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Science et progrès

Ne pas éteindre la lumière du futur

Publié en ligne le 12 septembre 2013 - Rationalisme -

La science offre de vastes perspectives aux générations futures. Elle promet une compréhension de plus en plus complète de l’univers, une puissance créatrice toujours plus grande sur la structure et les transformations du monde inanimé ainsi que du monde vivant, une capacité croissante à de prendre contrôle de la maladie, du vieillissement et même de l’évolution de l’espèce humaine, une pénétration plus profonde dans le fonctionnement du cerveau, la nature de la conscience et l’origine de la pensée.

La science et sa mise en œuvre par la technologie ont transformé et vont continuer à transformer la société de multiples façons. Ainsi, les sciences physiques et chimiques ont rendu possible, à travers le développement extraordinaire de l’électronique et de nouveaux matériaux, l’avènement de l’âge de l’information et de la communication, abolissant temps et distance, rapprochant les personnes. Des effets majeurs sur les habitudes de travail et l’emploi en ont résulté et en résulteront. Les sciences et technologies biologiques ouvrent des perspectives entièrement nouvelles à notre compréhension du monde vivant et à notre capacité d’agir sur lui, pour la conservation de la santé, la production de nourriture, le contrôle de l’environnement. Elles ont un profond impact sur les relations personnelles et sociales, la structure de la famille, le droit et les valeurs éthiques.

Les technologies avancées induisent aussi un déplacement des industries lourdes, grandes consommatrices de matières premières et d’énergie, vers des activités beaucoup plus respectueuses de l’environnement, permettant ainsi d’espérer aboutir à un développement durable.

La résolution de problèmes sociaux et économiques aigus ne peut être envisagée sans que des découvertes fondamentales n’ouvrent la voie à de nouvelles technologies. C’est ainsi un double défi, intellectuel et technique. Le relever requiert science et recherche. Mais science et recherche dans quel but ?

Acquérir de nouvelles connaissances

Tout d’abord, la recherche est indispensable à l’acquisition de nouvelles connaissances. De la recherche fondamentale dépend le progrès de notre capacité à façonner le monde qui nous entoure, à nous libérer des chaînes de l’évolution et à ouvrir notre fenêtre à l’univers et au futur, à l’espace et au temps.

Alors que s’élèvent des voix mettant en cause la poursuite de la recherche scientifique, nous devons nous prononcer avec force. Entre continuer ou arrêter nos investigations, il n’y a qu’une option valable, il faut continuer, parce que c’est le destin de l’humanité de poursuivre sa quête de la connaissance, parce que c’est la seule façon de résoudre des problèmes encore sans solution, parce que nous ne pouvons pas, nous n’avons pas le droit de barrer les voies vers le futur. Les générations à venir ne nous le pardonneraient pas, si nous décidions que le niveau que nous avons atteint est suffisant. L’option de stopper est aussi totalement égoïste ; seulement nous, les nantis, pouvons nous poser de telles questions, pas les autres. Pour ceux qui actuellement ne bénéficient pas du progrès, nous nous devons de continuer, avec une conscience aiguë de notre engagement et de notre responsabilité.

Nos descendants continueront à évoluer intellectuellement, culturellement, matériellement. Ils pourront, avec le recul, adopter des points de vue bien différents des nôtres. Arrêter la machine les priverait de la possibilité de se développer plus avant et les empêcherait de réussir là où nous avons échoué. Nous devons leur offrir toutes les chances et leur transmettre tous les pouvoirs. Ceci est notre responsabilité et nous n’avons pas le droit de juger à leur place. Ils seront peut-être plus sages que nous.

Développer de nouvelles technologies

En second lieu, la recherche conduit aux découvertes nécessaires au développement de nouvelles technologies. Mettre en pratique les connaissances a rendu possible, et continuera à rendre possible, le développement de puissantes technologies nous donnant de nouvelles libertés, de nouvelles façons de vivre et de nouveaux moyens d’action. Les technologies peuvent être ressenties comme agressives à un certain moment, mais à d’autres, elles nous libèrent et nous devons saisir les chances qu’elles nous offrent.

Les technologies de la vie, résultant des progrès extraordinaires faits dans notre compréhension des processus du vivant et dans notre capacité à agir sur eux, semblent jouer avec un mystère fondamental et lever un interdit premier avec le risque de libérer des forces incontrôlables.

Cela a déjà été le cas avec l’atome, mais l’électricité et l’automobile ont sans doute suscité les mêmes peurs dans le passé. Nous n’avons que modérément réussi à contrôler l’énergie atomique, mais cela aurait pu être bien pire. Nous aurions pu faire sauter la planète ! Bien sûr, le chapitre n’est pas clos, mais ce premier et douloureux examen de passage nous a peut-être préparés à exercer un meilleur contrôle sur les nouveaux pouvoirs quel’humanité se donne par la science et la technologie, et en particulier par les technologies de l’énergie et les biotechnologies.

Les réalisations et les potentialités des manipulations génétiques ont suscité de nombreuses réserves, mais les bienfaits qui en résultent sont innombrables, par exemple en agriculture et production de nourriture, mais en premier lieu en santé humaine. Des substances extraites de sources naturelles sont susceptibles d’être contaminées par des composés dangereux pour la santé. Les biotechnologies peuvent contourner ce problème. Ainsi, les vaccins synthétiques peuvent être plus sûrs que les vaccins naturels. La production d’hormone de croissance humaine par génie génétique fournit un produit exempt de prions qui infectent la même substance d’origine naturelle et causent la maladie de Creutzfeld-Jakob. De nombreux autres exemples de ce genre peuvent être trouvés ; en particulier on peut citer la production de facteur VIII sanguin sans risque de contamination par le virus du Sida.

Mon propre domaine, la chimie, souffre d’une suspicion ou d’un rejet semblable. Là aussi, le malentendu est de taille. On oppose « chimie » et « nature ». Mais une substance est toujours chimique, qu’elle soit naturelle ou pas, qu’elle soit produite par une plante ou un animal ou fabriquée dans un laboratoire. Il n’y a pas de raison qu’un produit naturel soit moins toxique qu’un composé synthétique, qui est en fait généralement plus pur. Il y a quelques années, Bruce Ames, Professeur à l’Université de Berkeley, a eu l’idée d’appliquer aux produits agro-alimentaires le test qu’il avait mis au point pour déterminer le caractère cancérigène ou non des substances chimiques artificielles. Le nombre de pesticides qu’il détecta ainsi dans les aliments est impressionnant : 99,99 pour cent d’entre eux étaient « naturels » (voir encadré).

Pesticides naturels et pesticides artificiels

Presque 99,99 % des produits chimiques ingérés par les êtres humains sont naturels. La quantité de résidus de pesticides synthétiques retrouvée dans les engrais est négligeable, comparée à celle des pesticides naturels produits par les plantes elles-mêmes. 99,99 % des pesticides que les êtres humains ingèrent avec leur alimentation sont naturels : il s’agit de molécules chimiques produites par la plante elle-même pour se défendre contre les moisissures, les insectes et les autres animaux prédateurs. Chaque plante produit différent types de tels produits chimiques. Nous avons estimé qu’en moyenne un Américain ingère environ 1500 mg de pesticides naturels par an, soit environ 10 000 fois plus que les 0,09 mg de résidus de pesticides de synthèse consommés durant cette même période.

Seule une petite proportion de pesticides naturels a été testée sur des rongeurs, et 37 sur 71 se sont révélés cancérigènes. Ces pesticides naturels, cancérigènes chez les rongeurs, sont omniprésents dans les fruits, les légumes, les épices.

Les aliments cuisinés produisent environ 2000 mg d’éléments brûlés consommés quotidiennement qui contiennent de nombreux composants cancérigènes ou mutagènes chez les rongeurs. En comparaison, les résidus de 200 produits chimiques synthétiques évalués par la FDA (Food and drug administration) considérés comme de grande importance, principalement des pesticides, représentent une ingestion d’environ 0,09 mg par personne et par jour.

Dans une simple tasse de café, les produits chimiques naturels, connus comme étant cancérigènes chez les rongeurs, représentent en poids l’équivalent d’un an de consommation des pires pesticides de synthèse connus comme étant cancérigènes, alors que seulement 3 % des produits chimiques naturels contenus dans le café torréfié ont été correctement testés en termes de cancérogénèse.

Ceci ne signifie pas que le café ou les pesticides naturels soient dangereux pour la santé, mais que, simplement, les hypothèses faites sur les fortes doses chez les animaux pour évaluer les risques chez les humains à faibles doses nécessitent d’être reconsidérées. Aucun aliment ne peut être exempt de produits chimiques naturels connus comme cancérigènes chez le rat.

Source : Ames, B. N., & Gold, L. S. (2000). “Paracelsus to parascience : the environmental cancer distraction”. Mutation Research/Fundamental and Molecular Mechanisms of Mutagenesis, 447(1), 3-13 (traduction : AFIS).

Le risque zéro n’existe pas

Parmi les problèmes si sensibles actuellement concernant l’environnement, il y en a, bien sûr, qui méritent toute notre attention, mais il faut distinguer ceux qui sont réels et importants de ceux qui ne sont que secondaires ou même imaginaires, sinon aucun ne sera résolu. Aussi, il faut se garder de toute législation hâtive et restrictive qui ne prenne pas en compte la réelle importance des problèmes. Nos ressources, même si elles sont très grandes, sont néanmoins limitées. La raison et la justice exigent que les vrais problèmes soient abordés et que les ressources ne soient pas gaspillées.

Le risque zéro n’existe pas. Le risque zéro est un monde mort. Vouloir éliminer systématiquement tout risque détruit les chances et peut se révéler dangereux pour la liberté et la démocratie.

Notre devoir est d’optimiser les chances et de réduire les risques au minimum. Il ne faut pas oublier que Pasteur a expérimenté son vaccin contre la rage dans des conditions qui, aujourd’hui, feraient frémir. De la même manière, on commence seulement à comprendre les modes d’action de l’aspirine. L’introduction, au début du siècle, de ce médicament fabuleux n’aurait peut-être pas été possible avec les réglementations actuelles. Comme pour le vaccin de Pasteur, ce fut un coup de poker qui, dans le contexte actuel, apparaîtrait comme très dangereux. Replacés dans leur époque, ces choix étaient sans doute justifiés. On peut s’entourer de toutes les précautions imaginables, toute décision implique forcément une prise de risque.

Nous devons accepter de prendre des risques, quitte à bien les mesurer. L’humanité a toujours pris des risques. C’est seulement comme cela que notre monde a évolué. Alors, agiter à tout bout de champ le principe de précaution comme on a tendance à le faire actuellement, c’est-à-dire comme un refus de toute nouveauté, de tout changement, c’est absurde. Ce n’est plus un principe de précaution : c’est devenu un principe de frousse ! Cela dit, s’il s’agit d’un principe de prudence mesurée, on ne peut évidemment qu’y souscrire. Cependant, il y a des dérives tout à fait inacceptables qui conduisent à un blocage et à un refus de prendre des décisions sur des points sensibles.

Des choix politiques, stratégiques et économiques

La découverte, l’invention, la machine ou l’appareil sont une chose, l’usage que l’on en fait est tout à fait autre chose. Le potentiel technologique d’une découverte est évalué sur la base de critères qui n’ont souvent rien de scientifique. Des choix politiques, stratégiques, économiques sont faits.

Le cas de la santé est particulièrement significatif à cet égard. L’utilisation de résultats de la recherche lors du lancement de nouveaux programmes peut nécessiter des décisions déchirantes à chaque niveau. Les ressources financières étant nécessairement limitées, quelle fraction doit être dévolue aux techniques lourdes, comme la transplantation d’organes qui sont porteuses de grands espoirs mais sont aussi très coûteuses ? Ne devrait-on pas systématiquement favoriser les domaines qui profitent au plus grand nombre ? Une décision prise aujourd’hui peut être remise en question demain au vu de nouvelles données. Ainsi, l’acquisition par les micro-organismes de la résistance aux antibiotiques, qui conduit par exemple à une forte résurgence de la tuberculose, nécessitera de nouveaux investissements dans la recherche sur la mise au point de nouveaux antibiotiques. Quelle fraction des fonds disponibles devrait-on allouer à ceci par rapport aux antiviraux, par exemple ?

Et, dans un autre domaine, qu’en est-il de la mise à disposition d’insecticides plus sûrs mais plus chers pour remplacer le DDT, dont l’interdiction a eu pour conséquence un fort accroissement de la mortalité par malaria ? Une décision, bonne d’un point de vue, conduit ainsi à des effets extrêmement néfastes.

Mais si certains doivent décider, les règles doivent être clairement définies d’entrée de jeu et les responsabilités délimitées au départ. Sinon, viendra le temps où plus personne ne sera prêt à conseiller ou à décider quand il s’agira de sujets sensibles.

La Nature n’est ni bonne ni mauvaise

Les attitudes critiques et soupçonneuses envers la science et ses réalisations technologiques sont souvent issues d’une peur diffuse : peur qu’il y ait des choses auxquelles il ne faut pas toucher, par crainte de déclencher des catastrophes. Le mythe d’une Nature intrinsèquement « pure », dont l’harmonie serait perturbée par l’homme est portée par une quasi-religion.

Mais la nature est totalement indifférente à l’homme : elle n’est ni bonne ni mauvaise, elle est, tout simplement. C’est à l’humanité de façonner l’environnement dans lequel il fait bon vivre, qui peut évidemment varier grandement avec le climat, la culture, les traditions, etc. La nature n’est pas non plus constante, et l’idée de conservation est en elle-même antinaturelle : la biosphère a été et continue d’être modifiée par des causes naturelles, l’environnement change continuellement et l’a toujours fait. La question est : quel changement et à quelle vitesse ? Une réponse est d’appeler à une gestion responsable de la biosphère.

L’humanité arrivera inévitablement à contrôler sa propre évolution

Dans une perspective historique, l’émergence de la science est le résultat de l’évolution, qui a conduit à un être – l’homme – qui est progressivement devenu capable de se prendre en charge lui-même. Et, sauf catastrophe naturelle ou provoquée, l’humanité en arrivera inévitablement à contrôler sa propre évolution. Soyons clairs, si elle acquiert cette capacité, elle en fera usage tôt ou tard, pour le meilleur ou pour le pire, et nous devons dès maintenant prendre en compte cette éventualité. Et après tout, cela ne sera que naturel, car c’est l’évolution naturelle qui a conduit à un être capable de se prendre en charge et de remplacer l’évolution aléatoire par une évolution contrôlée. On peut dire que l’homme modifiant l’homme est contenu dans l’homme.

L’écrivain français Vercors a défini les humains comme « animaux dénaturés ». Des êtres séparés, arrachés de la nature, vivant en elle mais capables de l’observer, de la questionner, de l’étudier à distance, de l’extérieur, conscients de leur propre existence séparée. Une telle distanciation a conduit au développement de ces puissants moyens d’analyse et de découverte, d’invention, de création et d’action que sont la recherche scientifique et les technologies. Elle est à l’origine du dualisme naturel/non-naturel qui caractérise la relation ambivalente de l’homme avec la nature, et qui a suscité en particulier des discours exaltés, des débats enflammés et des attitudes extrêmes qui ont obscurci récemment de nombreuses questions importantes qui auraient besoin d’une approche mesurée et rationnelle.

Le progrès scientifique au service des pays en développement

Une question cruciale est celle des pays dits en développement. Est-ce que la brèche qui les sépare des pays développés va continuer à s’élargir ? Si les relations Est/Ouest ont subi une modification spectaculaire dans le bon sens, l’inacceptable déséquilibre Nord/Sud restera un problème majeur et risque de s’aggraver. C’est aux pays développés qu’il incombe d’offrir des solutions et de tendre à instaurer un « développement soutenable ». Le progrès aurait-il pu être réparti de manière plus équilibré sur la planète ? Il était probablement inévitable que certains pays, certaines régions du monde, se développent plus vite que d’autres et qu’une évolution parallèle ne soit pas réalisable. Mais alors, ceux qui ont eu cette chance se doivent de redistribuer connaissances et richesses. Ceux qui ont joui de ces avantages, scientifiques et citoyens despays développés, ont la responsabilité de faire en sorte que l’augmentation des connaissances serve aussi à faciliter la vie du reste de l’humanité. C’est pour cette raison aussi qu’il serait criminel d’arrêter le cours du progrès scientifique et technique.

Peut-être n’est-il pas totalement utopique d’espérer que les connaissances, les richesses et les technologies avancées et très efficaces résultant de la recherche dans les pays développés, puissent fournir aux pays moins développés les moyens de progresser rapidement, en particulier en leur permettant d’éviter, au moins partiellement, d’avoir à passer par les stades intermédiaires de développement, tels que ceux de l’âge industriel et de l’industrie lourde, et de sauter directement dans l’ère des hautes technologies, qui sont beaucoup plus économiques et beaucoup moins consommatrices en matières premières et en énergie. Le développement réalisé dans certains pays peut alors servir au bien de tous.

Un tel accès direct aux technologies douces, respectueuses de l’homme et de l’environnement, représenterait un raccourci dans le parcours vers le développement, un « shunt développemental ». Par exemple, un pays ayant un système téléphonique inadéquat et insuffisant n’aurait plus à poser des fils mais pourrait directement passer à l’utilisation de téléphones cellulaires sans fils, et serait ainsi, à la limite, même avantagé par rapport aux pays possédant un réseau téléphonique classique. Le transfert de technologie doit donc être effectué à un niveau élevé. Et cela requiert éducation et transfert de savoir.

L’éducation scientifique et l’esprit scientifique

L’éducation scientifique dans nos écoles, nos lycées et nos universités, ainsi que celle du grand public, doit être une priorité majeure afin de former des chercheurs et les découvreurs de demain, de lever les craintes irraisonnées et les réactions de rejet et de développer l’esprit scientifique, l’attitude scientifique pour combattre l’obscur, le fourbe et l’irrationnel.

Par-delà le progrès général des connaissances et le développement technologique, l’impact le plus fort que la science peut et doit avoir sur la société est d’insuffler l’esprit qu’implique l’approche scientifique, rationnelle envers le monde, la vie et la société.

Cette Science pour tous est aussi en grande partie l’affaire des médias. Ils doivent saisir cette occasion d’apporter une contribution majeure à l’interface de la science et de la société.

Éducation, science et technologie peuvent entrer en conflit aigu avec les traditions et heurter les croyances ou les structures sociales. Nous devons y être préparés et surmonter ces difficultés. Ainsi, l’installation dans un village d’un pays en voie de développement d’une pompe à eau électrique, accessible à tous, peut détruire une structure traditionnelle où le pouvoir résidait dans les mains de ceux qui contrôlaient l’alimentation en eau.

Comme autre exemple, on peut citer une étude médicale qui concluait que des relations sexuelles pendant une année ou plus avant une fertilisation diminuaient notablement certains risques de santé, tels qu’éclampsie et hypertension, liés à la grossesse, en rendant la femme immunologiquement préparée à concevoir par contact avec les cellules étrangères que sont les spermatozoïdes. Ainsi, la cohabitation sexuelle hors conception est bénéfique. Ceci heurte de front des convictions et interdits religieux. De même les méthodes de contrôle de la fertilité (tels que le RU 486, dite « pilule du lendemain ») ont vu se lever les oppositions plus ou moins violentes de fondamentalistes de tout bord.

Ainsi, la science offre de nouvelles libertés, mais l’humanité doit apprendre à vivre avec elles.

Le scientifique est avant tout responsable envers la vérité

Sous de multiples aspects, les questions soulevées concernent aussi l’attitude du scientifique vis-à-vis de l’éthique et de la société. Je suis fermement convaincu que l’homme de science est avant tout responsable envers la vérité, et après seulement, envers la société et le monde à un moment particulier de l’histoire. L’éthique est une notion relative et les jugements éthiques se modifient avec le temps, l’endroit et les progrès de la connaissance. La recherche de la connaissance et de la vérité doit prévaloir sur les considérations présentes de ce que la nature, la vie ou le monde sont ou devraient être, car notre vision d’aujourd’hui ne peut qu’être étroite. L’éthique et les lois ont changé et vont continuer à évoluer avec le temps ; elles sont fonction de la connaissance et doivent être adaptées en fonction des nouvelles données.

La société réagira aux changements introduits par la science et la technologie comme un grand organisme : elle évoluera et s’adaptera sous la pression des nouvelles voies et des nouveaux moyens en une sorte de darwinisme sociétal. Certains pensent que c’est être arrogant que de vouloir modifier la nature. L’arrogance est de prétendre que nous sommes parfaits tels que nous sommes ! Avec toute la prudence requise et malgré les risques qui seront encourus, pesant soigneusement chaque pas, l’humanité doit et va continuer le long de sa voie, car nous n’avons pas le droit d’éteindre la lumière du futur.

Ne pas éteindre la lumière du futur

Ces perspectives pour le futur de la science, pour notre futur, ont déjà été exprimées de manière particulièrement clairvoyante et profonde par cette quintessence de l’artiste-savant Léonard de Vinci quand il a écrit : « Là où la nature cesse de produire ses propres espèces, l’homme, en se servant des choses naturelles, en accord avec cette nature, commence à créer une infinité d’espèces ».

Prométhée a conquis le feu et nous ne pouvons pas le rendre. Il s’agit non de chercher à l’éteindre, mais de le maîtriser et de nourrir la flamme. Notre chemin nous mène de l’Arbre de la Connaissance au Contrôle de notre Destinée.


Thème : Rationalisme

Mots-clés : Science

Publié dans le n° 304 de la revue


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L' auteur

Jean-Marie Lehn

Jean-Marie Lehn est professeur au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences et prix Nobel de chimie.

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