Accueil / Notes de lecture / Passion de la France

Passion de la France

Publié en ligne le 9 novembre 2019
Passion de la France
Jean-Pierre Chevènement
Éditions Robert Laffont, Coll. Bouquins, 2019, 1568 pages, 34 €

Jean-Pierre Chevènement vient de publier un recueil de textes et discours couvrant cinquante ans de vie politique qui l’ont conduit à être cinq fois ministre de 1981 à 2000 (de la Recherche et de la Technologie, de la Recherche et de l’Industrie, de l’Éducation nationale, de la Défense et enfin de l’Intérieur). Le livre couvre des questions très diverses, allant de la défense à la géopolitique, de la recherche à l’enseignement, de l’histoire à la politique d’intégration. Il fait la part belle aux convictions républicaines de son auteur et à son attachement profond à la souveraineté nationale. Mais, ce qui est particulièrement attrayant dans cet ouvrage, c’est qu’il aide à penser sans qu’il soit nécessaire de partager toutes les convictions de l’auteur pour en tirer profit. Je me concentrerai ici sur les textes qui touchent à la recherche, à l’industrie, à l’enseignement.

J.-P. Chevènement est né de parents instituteurs et est viscéralement attaché à la république et à l’héritage des Lumières. Ses figures tutélaires sont Clemenceau, De Gaulle et Mendès-France, et le livre est tout entier fait de conviction et de pragmatisme. En citant la réponse de Clemenceau à Jaurès, il définit ce qui distingue l’homme de rêve de l’homme d’action : « Vous avez le pouvoir magique d’évoquer de votre baguette des palais de féerie, je suis l’artisan modeste des cathédrales qui apporte une pierre, obscurément… Vous prétendez fabriquer directement l’avenir, nous fabriquons l’homme qui fabriquera l’avenir ». Chevènement est résolument du côté des hommes d’action et a une lucidité féroce sur la dérive de la vie politique : « Le discrédit du politique a une cause essentielle : c’est l’écart entre les paroles et les actes de ceux qui nous dirigent à la petite semaine, sans conviction véritable, au gré des sondages, à coup d’effet d’annonce et de trompe-l’œil ». Analyser rigoureusement l’état des lieux, définir une stratégie d’action et dire les choses clairement sont la marque de fabrique de son action dans tous les ministères.

Son passage de 1981 à 1983 au ministère de la Recherche et de la Technologie commence par un constat : « Le ministère de la Recherche et de la Technologie brillait à l’extérieur de mille feux mais la coquille en fait était vide ». Il se continue par la définition de trois objectifs : « faire de la recherche le cœur d’une stratégie de développement scientifique, technologique et industriel », « modifier en profondeur les attitudes à l’égard de la connaissance scientifique et du développement technologique […] dans un pays tenté par le développement des idéologies anti science », « obtenir un accroissement très substantiel de l’effort de recherche à 2,5 % du PIB ». Le Colloque de la recherche (1982) reste pour les plus anciens d’entre nous un moment de véritable dialogue entre la communauté scientifique et l’État qui apparaîtra comme un moment historique privilégié entre la torpeur qui l’a précédé et l’insupportable « bavardocratie » dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Sa vision gaullienne de mettre en place une vraie politique industrielle pour la France, où le secteur public devait être le fer de lance de la mutation technologique, se heurte au tournant de la rigueur et il démissionne en 1983.

Il revient au gouvernement en 1984 comme ministre de l’Éducation nationale. Là encore les messages sont forts : « L’école de la République, c’est l’école des Lumières […] Réhabiliter la connaissance, mettre l’accent sur l’acquisition des connaissances à l’école ». « L’hypocrisie se réfugie derrière les plus retardés pour en rabattre sur le niveau général d’exigence au nom d’un égalitarisme de pacotille ». Ces priorités restent encore aujourd’hui largement pertinentes : la formation des maîtres, l’école élémentaire et l’ouverture vers l’économie.

Dans ce livre, les textes portant sur les missions de ces deux ministères sont particulièrement éclairants et entrent en résonance avec un certain nombre de convictions défendues par l’Afis. Et la pugnacité de l’auteur s’incarne dans quelques formules chocs : « Nous vivons une crise qui n’est pas seulement économique, mais aussi culturelle et morale. L’exigence à l’égard de la vérité dans trop de milieux, a tendance à se relâcher » ; et cette injonction : « La République ne doit pas laisser se rompre le cordon ombilical qui la relie à l’héritage des Lumières ».
On sort de ce livre avec l’enthousiasme de trouver dans ces pages un encouragement à poursuivre le combat pour la science, la recherche et l’enseignement comme passages obligés pour le développement industriel, économique et social de la « Res-publica ».