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Omnivore, végétarien, végétalien ?

Publié en ligne le 12 décembre 2008 - Alimentation -

Aucun aliment n’est indispensable, seuls les nutriments le sont. La satisfaction des besoins nutritionnels est assurée par l’équilibre alimentaire, d’autant plus facile à atteindre que le régime est diversifié et que le choix des aliments est très ouvert. L’homme, par essence omnivore, qui ne refuse aucune catégorie d’aliments, y parvient en général sans trop de difficultés. Le problème est plus compliqué mais pas insoluble pour le végétarien qui renonce à la viande et au poisson mais accepte le lait et les œufs. En revanche, la situation est très problématique pour les végétaliens stricts qui ne consomment que des aliments d’origine végétale, excluant tout produit animal dont le lait et les œufs.

Pourquoi renoncer aux aliments d’origine animale ?

Les raisons invoquées sont nombreuses. Il y a d’abord les interdits religieux (surtout pour le porc) qui ne se prêtent à aucune discussion, de même que les considérations éthiques (respect et droit de l’animal) ou philosophiques qui ne reposent pas sur des bases rationnelles mais qu’il est vain de contester. Tel était déjà le cas des pythagoriciens de la Grèce antique qui excluaient toute viande de leur alimentation. Le renoncement aux produits animaux, en général plus coûteux, est aussi souvent simplement dicté par des limites budgétaires. En dehors des raisons nutritionnelles et sanitaires qui sont le principal objet de cette note, d’autres préoccupations, d’ordre économique ou écologique, s’appuient sur des bases scientifiques (ou parfois pseudo-scientifiques) et prêtent au débat.

Il est vrai que la production des aliments d’origine animale, rapportée au poids ou aux calories, est beaucoup plus consommatrice d’énergie et d’eau (de 5 à 7 fois) que la production végétale. Il est ainsi facile d’arguer que les céréales utilisées pour la production porcine et avicole permettraient au moins d’éviter la faim dans le monde (à défaut de bien le nourrir). Ce fait est incontestable, mais comment (et pourquoi) interdire la consommation de viande, notamment dans les pays émergents où la demande augmente avec le pouvoir d’achat ?

Dans le cas des herbivores le problème se pose autrement. En effet, si l’on accepte l’intérêt de la production laitière, on peut considérer que la viande rouge (des vaches et des veaux mâles inévitables qu’il est logique d’engraisser) est un « produit fatal » qu’il serait illogique de ne pas consommer. De plus, les herbivores ruminants, du moins en élevage extensif ou semi-intensif, ne consomment que des fourrages riches en cellulose qu’ils sont les seuls à pouvoir valoriser. Ils ne font donc pas concurrence à l’homme. Il est vrai que cette réflexion ne concerne pas les élevages laitiers très intensifs qui recourent à des aliments complémentaires concentrés à base de céréales et de protéagineux (notamment le soja) ou à de l’ensilage de maïs très exigeant en eau.

Du point de vue écologique, les ruminants sont accusés, à juste titre, de produire, principalement par éructation de gaz provenant des fermentations microbiennes du rumen, des quantités considérables de méthane, gaz à très fort pouvoir d’effet de serre. Cependant, ils jouent aussi un rôle irremplaçable dans l’entretien du paysage et il est certainement préférable de faire brouter ou de couper l’herbe que de la détruire par des herbicides ou de laisser des friches souvent difficiles à exploiter pour un autre usage. Il ne faut cependant pas occulter l’influence néfaste du surpâturage sur la conservation des sols dans les zones semi-arides et de la déforestation parfois abusivement pratiquée pour nourrir les animaux.

Quoi qu’il en soit, la consommation de produits animaux augmentera partout dans le monde, notamment dans les pays émergents les plus peuplés, et cette croissance est inéluctable. Il faudra donc trouver les moyens d’y faire face !

Peut-on préserver sa santé en renonçant aux produits animaux ?

Les tenants de ces pratiques alimentaires en sont convaincus et tel est leur principal objectif. Cette question a fait l’objet de plusieurs revues de synthèse 1. Il faut d’abord considérer plusieurs degrés dans le végétarisme, dans un ordre croissant de risque de carence ou de déficience : le semi-végétarisme qui n’exclut que la viande de mammifère mais accepte le poisson et parfois la volaille (donc sans aucun problème nutritionnel), le lacto-ovovégétarisme qui interdit toute viande et poisson mais pas le lait et l’œuf, le végétalisme qui n’admet que les aliments d’origine végétale, et enfin certaines formes encore plus restrictives de végétalisme dit macrobiotique ou à base de fruits. Il est bien connu que ces derniers régimes, souvent à connotation sectaire, font courir des risques importants, notamment aux enfants et aux femmes enceintes ou allaitant. Ainsi, de nombreux cas d’anémie mégaloblastique sévère, par carence en vitamine B12, et de retards de croissance ont été rapportés chez des nourrissons ne recevant que le lait de leurs mères consommant de tels régimes 2. L’éviction des produits laitiers, des œufs et des poissons provoque aussi une déficience en iode chez les très jeunes enfants (goitre), ainsi qu’en dérivés essentiels des acides gras oméga-3.

Peut-on se passer de viande ? L’éviction de la viande seule ne pose pas de problème nutritionnel majeur si les protéines sont apportées par les produits laitiers et les œufs, voire les poissons (semi-végétariens). Le principal intérêt de la viande est de fournir la vitamine B12 absente dans les végétaux (et donc de prévenir des troubles allant de l’anémie aux dommages neurologiques graves), du fer de nature héminique 3 de très bonne biodisponiblité, contrairement au fer des végétaux présent sous forme de phytates ou oxalates insolubles, du zinc plus disponible que celui des végétaux, notamment des graines. Une étude allemande récente 4 a montré que 60 % des végétariens avaient une carence de stade 3 en vitamine B12. De même, la carence en fer provoquant l’anémie ferriprive est très fréquente chez les femmes végétariennes. Si le régime végétarien exclut le poisson et fait la part belle aux noix, graines et huiles, le risque de déséquilibre entre acides gras insaturés oméga-6 et oméga-3, par excès du premier et insuffisance du second, est très accru. Quoi qu’il en soit, des sources végétales bien choisies d’acides gras oméga-3 (huile et graine de lin, micro-algues marines…) et d’éventuels compléments de fer et de vitamine B12, suffisent à exclure tout risque de déficience. L’exclusion de la viande est même de plus en plus souvent considérée comme étant bénéfique pour la santé, même si les études épidémiologiques fiables font cruellement défaut : cholestérolémie, tension artérielle et indice de masse corporelle plus faibles, risque diminué de troubles cardiaques, de diabète de type 2, de cancer colorectal (risque accru par excès de viande rouge).

Et le lait et les fromages ?

Le renoncement au lait et aux produits laitiers est beaucoup plus problématique. Malgré les campagnes anti-lait qui sévissent en France et qui ont fait l’objet de mises au point critiques, notamment sur la question du calcium et de l’ostéoporose 5, il est évident qu’il est très difficile de couvrir les besoins en calcium en écartant tout produit laitier. Un régime de base sans produit laitier ne peut pas fournir régulièrement, sauf choix systématique des quelques rares aliments ou eaux minérales riches en calcium, plus de 500 mg de calcium par jour, alors qu’il en faudrait au moins 800 mg, voire plus de 1000 mg chez les adolescents, les femmes ménopausées et les personnes âgées. L’argument selon lequel le calcium du lait augmenterait la perte urinaire de calcium et serait donc inefficace pour l’os est grossièrement faux.

Le régime végétalien strict permet donc difficilement de couvrir les besoins calciques, d’autant que le calcium des végétaux est, contrairement à ce que d’aucuns proclament, plus mal absorbé par l’intestin que le calcium du lait. La fréquente intolérance au lactose du lait en l’état peut être un frein à sa consommation mais n’est pas une contre-indication pour des produits laitiers comme le yaourt et le fromage, et même pour un verre de lait.

Un changement de paradigme

On assiste depuis quelques années à un changement de paradigme à propos des régimes végétariens 6. Au lieu de considérer d’abord leurs défauts (absence de certaines vitamines, de calcium, de fer..), il est de plus en plus courant de mettre l’accent sur leurs aspects bénéfiques liés à la présence de fibres alimentaires (légumes, céréales, fruits…) et de micro-constituants à pouvoir antioxydant. La promotion des fruits et légumes va dans ce sens, leurs effets favorables dans la prévention de diverses maladies faisant l’objet d’un consensus (malgré la présence, dans la quasi totalité, de résidus de pesticides par ailleurs tant décriés !). Ces aspects bénéfiques sont donc opposés aux effets délétères avérés des excès de lipides saturés et souvent de sel fournis par les produits animaux, voire des excès d’énergie et de sucre des régimes occidentaux traditionnels.

Il est vrai que les études épidémiologiques d’observation n’ont pas permis de mettre en cause le végétarisme, ni même parfois le végétalisme, dans l’augmentation du risque de morbidité. Cependant, la plupart des maladies étant multifactorielles, les conclusions de ces études sont biaisées par les différences de comportement et d’hygiène de vie. Les végétariens, et encore plus les végétaliens, sont plus attentifs à leur santé et adoptent un mode de vie plus hygiénique que les omnivores : pas de tabac ni d’excès d’alcool, exercice physique, éviction d’aliments bruts ou préparés nocifs, rassasiement plus rapide par des aliments plus fibreux et moins énergétiques, donc moins d’excès alimentaires et moindre risque d’obésité et d’hypertension, prise plus fréquente de compléments alimentaires. Les résultats favorables observés ne sont donc pas tous directement imputables aux aliments consommés. Un régime omnivore raisonnable et équilibré, associé aux mêmes règles d’hygiène de vie, conduirait aux mêmes résultats.

Ne pas confondre végétalisme imposé et végétalisme choisi

Il est évident que le végétalisme auquel sont contraints les deux tiers de l’humanité conduit à des carences nutritionnelles graves résultant du manque de diversité des aliments disponibles. En revanche, sauf exceptions à caractère sectaire prononcé, le végétalisme en vigueur dans les pays développés est choisi et peut s’accommoder d’une grande diversité de produits, ce qui limite le risque de carence. De plus, le végétalien « aisé » est en général très soucieux de la qualité de son régime et est souvent adepte de compléments alimentaires spécifiques.

En conclusion, le régime végétarien qui n’exclut pas les produits laitiers et les œufs, et encore mieux le régime semi-végétarien qui accepte le poisson et parfois la viande de volaille, sont parfaitement compatibles avec un bon équilibre nutritionnel et sont même parfois bénéfiques pour la santé par rapport à certains régimes omnivores mal contrôlés et non restreints. Cependant, une certaine vigilance s’impose pour le fer et la vitamine B12 dont la carence est la cause de divers types très graves d’anémie. En revanche, le régime végétalien sans lait ou produits laitiers ne peut pas assurer un apport suffisant de calcium par les aliments de base courants. La constitution d’un menu équilibré n’est alors possible que par l’accès à un vaste choix d’aliments et de compléments spécifiques, ce qui est exclu quand ce type de régime est imposé pour des raisons économiques ou idéologiques.

Manger de la viande serait « contre nature »

Les motivations pour un régime végétarien sont très variées : interdits religieux, choix éthiques, allégations santé, etc. Mais pour certains, le végétarisme s’impose car l’homme n’aurait pas été conçu pour manger de la viande. Ce serait « contre-nature ». A l’appui de ces propos, on trouve un cocktail d’arguments à l’apparence scientifique. Exemple tiré d’un des nombreux sites Internet développant cette thèse :

« Les carnivores sont pourvus de longues dents acérées et pointues, de grandes canines, et de griffes pour leur permettre de déchiqueter la chair de leurs proies. Chez l’humain, les incisives sont remarquablement développées, les canines réduites et les molaires ont une large surface plate pour mastiquer les aliments. La mâchoire d’un carnivore se déplace uniquement de bas en haut, afin de déchiqueter et de mordre la viande. La mâchoire de l’humain se déplace latéralement pour broyer. La salive des carnivores est acide et prévue pour la digestion des protéines animales ; elle ne contient pas de ptyaline, une enzyme qui assure la digestion des amidons. La salive des humains, au contraire, est alcaline et contient de la ptyaline pour digérer les amidons. Contrairement aux carnivores, l’humain ne dispose pas de l’urase, une enzyme permettant de décomposer l’acide urique. L’urine des carnivores est acide, celle de l’humain est alcaline. La langue des carnivores est rugueuse, celle des humains lisse. La main de l’humain est conçue pour cueillir des fruits et des légumes et non pour arracher les entrailles de la carcasse d’un cadavre animal. »

http://grandesmala.spaces.live.com/blog/cns !B4338A7C932E 19BD! 1279.entry (indisponible—15 Oct. 2019)


1 Voir notamment celle de J.T. Dwyer. (1988) “Health aspects of vegetarian diets”. Am J Clin Nut, 48 : 712-738.

2 « Apports nutritionnels conseillés pour la population française », rapport de l’Afssa 2001, p. 465. Tec & Doc, Lavoisier.

3 Constituant de l’hémoglobine.

4 Herrmann W., Geisel J. (2002) “Vegetarian lifestyle and monitoring of vitamin B-12 status”. Clin Chem Acta, 326 : 47-59.

5 Voir l’article sur le calcium du lait dans ce dossier.

6 Comme l’a bien analysé Joan Sabaté (2003) dans “The contribution of vegetarian diets to health and desease : a paradigm shift ?” in Am J Clin Nutr, 78 : 502S-507S.