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Les réactions de nos lecteurs

Publié en ligne le 19 mars 2006 - Épistémologie -
Abrégé dans SPS n° 271, mars 2006 - Version intégrale ici

Non, nous ne sommes pas tous croyants !

Non, Monsieur Nordon, nous ne sommes pas tous croyants. Mais je reconnais qu’il est malaisé de sortir des stéréotypes culturels dans lesquels nous baignons tous et qui influent sur notre vie en société.

Très représentative, la rubrique « Dieu » et ses corollaires fidéistes mystérieux méritent une mention particulière de par l’influence qu’ils exercent sur l’évolution de la pensée, et à tel point que ces concepts greffés dans les cerveaux ne font plus qu’un avec eux. L’idée de Dieu n’est pas innée mais, contrairement à d’autres valeurs inculquées, elle n’est ni indispensable, ni nécessaire au développement harmonieux de l’être humain. Peut-être même, au contraire. Le problème est que la dépendance est injectée en même temps que la potion et qu’un besoin fictif est créé dès la naissance dans la plupart des familles. Le conditionnement à vivre selon ce modèle exemplatif est tel que la seule idée de le mettre en question paraît rédhibitoire.

Cette observation n’est pas réservée aux religions et dépasse la tradition : « Au dogmatisme classique, dogmatisme de la certitude, s’est progressivement substitué, non pas un tassement des croyances, mais plutôt un dogmatisme de l’incertitude dont on peut penser qu’il caractérise la plupart des religions modernes (en prenant “religion” au sens le plus large du terme). Incertitude quant à l’objet, mais certitude quant au sujet : on croit de toute façon, peu importe au fond à quoi [...] » 1.

Tout le monde, dites-vous, croit en quelque chose. A la question de savoir pourquoi, la réponse la plus communément admise - après « je ne sais pas » ( !) - est : « pour donner un sens à la vie ». Mais cette quête immémoriale du sens de la vie n’est-elle pas elle-même, sinon une croyance, au moins un désir de croire ? On ne sort pas du diallèle. Et la rustine classique qui consiste à justifier un comportement par une habitude qui remonte à la nuit des temps ne peut évidemment convenir car ni le nombre de ses adhérents, ni sa durée dans le temps, ni même une éventuelle universalité ne peut valider une croyance.

Ne rien croire est impossible, affirmez-vous encore de façon péremptoire. Vous me posez-là un réel problème existentiel ! Car j’ai eu beau chercher, je n’ai rien trouvé qui me donne envie de croire : ni dieux, ni l’Homme, ni la Science, ni le Progrès... Ceci ne veut pas dire que j’aie le culot de dénigrer les (in)croyances des autres - quelles qu’elles soient - ou de décider de leur nullité. Se passer de l’hypothèse divine, par exemple, ce n’est pas faire preuve d’une prétention indécrottable, comme vous semblez l’induire (en tout cas, pas plus que de se croire créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, surtout après tout le bien qu’on en dit !) mais procède simplement d’un choix.

Croire - c’est-à-dire prendre pour vrai quelque chose qui ne peut être observé ou démontré - n’est pas ici synonyme de penser, estimer, supposer etc. et la recherche de la satisfaction du désir de croire, pour fréquente et compréhensible qu’elle soit, ne peut en aucun cas être généralisée à l’espèce.

Nadine de Vos

Les degrés de croyance

Didier absolutise l’attitude de modestie intellectuelle qui devrait caractériser tout scientifique. S’appuyant sur le fait que nous ne pouvons pas démontrer de façon absolument certaine par exemple la non-existence des divinités des Mayas ou l’exactitude de la théorie du Big-Bang, il en vient à adopter une position de scepticisme radical. Je trouve une position de scepticisme modéré plus raisonnable. Certes, toutes nos connaissances, même scientifiques, peuvent être considérées comme des “croyances”. Par principe, nous devons être sceptiques non seulement à l’égard des autorités instituées et de la tradition, mais également à l’égard de nos propres croyances. Toutefois, certaines connaissances sont mieux fondées, logiquement et empiriquement, que d’autres, raison pour laquelle il m’apparaît préférable de parler de degrés de croyance ou de vérification, plutôt que de s’en tenir à une opposition croyance-certitude. Emile Chartier - mieux connu sous le nom d’Alain - a joliment illustré l’utilisation de la notion de croyance comme un continuum, qui va des croyances totalement fantaisistes aux convictions étayées par l’observation méthodique et critique de nombreux faits. Il écrivait : « Les degrés du croire sont les suivants. Au plus bas, croire par peur ou par désir (on croit aisément ce qu’on désire et ce qu’on craint). Au-dessus, croire par coutume et imitation (croire les rois, les orateurs, les riches). Au-dessus, croire les vieillards, les anciennes coutumes, les traditions. Au-dessus croire ce que tout le monde croit (que Paris existe, même quand on ne le voit pas ; que l’Australie existe, quoiqu’on ne l’ait jamais vue). Au-dessus, croire ce que les plus savants affirment en accord d’après des preuves (que la terre tourne, que les étoiles sont des soleils, que la lune est un astre mort, etc.). Tous ces degrés forment le domaine de la croyance. Quand la croyance est volontaire et jurée d’après la haute idée que l’on se fait du devoir humain, son vrai nom est foi. » 2

La question de la relativité des connaissances et des formes de scepticisme a été abordée avec clarté par Alan Sokal et Jean Bricmont dans les Impostures intellectuelles 3. Ces auteurs ont bien expliqué les raisons d’accorder davantage de crédit à certaines « croyances » scientifiques qu’à des croyances superstitieuses ou métaphysiques par exemple. Parmi ces raisons, citons la possibilité de prédire avec une grande précision de nombreux faits, que d’autres croyances ne permettent absolument pas de prédire.

Jacques Van Rillaer

L’hypothèse Dieu

En tant que géophysicien retraité, je voudrais apporter humblement ma petite goutte d’eau à l’océan des problèmes posés par Didier Nordon, Agnès Lenoire et Jean-Paul Krivine [...]. Les sciences, tout en étant multiples, doivent être compatibles entre elles. Ce n’est pas le cas actuellement. Il y a sous-détermination des théories par les faits. A un stade donné de faits observables, plusieurs théories sont possibles. Ce n’est qu’en pouvant observer de nouveaux phénomènes qu’on peut éliminer certaines de ces théories. Toute théorie part obligatoirement d’axiomes qu’on estime a priori vrais. Quant on reste dans le domaine des spéculations, on peut toujours estimer que ces axiomes sont des postulats, des hypothèses, mais quand on doit passer à l’action, il faut prendre parti. Agir soit en croyant que l’axiome est vrai, soit en croyant que l’axiome n’est pas vrai.

En ce qui concerne l’hypothèse de l’existence de Dieu, Pascal admet que l’on puisse douter, mais il nous dit que nous avons avantage à parier pour son existence : si vous gagnez (Dieu existe) vous gagnez tout. Si vous perdez (Dieu n’existe pas), vous ne perdez rien.

Dans l’état actuel de nos connaissances, je ne peux pas prouver indubitablement que Dieu n’existe pas et je constate que des gens intelligents et instruits croient en Dieu. Mais je demande à ces croyants de me dire ce qu’ils appellent Dieu et ce que leur Dieu leur ordonne. Et là, leurs réponses sont confuses et contradictoires. [...]

Jean-Louis Bureau

La chair et le Verbe

Quand les 8 cm2 de mes rétines ont transmis le Verbe de Nordon à mes 1300 g de système nerveux central, mes 400 g de myocarde ont accéléré la ronde de mes 5 litres de sang et mes tripes se sont un peu agitées...

La cervelle, c’est ce que je trouve chez mon boucher (un philosophe).

Pour traquer la conscience d’un individu sans attendre qu’il soit mort, c’est plus commode, je propose à Nordon deux expériences simples.

La première consiste à vivre intimement une ou deux journées (je ne suis pas dure) avec des déments, peu importe l’étiologie, en leur posant la question de l’être et du néant et tutti quanti ou plus simplement : comment aller aux toilettes ?

La seconde est encore plus simple : qu’il avale 1/2 litre de vodka ou de rhum en demandant à être filmé et enregistré. Il verra ce qu’il advient de sa conscience et à quoi il sera réduit. La conscience n’est pas une cerise : elle ne se conserve pas dans l’alcool. Nordon peut-il nous expliquer comment l’alcool peut agir sur un truc immatériel ?

Platon a oublié le corps, mais lui, il avait des excuses.

Je ne suivrai pas Agnès Lenoire à propos de l’incroyance : limiter la pensée humaine à la logique rationnelle est une erreur. Comme le constate J-P Krivine, et que cela étonne, la logique mathématique ne suffit pas à l’analyse du réel. L’hégémonie du langage fait oublier l’importance de la pensée non verbale. Les croyances participent à la pensée qui est un phénomène biologique concret dont l’étude ne s’accomode pas de spéculations abstraites.

On peut noter, par exemple que Penrose ou Alain Connes 4 croient que les maths sont une réalité extérieure au cerveau humain. Et à lire "Soyez prophète" on peut penser que Charpak aussi. « Croire en l’existence d’une vérité mathématique en dehors de l’esprit humain exige du mathématicien un acte de foi dont la plupart ne sont pas conscients » 5.

Cette foi restera respectable tant qu’elle pourra être discutée, comme le fait Alain Connes. Ce qui serait intolérable serait que des mathématiciens fanatiques s’érigeant en maîtres à penser veuillent imposer leur conviction sous couvert de l’enseignement des mathématiques.

Mais les maths ne sont pas une science, seulement un outil. Par exemple, les équations qui traduisent les phénomènes physiologiques ne donnent aucun renseignement sur les structures sur lesquels ils reposent. Bien que l’on puisse la formuler par une équation, ce n’est pas une loi mathématique qui détermine la propagation de l’influx nerveux. Sa compréhension passe par celle des rapports entre structure et fonction. Le scalpel de la maladie qui ne s’embarrasse pas de morale, en dissociant conjointement structures anatomiques et fonctions mentales a été et reste une source très féconde de compréhension du fonctionnement cérébral que le développement des sciences fondamentales permet d’affiner.

L’espèce humaine est apparue après bien des ratés (les espèces disparues) où la survie se jouait à la milliseconde. Dans le buissonnement de l’évolution et la multiplicité des pressions sélectives, la lutte pour la survie s’est sophistiquée et la lutte des idées en est une forme au niveau des sociétés humaines ; c’est pourquoi le plus souvent elle n’apparaît pas comme telle. Parfois déguisées sous des apparences scientifiques, les questions économiques, et donc politiques sont un mode d’expression de la lutte pour la vie dans les sociétés humaines. 6

La question essentielle est donc celle de l’exploitation des croyances et du décervelage pour la conquête du pouvoir. C’est ce qui fait de l’accès à la connaissance une condition de la liberté. Parmi les trésors de l’Assemblée Nationale exposés au Palais Bourbon à l’automne 2005, on pouvait voir "Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes". Paris, an IX. Sylvain Maréchal (1750-1803). Deux cents ans, c’était hier.

Monique Bertaud

Des affirmations contradictoires

Je suis lecteur et abonné à Science et Pseudo-Sciences. Comme beaucoup de vos lecteurs, sans doute, je suis depuis longtemps préoccupé par le sujet que traite Monsieur Nordon, dans votre numéro de décembre dernier. Je ne partage pas les tourments qu’il affiche et me range tout à fait aux avis de madame Lenoire et Monsieur Krivine tout en m’attachant à des aspects un peu différents.

Je n’aurais pas imaginé que l’auteur soit celui dont parle madame Lenoire dans son commentaire sur « ZYXaire des sciences »... il faut savoir surprendre ses lecteurs.

Vous pouvez, bien sûr, faire ce que vous voulez de ces lignes.

Très cordialement à vous.

Ayant lu avec attention l’article de Monsieur Nordon, j’approuve les réponses de madame Lenoire et Monsieur Krivine. Je me permets cependant quelques réflexions supplémentaires.

Comment peut-on, en si peu de texte, aligner autant de paires d’affirmations contradictoires :

 « Je suis incapable d’étayer sérieusement quelque considération générale que ce soit à leur sujet » (sur le monde et l’homme) et « ne rien croire est impossible. »

 « Selon moi, le monde n’est l’œuvre d’aucune volonté divine » et « Décréter que n’existent, ni les divinités adorées par les Egyptiens... les Chinois... les Mayas..... relève plus du culot que de la raison. »

 « Ce que je crois sans savoir le démontrer.... c’est à cela que je tiens le plus » et « La sagesse m’impose de ne pas faire trop confiance à mon propre jugement et de rester sceptique à l’égard de mes propres croyances. »

Monsieur Nordon affirme croire qu’il n’existe pas de créateur. Cependant, il ne trouve aucune raison de faire, si peu que ce soit, confiance à la science. D’après lui. elle n’apporte rien de durable, aucun « fin mot de la compréhension des choses ». Il ne critique, par contre, aucune croyance spirituelle. Les religions apporteraient donc, elles, fin mot et compréhension des choses et du monde ! On croit rêver, l’auteur serait un scientifique ! Il oublie, probablement que la religion majoritaire chez nous. proclame le mystère.

Incroyable me paraît cet œcuménisme qui l’empêche de douter de l’existence de tout dieu. Si la science ne peut démontrer que n’existent, ni les divinités des Egyptiens, ni celles des Chinois, ni celles des Mayas... il paraît par contre évident qu’elles ne peuvent cœxister toutes dans l’au-delà, accompagnées, pourquoi pas, de celles qui existeront ou auraient pu exister. Quelle pagaille là-haut !

Et que dire de toutes les religions correspondantes ? De toutes les variantes, sans parler de tous ceux qui affirment croire en Dieu sans reconnaître une religion existante (chacun ajoute alors sa religion personnelle à toutes celles qui sont connues) ?

On peut considérer que toutes ces religions sont, pour l’essentiel, incompatibles entre elles (malgré l’œcuménisme, on n’a jamais vu quelqu’un adopter en même temps deux ou plusieurs religions) ; vu de l’extérieur, il n’y a aucune raison de penser qu’une des religions a une probabilité de vérité nettement plus grande que beaucoup d’autres. Ainsi, la probabilité pour chacune, de représenter la vérité, est assurément nulle ou voisine de zéro. Quelle que soit la religion d’une personne, on peut être à peu près certain que ses révélations ne correspondent pas à la réalité.. Cela malgré, évidemment, l’avis contraire de tous les croyants.

Monsieur Nordon avoue pour une fois son côté spiritualiste en déclarant croire à l’existence de l’âme, mais il embrouille les choses en assimilant l’âme à la conscience ; cela évite d’avoir à se demander si l’âme existe réellement. Reste alors seulement à savoir ce qui advient d’elle au moment de la mort. Pour lui, on (sous- entendu la science, car pour la religion, il n’y a pas de problème) ne pourra jamais rien prouver...

En ce qui concerne l’âme, je ne connais pas d’enseignement scientifique qui porte sur elle quels que soient la spécialité et le niveau. Pour la science, l’âme n’existe pas La science ne peut discuter que d’entités ou phénomènes qui. directement ou par leurs effets, donnent lieu à des observations objectives, accessibles à tous. L’âme n’est pas dans ce cas ; y croire ou ne pas y croire, n’est pas un problème scientifique et ne peut avoir d’intérêt scientifique tant qu’on n’aura pas décelé de manifestation objective de l’âme. La question de sa survie au-delà de la mort ne se pose donc pas en termes de science.

La conscience (au sens psychologique et non moral, bien sûr), existe, elle, chez un humain normal. Son devenir après la mort peut donc être discuté, il le doit car il est capital. L’état de conscience, s’il existe bien chez l’homme, est très fragile. Il suffit d’une très petite perturbation du cerveau pour constater le déclin puis la disparition totale de la conscience, souvent bien longtemps avant la mort. L’évolution de la maladie d’Alzheimer est une illustration frappante de cela. Il suffit que la circulation du sang dans le cerveau soit interrompue pendant quelques secondes, pour que des dégâts irréparables surviennent, pouvant abolir la conscience. Comment pourrait-on penser que la conscience, déjà détruite, va pouvoir se restaurer après la mort, quand l’organisme se décompose totalement ? Aucune manifestation objective ne le suggérant, la science ne peut même pas discuter. Ceux qui veulent croire à la survie après la mort, doivent présenter des arguments. S’ils ne s’appuient pas sur des observations objectives, les affirmations ne seront que des élucubrations.

Sur le sujet précédent, la théorie de l’évolution peut apporter un élément de discussion. Il n’est pas fréquent, chez les spiritualistes ni dans les grandes religions, d’attribuer aux animaux, une âme ou une conscience susceptible de survie après la mort. On ne nous parle pas d’animaux en paradis... et que dire en enfer ?

Pourtant, la théorie de l’évolution nous enseigne que l’homme est une espèce vivante parmi les autres. On est passé progressivement, par petites mutations successives, des organismes primitifs, aux plantes et animaux actuels, y compris l’homme. Pourquoi l’homme seul aurait-il une âme ou une conscience ? L’homme de Neandertal y avait-il droit, y a-t-il une place pour lui au paradis ? En enfer ?

À quel moment de l’évolution, l’âme est-elle apparue ? Le pape aurait indiqué que l’apparition de l’âme a accompagné celle de l’homme mais il n’y a pas eu apparition de l’homme. Il y a eu évolution progressive cela exclut l’idée d’un premier homme.

Les organismes primitifs avaient-ils alors leur petite âme primitive qui aurait évolué en même temps que les organismes ? Si l’âme n’est pas liée au cerveau, y a-t-il, pour elle. une forme particulière de sélection naturelle ? De tout cela, Darwin ne nous parle pas puisque l’âme n’existe pas pour la science (Darwin était-il croyant ?). Les écritures, les religions, Monsieur Nordon lui-même ne nous disent rien à ce sujet.

On comprend que les religions, surtout les adeptes encore créationnistes soient farouchement opposés à la théorie de l’évolution.

Mais on ne peut pas nier que, s’il existe, un Dieu tout puissant (et « tout sachant »). créateur de toutes choses, a pu créer le Monde il y a quelques milliers d’années. Ce n’est pas un sujet pour la science puisque aucune observation concrète ne le suggère mais beaucoup, encore, le croient. Dieu, donc, aurait pu créer à ce moment là, l’humanité déjà toute équipée, avec « âmes et bagages ».

Dieu était peut-être un peu farceur ou seulement déjà mécontent. Il prévoyait que l’homme, surtout sa science, curieuse de ce qui ne la regarde pas, allait se poser des questions et peut-être répondre à quelques-unes. Il a dû brouiller les pistes. Il a pu alors créer en vol, les photons qui nous arrivent aujourd’hui, censés, pour les scientifiques, nous renseigner sur l’état du Monde lors de leur émission supposée, il y a des millions ou des milliards d’années, dans des galaxies lointaines. Il a créé les continents avec leur configuration actuelle, mais avec des dispositions qui évoquent d’anciennes continuités et proximités entre l’Amérique du Sud et l’Afrique, entre l’Afrique du Sud et l’Inde II a pourvu les continents de couches géologiques contenant des fossiles d’espèces qui n’ont jamais existé, simulant évolutions et disparitions successives. Il a poussé le souci du détail jusqu’à créer des espèces particulières différentes dans des lieux isolés depuis longtemps comme l’Australie, l’Amérique ou Madagascar. Et dans les îles Galápagos, juste pour induire Darwin en erreur, il s’est même arrangé pour qu’on ne distingue pas d’anomalies trop visibles entre les couches créées et les dépôts qui ont pu se produire depuis la création... La liste des précautions n’est pas limitative, il y en a beaucoup d’autres, et de meilleures. Oui. tout cela est imaginable mais n’est pas suggéré par des observations concrètes (elles suggèrent au contraire que tous les détails évoqués sont naturels).

On comprend que le dialogue soit difficile entre les scientifiques et les spiritualistes de toutes obédiences. On demande à la science, aujourd’hui mondiale et laïque des démonstrations et des réponses à toutes les questions soi-disant fondamentales auxquelles elle ne peut pas répondre. Elle ne peut même pas se les poser puisqu’elle ne dispose d’aucun élément pour discuter. Quand elle a soulevé un coin de voile, on lui oppose des révélations surnaturelles indiscutables (au sens littéral) mais dont on peut modifier l’interprétation à volonté quand on estime qu’une position n’est plus tenable...

Au contraire, leurs observations conduisent les scientifiques a des interprétations qui font progressivement avancer la connaissance. Oui, au contraire de toutes les croyances et autres pseudo-sciences (j’ajouterais même les arts), le mouvement de la science est assurément une progression. Cela, même s’il arrive souvent que des études nouvelles obligent à réviser des conceptions que l’on pouvait considérer comme acquises.

Pourtant, on oublie, les scientifiques eux-mêmes oublient, que la science, si elle peut reconnaître des relations entre les choses, ne démontre jamais rien de façon absolue. Toute démonstration repose in fine sur un ou des principes fondamentaux non démontrés, qui restent admis pour autant qu’on ne leur a pas trouvé de contre-exemple. Si on en découvre un, il est nécessaire d’élaborer une théorie plus juste, en réalité, souvent seulement plus générale, permettant de franchir le cap. Même les mathématiques fonctionnent un peu de cette manière. Leurs points de départ sont appelés axiomes.

Evidemment, ceux des scientifiques d’aujourd’hui qui restent adeptes d’une religion, peuvent être dans une position inconfortable s’ils ne séparent pas rigoureusement leur côté scientifique et leur côté spiritualiste.

De façon plus générale, le dialogue est vain dès qu’un camp croit à la possibilité d’interventions surnaturelles ou divines pendant que l’autre s’en tient à la seule application des lois naturelles. L’affaire du suaire de Turin en est une bonne illustration : les uns pensent avoir démontré que le suaire est un faux, les autres n’ont besoin que d’un petit miracle pour infirmer toute démonstration. On peut remarquer que la position du pur scientifique est elle-même peu logique : il a prouvé que le miracle est un faux en n’appliquant que des lois qui récusent tout miracle. En quelque sorte, il admet dès le départ ce qui sera sa conclusion. Le résultat est couru d’avance, l’essai est inutile. La réplique du partisan du miracle est assurée.

Le plus grave c’est qu’il y a des scientifiques dans les deux camps. Il faudrait savoir dans lequel se trouve Monsieur Nordon... mais il ne faut pas lui attribuer plus d’importance qu’il n’en a.

Je ne peux m’empêcher de commenter une dernière phrase : « La peur de la mort elle-même ayant quelque chose d’irrationnel : pourquoi craindre un événement obligatoire et dont nous ne savons rien ? »

Je note tout d’abord : Monsieur Nordon qui, nous l’avons vu. ne met pas en cause l’existence d’un seul des dieux de l’Olympe, considère la mort comme inéluctable. Qui donc lui en a donné la démonstration ? Il y a sur Terre, de plus en plus de gens qui ne sont pas encore morts. A-t-on prouvé qu’ils mourront tous ainsi que tous ceux qui naîtront. Monsieur Nordon, qui réclame à la science des démonstrations de toutes choses, adopte là, sans y prendre garde sans doute, une démarche identique à celle décrite plus haut pour la science : on a constaté dans le passé et on constate aujourd’hui qu’aucun humain n’a dépassé un certain âge, disons cent cinquante ans.

On croit alors pouvoir poser le principe de la mort inéluctable de tout humain. Ce principe comme ceux de la physique, sera tenu pour vrai tant qu’on n’aura pas rencontré un contre-exemple. Ce n’est ni plus ni moins démontré que toutes les conclusions scientifiques que Monsieur Nordon critique. La crainte de la mort est un sentiment très important qui a sans doute été déterminant dans le succès des religions. Cette crainte est partagée par la très grande majorité des humains. Turenne, le général de Louis XIV. ne se disait-il pas, le matin de la bataille. : « tu trembles, carcasse mais si tu savais où je te mènerai tout a l’heure, tu tremblerais bien davantage » ?

Contrairement à l’affirmation de Monsieur Nordon, la crainte de la mort n’est pas irrationnelle. Il est naturel de craindre les événements dont on ne sait rien ou peu de chose : je ne sais rien du temps qu’il fera l’été prochain, je peux craindre qu’il soit pluvieux ou espérer qu’il sera beau. Si, au contraire je sais tout d’un événement futur et de ses conséquences, je n’ai rien à craindre ni à espérer...

Personne ne sait quand surviendra sa propre mort et chacun fait ce qu’il peut pour la retarder. On craint les souffrances qui peuvent l’accompagner. Même parmi les croyants, beaucoup craignent la mort malgré l’espoir du paradis. Heureusement, sinon les kamikazes seraient encore plus nombreux. Ils sont d’ailleurs considérés comme fous par l’ensemble des gens « normaux ».

Je reviens enfin à Darwin et à l’évolution. Il est certain que tous les humains qui ne craignaient pas la mort pour eux et pour leurs enfants, ont eu moins de chances que les autres, de maintenir leur lignée. La sélection naturelle a forcément défavorisé cette particularité si l’hérédité y joue un rôle... et même si elle n’est que culturelle. On peut dire aussi que tous les êtres vivants, y compris ceux qu’on ne peut suspecter d’en avoir conscience, se comportent comme s’ils craignaient la mort. La survie des espèces est à ce prix et la sélection naturelle l’explique certainement.

En conclusion, Monsieur Nordon me paraît manquer d’équité car il exige de la science les preuves absolues, aussi bien pour confirmer ses propres affirmations que pour infirmer celles des spiritualistes ; il ne demande rien aux spiritualistes.

J’ai plutôt l’impression qu’il joue le rationaliste tourmenté. Il tenterait peut-être de jouer l’incroyant pour mieux exprimer les contradictions qui sont, selon lui. celles des incroyants : II se prendrait, à lui seul, pour le Cheval de Troie et tous les Grecs à l’intérieur.

G. Dussarrat (Castelnau le Lez, 34)

La théorie du Big-Bang « veut dire quelque chose »

Selon moi, le débat est déjà biaisé au départ par une confusion sémantique : en français, le mot "croyant" et son contraire ont pris, de fait, une connotation religieuse : Le Robert définit ce mot "Qui a une foi religieuse". Ce n’est certainement pas dans ce sens que Didier Nordon déclare que " l’on ne peut pas ne croire a rien."

On croit d’abord à sa propre existence :Cogito ergo sum n’est pas un théorème de mathématiques susceptible d’être démontré

On croit également (en général) à l’existence de réalités extérieures à soi. Le solipsisme ne peut pas être scientifiquement réfuté

Ces deux constatations (on pourrait, bien sûr, en prolonger beaucoup la liste) justifient le titre agressif de Didier Nordon : "Tous croyants"

En anglais, cette confusion est moins probable :"believing" est simplement le participe présent du verbe croire et le sens religieux utilise "faithful".

Par contre, je lui donne tort lorsqu’il prétend que le théorie actuelle du Big Bang ne satisfait pas à la célèbre question de Socrate . Un point de méthodologie scientifique semble lui échapper : Le critère de validité d’une nouvelle théorie scientifique présente un certain cousinage avec la législation sur les brevets : une nouvelle théorie "veut dire quelque chose" si :

 elle explique tous les phénomènes déjà expliqués par les théories antérieures et :

 elle explique, en outre, certains (mais pas tous) des phénomènes jusque là inexpliqués

Selon moi, à ce titre, la théorie du Big Bang, bien que difficile à comprendre, veut dire quelque chose car elle explique le rayonnement radio du fond cosmologique

De surcroît, il a tort de penser que des spéculations métaphysiques ou autres à propos de résultats scientifiques (théorie des quanta ou théorème de Pythagore, etc.) changent quoi que ce soit à la validité prouvée de ces résultats. Elles se tiennent dans un autre domaine : les calculs de la relativité sont exacts et confirmés par l’expérience, qu’ils changent ou non la manière dont nous concevons l’espace et le temps. Il y a changement de registre !

Claude Cardot

1 Le réel, Traité de l’idiotie, Clément Rosset, Les Editions de Minuit, Paris, 1997/2004, page 63.

2 Définitions, Paris, N.R.F., 1953, p. 72.

3 Impostures intellectuelles, Paris, Odile Jacob, 1997, 276 p. Rééd. Paris, Le Livre de poche, n° 4276, 1999, 413 p.

4 Alain Connes est médaille Fields 1988 (équivalent du Nobel en mathématiques).

5 J.-P. Changeux et Alain Connes. Matière à penser. O. Jacob. 1989. p 68.

6 Je me réfère à la lettre de Marcel-Francis Kahn à propos des normes de sécurité radioactive et à l’article de Bertrand Jordan "Du mauvais usage des tests génétiques" (SPS 269) à propos des implications économiques des questions scientifiques.

Publié dans le n° 270 de la revue


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