine. Aussi, les stratégies et techniques sont-elles désormais très proches de celles utilisées précédemment pour les produits du tabac [12].

L’industrie du tabac réintroduit pour les cigarettes électroniques toute l’iconographie « glamour » qui a été associée à l’usage de la cigarette et assure le développement de nouveaux produits dont l’aspect est quasi identique à celui de la cigarette traditionnelle (les « cigalikes ») (cf. plus bas).

Les mesures du Programme National de Réduction du Tabagisme (PNRT) annoncées par Marisol Touraine [13] prévoient « d’encadrer la publicité pour les cigarettes électroniques qui sera définitivement interdite le 20 mai 2016 sauf sur les lieux de vente et dans les publications destinées aux professionnels de la vente du tabac et des cigarettes électroniques  » (circulaire du 25 septembre 2014 relative à l’encadrement de la publicité des dispositifs électroniques de vapotage).

Doit-on autoriser le vapotage dans les lieux publics ?

Le vapotage passif existe, il se traduit par le passage de nicotine dans le sang de non-fumeurs non-vapoteurs présents dans une pièce où se trouvent des vapoteurs. En effet, le vapoteur exhale une vapeur dans laquelle se trouvent de la nicotine, mais aussi, par exemple, des particules ultra fines (PM 2,5). D’un point de vue sanitaire, il est donc souhaitable que l’on ne puisse pas vapoter là où il est interdit de fumer.

L’interdiction de fumer dans les lieux publics avait eu pour objet de protéger contre le tabagisme passif mais aussi de « dénormaliser » la consommation de tabac en faisant comprendre que la consommation de tabac n’est pas un comportement banal, dans la mesure où elle tue un de ses consommateurs fidèles sur deux [14] ; ce retour en grâce affiché dans les lieux publics de la dépendance à la nicotine par le biais des cigarettes électroniques va redonner un droit de cité à cette dépendance.

En France selon le PNRT [13] et « conformément à l’avis du Conseil d’Etat du 17 octobre 2013, la cigarette électronique sera interdite dans les établissements accueillant des mineurs (les écoles par exemple) dans tous les moyens de transport collectif, et dans tous les espaces clos collectifs de travail  ». À ce sujet, rappelons que les cafés, hôtels, restaurants, discothèques… sont des endroits clos collectifs de travail, compte tenu du nombre d’employés qui y travaillent.

Quel est le statut souhaitable de la cigarette électronique ?

La situation actuelle est encore incertaine, qu’il s’agisse de la vente des dispositifs ou des produits consommés ; aucun statut ni réglementation spécifique n’existe concernant leur vente en dehors des réglementations habituelles pour tous les produits de consommation humaine (en dehors de la concentration de nicotine qui ne doit pas dépasser 19,9 mg/ml).

Les opinions sont multiples et s’opposent en l’absence de connaissances rigoureuses concernant un produit dont l’usage peut être envisagé comme :
 souhaitable pour les fumeurs qui ont arrêté de fumer,
 non efficace pour la santé des vapo-fumeurs qui continuent à fumer,
 non souhaitable pour les enfants afin de les prévenir d’entrer dans la dépendance à la nicotine.

Les buralistes souhaitent vendre les cigarettes électroniques ; toutefois, il ne s’agit pas de tabac à proprement parler et leur pauvre respect de la législation au cours des années (concernant en particulier l’interdiction de vente aux moins de 18 ans et la législation sur la publicité sur les lieux de vente) devrait justifier que l’on ne leur confie pas la vente de la nicotine.

La vente exclusive en pharmacie de la nicotine par des professionnels responsables pourrait être envisagée ; ils peuvent donner des conseils sanitaires éclairés pour arrêter de fumer, et sont habitués à vendre des produits toxiques pour la santé (dont certains pour traiter des addictions tels que des dérivés morphiniques…).

La commercialisation de produits du tabac chauffés

L’industrie du tabac ouvre actuellement un troisième marché de la nicotine addictive, entre ceux du tabac fumé classique et des cigarettes électroniques, il s’agit du tabac chauffé. Japan Tobacco International a ouvert le feu avec la Ploom® dont le dispositif rappelle celui d’une cigarette électronique dans sa forme et son fonctionnement, sauf que la vapeur inhalée ne provient pas d’un liquide chauffé mais du chauffage de dosettes de tabac spécialement fabriquées à cet effet avec des goûts variés : pêche, menthe, cannelle…

Philip Morris suit avec le lancement récent en Italie des Marlboro Heatsticks® correspondant à des mini-cigarettes de tabac avec filtre, plus courtes que les cigarettes traditionnelles, qui sont insérées dans un appareil qui chauffe le tabac et permet l’inhalation de la vapeur produite.

À ce jour, aucune information ne circule sur le type de tabac utilisé, les additifs, ajouts, la composition de la vapeur… de ces nouveaux produits du tabac.

Conclusion

Le succès actuel des cigarettes électroniques auprès des fumeurs est lié au souhait de la grande majorité d’entre eux d’arrêter de fumer et, aussi, au coût plus faible de son usage par rapport à celui du tabac fumé. Malheureusement beaucoup de fumeurs qui vapotent deviennent des vapo-fumeurs et non des ex-fumeurs.

La crainte d’une entrée massive des jeunes en addiction à la nicotine par le biais de l’usage de la cigarette électronique sera, ou non, confirmée dans les prochaines années.

Les pouvoirs publics doivent prendre des décisions difficiles pour encadrer cet usage, en l’absence de données scientifiques formelles.

L’industrie du tabac récupère progressivement le marché des cigarettes électroniques et brouille un peu plus les cartes en commercialisant de nouveaux produits du tabac qui sont chauffés, et non plus brûlés.

Les auteurs remercient Madame Anna Spinosa pour la réalisation bibliographique et graphique et Madame Chantal Sivry pour la frappe de ce texte.

Références

1 | Lermenier-Jeannet A. Le tabac en France : un bilan des années 2004-2014. Tendances n°92, OFDT, 6 p. Mai 2014.
2 | Inhalateurs électroniques de nicotine. Rapport de l’OMS. Conférence des Parties à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Sixième session, Moscou, 13-18 octobre 2014.
3 | Bhatnagar A, Whitsel LP, Ribisl KM et al. Electronic cigarettes : a policy statement from the American Heart Association. Circulation 2014 ;130:1418-36
4 | Blasi F, Ward B. Electronic nicotine delivery systems (ENDS) : the beginning of the end or the end of the beginning ? Eur Respir J 2014 ;44:585-8
5 | Martinet Y, Bohadana A, Eds. Le tabagisme. Paris, Masson, 2004, 3ème édition, 340 p.
6 | Espy KA, Fang H, Johnson C, Stopp C, Wiebe SA. Prenatal tobacco exposure : developmental outcomes in the neonatal period. Dev Psychol 2011 ;47:153-6
7 | Hart C, Gruer L, Bauld L. Does smoking reduction in midlife reduce mortality risk ? Results of 2 long-term prospective cohort studies of men and women in Scotland. Am J Epidemiol 2013 ;178:770-9.
8 | Bjartveit K, Tverdal A. Health consequences of smoking 1-4 cigarettes per day. Tob Control 2005 ;14:315-20
9 | Thomas D. Tabagisme et maladies cardiovasculaires. Rev Prat 2012 ;62:339-43
10 | Doll R, Peto R, Boreham J, Sutherland I. Mortality in relation to smoking : 50 years’ observations on male. BMJ 2004 ; 328:1519
11 | http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/ta/ta0295.pdf
12 | McCarthy M. E-cigarette companies target youth, US congressional study finds. BMJ 2014 ;348:g2871
13 | Programme national de réduction du tabagisme. Dossier de presse, 25 septembre 2014.
14 | Hill C. Epidémiologie du tabagisme. Rev Prat 2012 ;62:325-29

Publié dans le n° 311 de la revue


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Les auteurs

Yves Martinet

Yves Martinet est pneumologue, professeur émérite, université de Lorraine. Il est également Président du CNCT (...)

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Emmanuelle Béguinot

Emmanuelle Béguinot est directrice du CNCT (Comité National Contre le Tabagisme).

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Nathalie Wirth

Nathalie Wirth est médecin addictologue responsable de l’Unité de Coordination de Tabacologie au CHU de Nancy et (...)

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Pascal Diethelm

Pascal Diethelm est ancien fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la Santé, consultant en santé publique, (...)

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