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Nanotechnologies

Nanomatériaux et nanochimie

Publié en ligne le 10 mars 2013 - Technologie -
par Jean-Louis Pautrat

Alors que la microélectronique s’efforce de graver le cristal de silicium pour ne conserver que de minuscules transistors, une autre approche est apparue, utilisant les voies relativement classiques de la synthèse chimique. La chimie produit naturellement des entités nanométriques, des molécules, plus ou moins complexes. L’art consiste à orienter les voies de synthèse vers la production soit de molécules hautement fonctionnelles, soit vers la fabrication d’« objets », comprenant des milliers ou plus de molécules élémentaires correctement assemblées et dédiés à des fonctions données. Cette voie sera qualifiée de bottom up (par opposition à la voie traditionnelle de la microélectronique dite top down).

Nous allons préciser cela sur un certain nombre d’exemples et constater que la matière montre parfois une certaine bonne volonté à prendre la forme d’objets nanométriques aux propriétés remarquables.

Les nanotubes de carbone

Découverts par hasard en 1991 par un chercheur japonais qui examinait au microscope électronique les suies formées par un arc électrique, ce sont des tubes formés par l’enroulement sur lui-même d’un plan de graphène (agencement d’atomes de carbone semblable à celui d’un feuillet de graphite). Les liaisons chimiques sont toutes satisfaites, à l’exception des extrémités, si bien que le tube de graphène a la constitution d’un cristal parfait. Les nanotubes ont des diamètres de quelques nanomètres pour des longueurs de plusieurs centaines ou milliers de nanomètres. Ils peuvent être conducteurs ou isolants. Ils ont des propriétés mécaniques remarquables car ils peuvent plier sans se rompre et leur masse est très faible car le carbone est un atome léger. Leur grande surface spécifique (l’intérieur, aussi bien que l’extérieur du tube sont des surfaces) leur confère d’importantes capacités d’adsorption 1. Ils ont déjà trouvé de nombreuses applications : renforcement d’objets (raquettes de tennis), adjonction à des résines pour les rendre conductrices, cathodes émettrices d’électrons, adsorbeurs de gaz à grande efficacité...

Le nanotube de carbone est le prototype de ces objets découverts lors de l’exploration du monde nanométrique et qui ont contribué à fonder le champ des nanosciences. C’est aussi un produit dont la quantité produite dans le monde s’accroît très rapidement et se chiffre en centaines, voire en milliers de tonnes par an, et pour lequel on est fondé à se poser des questions sur les risques qu’il peut faire peser sur les travailleurs et la population générale.

Les nanoparticules

La mise au point des techniques de synthèse de nanoparticules permet de préparer sous cette forme une grande diversité de produits : or, argent, silice, oxyde de titane, carbone (fullérènes) et de nombreux types de semiconducteurs. En particulier, des semiconducteurs tels que CdSe (Séléniure de cadmium) qui, à l’état massif, émettent de la lumière infrarouge lorsqu’ils sont soumis à un rayonnement UV, se trouvent émettre de la lumière visible lorsqu’ils sont préparés sous forme de nanoparticules. La couleur de cette lumière dépend de la taille des nanoparticules. Ces nanoparticules fluorescentes constituent un nouveau type de marqueur fluorescent efficace et stable utilisé dans de nombreuses expériences de biologie.

Les nanoparticules peuvent également être dotées de fonctions complémentaires en greffant des molécules actives ou des revêtements spécifiques (médicament, agent de contraste, absorbeur de rayonnement etc.). Nous y reviendrons un peu plus loin en décrivant les applications dans le domaine des nanobiotechnologies.

La nanochimie

La fabrication de tous ces objets que nous venons d’évoquer fait appel à une nouvelle discipline, la nanochimie. Ce terme peut sembler faire pléonasme : la chimie a toujours eu pour objet de synthétiser des molécules dont les dimensions sont indéniablement nanométriques voire subnanométriques. Mais, par ce concept de nanochimie, on désigne une chimie ciblée sur la fabrication d’objets obtenus par l’assemblage de molécules élémentaires et dont la taille finale située dans les nanomètres les dote de propriétés spécifiques. Parmi les nombreux domaines de cette nanochimie, non abordés dans les exemples ci-dessus, nous citerons :

  • Les matériaux massifs nanostructurés, c’est-à-dire constitués de grains nanométriques possédant des propriétés spécifiques (par exemple dureté, action chimique, action sur la lumière, effet magnétique...) ;
  • Les molécules complexes résultant de l’autoassemblage de plusieurs molécules ;
  • La nanostructuration par empreinte moléculaire qui aboutit à la création de matériaux synthétiques, organiques ou inorganiques, possédant des cavités de reconnaissance moléculaire spécifique.

La diversité des matériaux conduit à toute une palette d’applications. Nous n’en citerons que quelques-unes :

  • Les nanoparticules d’oxyde de titane pour la protection solaire. Leur petite taille leur fait perdre leur couleur blanche sans pour autant faire disparaître leurs capacités d’absorption de la lumière ultraviolette ;
  • Le béton incorporant des particules d’oxyde de titane : les particules catalysent la destruction des polluants organiques, elles dépolluent l’air et évitent le noircissement du béton ;
  • Les vitres autonettoyantes d’où les salissures sont éliminées par l’eau de pluie : elles sont recouvertes d’un film rendu super-hydrophobe par une nanostructuration comparable à celle observée sur la feuille de lotus ;
  • Les nanoparticules d’argent bactéricides incorporées à des textiles ;
  • Le renforcement des bandes de roulement des pneus grâce à l’incorporation de particules de silice, etc.

La nanochimie est donc un acteur essentiel des nanotechnologies. Elle crée les briques de base qui serviront à la fabrication d’édifices plus complexes. C’est aussi la science qui fera passer les découvertes liées aux nanotechnologies dans des produits et des matériaux de grande consommation où on ne les attendait pas forcément (béton, pneus, peintures...).

Systèmes micro et nano-mécaniques

Les MEMS (Micro Electro Mechanical Systems)

Dès les débuts de la microélectronique, dans les années 1970, les technologies ont été utilisées pour fabriquer des éléments de microsystèmes électromécaniques. En effet, les techniques de mise en forme du silicium permettent de fabriquer des objets bien plus petits et bien meilleur marché qu’en utilisant les techniques traditionnelles de la micromécanique. Cette tendance ne s’est pas démentie, la mise en forme d’objets, l’intégration d’actionneurs et d’éléments électroniques de contrôle permettent de fabriquer de multiples objets pour un coût très faible. L’application la plus répandue des microsystèmes est le déclencheur d’airbags. La partie sensible est une petite masse de silicium suspendue à de fins bras en silicium. Sous l’effet d’un choc, la masselotte fait fléchir les bras et se déplace. Ce mouvement produit une variation de capacité qui est détectée électroniquement. Si le déplacement est supérieur à une valeur préétablie, l’ordre de gonflage du ballon est donné. Le tout en un temps très bref. Autre exemple de microsystème très répandu : les générateurs de gouttes dans les imprimantes à jet d’encre. Ce sont des microcircuits associant électronique et fluidique capables de produire, à la demande, un chapelet de gouttes. Les microlaboratoires sur puce constituent un autre exemple typique de microsystème appliqué à la fluidique.

Les NEMS (Nano Electro Mechanical Systems)

La miniaturisation venant, la possibilité de fabriquer des nanosystèmes s’est peu à peu affirmée. Tout d’abord, quel peut être l’intérêt de fabriquer des systèmes à l’échelle du nanomètre ou de quelques dizaines de nanomètres ? Les quelques équipes travaillant sur ce sujet suggèrent que de tels systèmes peuvent être conçus pour travailler à l’échelle de la molécule unique, par exemple pour détecter ou analyser des protéines une à une. Par ailleurs, à cette échelle, on peut chercher à tirer profit des phénomènes quantiques qui deviennent prédominants : quantification des photons, du transport électronique ou encore des phonons. Ces systèmes très petits seront fabriqués collectivement. On peut donc envisager la mise en œuvre en parallèle d’un grand nombre d’entre eux.

Premier exemple de réalisation significatif, le spectromètre de masse dédié à la détection d’une molécule unique proposé par l’équipe de Michael Roukes à Caltech. L’élément sensible est un fil suspendu de carbure de silicium de 100 nm de large pour une longueur de 2 µm. Il est incorporé dans un circuit électronique résonant piloté par la vibration du fil à très haute fréquence (450 MHz). La fréquence de vibration dépend des propriétés mécaniques du fil et de sa masse. Le capteur est associé à un ensemble classique de spectrométrie de masse qui génère des ions dans une vapeur à analyser. Lorsque le fil capture une molécule, sa masse change et la fréquence de vibration dérive brutalement. Le suivi des événements permet d’identifier la masse des molécules incidentes. La très petite taille du capteur permet d’en monter un grand nombre en parallèle et de bénéficier ainsi de l’accumulation simultanée de milliers, voire millions de mesures. Dans une autre application, le nanofil peut être traité pour adsorber sélectivement une espèce chimique. La fréquence de résonance du circuit associé à ce capteur va donc être modifiée chaque fois qu’il capturera une molécule de l’espèce visée. En associant un certain nombre de capteurs dédiés sélectivement à différentes molécules, il est possible de déterminer la proportion de ces molécules. Cette application baptisée « nez électronique » est donc capable de déterminer le profil des espèces moléculaires présentes dans un échantillon. Un des objectifs de ce projet serait la détection précoce de certains cancers en analysant l’exhalaison d’un patient (rappelons qu’actuellement on cherche à dresser des chiens pour effectuer cette détection grâce à leur odorat). On peut également penser à de multiples applications dans le domaine agroalimentaire pour contrôler le goût et le parfum des produits.

On peut enfin évoquer ici les recherches sur les moteurs moléculaires. Ces moteurs minuscules existent dans les systèmes vivants sous forme de protéines chargées de transporter les protons à travers la membrane cellulaire (ATP synthase) ou de faire glisser les fibres musculaires l’une le long de l’autre (myosine) ou d’effectuer des transports intracellulaires (kinésine). Certains de ces moteurs peuvent être isolés, fixés ou adsorbés sur un support et leur mise en mouvement détectée. Ils pourraient, à n’en pas douter, constituer de nouveaux éléments pour un passionnant nanomeccano. Mais actuellement, on en reste encore au stade des spéculations...

1 Phénomène par lequel des atomes ou des molécules (adsorbats) se fixent sur une surface solide (adsorbant).