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Pesticides et santé des agriculteurs : les angles morts des expertises sanitaires

Publié en ligne le 18 avril 2016 - Pesticides -

Les agriculteurs constituent la couche de la population la plus exposée aux dangers des pesticides et l’expertise sanitaire a mis en avant certains risques en termes de cancers et de maladies neurodégénératives (voir l’article « Pesticides et santé des agriculteurs »).

Mais le dossier scientifique est-il indiscutable ? Examinons quelques biais possibles. Rappelons la très grande difficulté à démontrer des liens de causalité entre une pathologie et une exposition quand les nombres de cas sont faibles, ainsi que la nécessité d’écarter certains facteurs de confusion possibles, c’est-à-dire s’assurer que l’effet que l’on attribue au facteur étudié (ici, l’exposition aux pesticides) ne pourrait pas être dû en fait à un autre facteur environnemental.

L’importance du choix des groupes témoins

Étudier l’effet des pesticides sur les agriculteurs implique une comparaison avec d’autres populations a priori moins exposées ou exposées différemment. La population générale est le premier groupe témoin considéré, le plus facile à rapprocher. C’est ce qu’ont fait les premières études sur la santé des agriculteurs, dès les années 90. Mais il ne faudrait pas en rester à cette seule comparaison. Supposons en effet que la maladie étudiée soit due à un facteur environnemental propre à l’agriculture, mais différent des pesticides : parce que les utilisateurs de pesticides sont très majoritairement les agriculteurs, on risquerait d’incriminer, de façon erronée, les pesticides. Pour éliminer ce risque de confusion, à partir du moment où une maladie a été identifiée comme plus fréquente chez les agriculteurs, il faut comparer sa fréquence chez les agriculteurs utilisateurs de pesticides avec celle chez ceux qui n’en utilisent pas.

Ce risque de confusion n’a rien de théorique. Une étude mettant en avant la responsabilité des pesticides dans la maladie de Parkinson, et reprise sans analyse critique dans l’expertise de l’INSERM [4], l’illustre. Il est très probable que les auteurs, qui affirment l’impact des pesticides pour cette maladie ont en réalité trouvé… que le risque était le même chez tous les agriculteurs, qu’ils soient ou non utilisateurs de pesticides (voir encadré).

Exemple de biais de confusion

La maladie de Parkinson est une de celles dont la surreprésentation chez les agriculteurs est la mieux établie, au point que depuis peu elle est reconnue en France comme maladie professionnelle. Une publication1 qui a sans doute beaucoup contribué à ce classement serait-elle victime d’un biais de confusion ? Les auteurs2 affirment mettre en évidence une liaison très forte entre maladie de Parkinson et exposition aux insecticides. Mais cette situation est-elle bien due aux pesticides ? Aux seuls pesticides ? Une autre cause liée au métier d’agriculteur peut-elle intervenir ? Si l’excès de maladies de Parkinson est bien dû aux pesticides, on doit s’attendre à trouver un risque plus ou moins normal chez les agriculteurs non utilisateurs de pesticides. Par contre, s’il est dû à une cause environnementale liée à la profession d’agriculteur, mais autre que les pesticides, on doit s’attendre à trouver un niveau de risque identique chez les agriculteurs utilisateurs et non utilisateurs de pesticides.

Cette étude disposait de toutes les données pour répondre à ces interrogations. D’une part, l’exposition aux pesticides, souvent estimée par des méthodes indirectes et discutables est ici calculée de façon rigoureuse, au moyen d’un questionnaire très détaillé. D’autre part, l’enquête a bien constitué différents groupes témoins permettant de dissocier l’effet « agriculteur » de l’effet « pesticides » : des agriculteurs et des non-agriculteurs, avec des utilisateurs et des non-utilisateurs de pesticides dans les deux cas.

Les auteurs concluent que la maladie de Parkinson est en gros 1,8 fois plus fréquente chez les utilisateurs de pesticides que dans la population générale (en terme technique, un odds ratio3 – OR –statistiquement significatif de 1,8). Et elle est d’autant plus fréquente que l’exposition aux pesticides a été longue, ce que les auteurs interprètent comme un effet dose (en termes techniques, les auteurs rapportent un odds ratio de 2,1 pour les individus ayant une exposition aux pesticides supérieure à la médiane, c’est-à-dire pour les 50 % les plus exposés).

Très curieusement, ni la comparaison avec les agriculteurs non-utilisateurs de pesticides, ni celle avec les non-agriculteurs utilisateurs de pesticides ne sont discutées, alors que toutes les données sont disponibles. En fait, l’examen du tableau n°1 de l’article fournit des résultats surprenants, non relevés par les auteurs : l’excès de Parkinson touche aussi les agriculteurs non utilisateurs de pesticides (odds ratio de 1,9 en moyenne, et 2,7 pour ceux dont la durée de travail est supérieure à la médiane).

On remarque même que l’effet-dose est plus marqué pour la durée de travail sur une exploitation, que pour l’exposition aux pesticides. Certes, on peut imaginer que l’excès de Parkinson chez les travailleurs agricoles non utilisateurs de pesticides pourrait s’expliquer par une contamination « passive », due à la manipulation des cultures traitées. Cette exposition indirecte a effectivement été observée dans les productions fruitières et légumières ou en viticulture. Mais elle est peu plausible dans les exploitations de grandes cultures, beaucoup plus nombreuses. De plus, elle est difficilement compatible avec l’effet dose annoncé par les auteurs. Dès lors, l’étude se devait de considérer un facteur environnemental lié à la profession, mais autre que les pesticides, à l’excès de Parkinson. Ce qui n’a pas été fait.

 Pour une analyse plus détaillée


1- L’étude a porté sur une population de 781 personnes dont 224 atteintes de maladie de Parkinson.
2- Elbaz A, Clavel J, Rathouz P.J., Moisan F, Galanaud J.P., Delemotte B, Alpérovitch A, Tzourio C., 2009 : Professional exposure to pesticides and Parkinson disease. Ann Neurol 66(4) : 494-504.
3- Mesure statistique utilisée en épidémiologie exprimant la dépendance entre deux variables.

Pourtant, bien qu’indispensable, l’insertion d’agriculteurs non utilisateurs de pesticides dans les études épidémiologiques soulève parfois des réactions hostiles. Ainsi, l’association Générations Futures « s’interroge sur la représentativité de la cohorte étudiée par Agrican » par rapport à la réalité agricole, précisant que « d’après les éléments diffusés à la presse, seulement 48 % de la cohorte masculine étudiée manipulerait des pesticides !? » [1]. Or, justement, l’étude ne pourra livrer des résultats indiscutables que si l’on compare à une population d’agriculteurs qui ne manipulent pas de pesticides.

Lors des auditions parlementaires préalables à la loi du 6 février 2014, la sénatrice Nicole Bonnefoy, rapporteuse du groupe de travail, mettait en doute la fiabilité de la même enquête Agrican avec le même argument : « seuls 52 % des agriculteurs de la cohorte ont été en contact avec des produits phytosanitaires, un choix qui pose question… » [2]. Dans une autre audition, le 22 mars 2012 [3], elle revient sur cette question en interrogeant de façon répétée le Dr Lebailly, responsable de l’étude, sur les raisons qui l’ont poussé à inclure dans cette étude environ 50 % d’agriculteurs non utilisateurs de pesticides. Il y a donc à l’évidence un travail pédagogique à faire auprès des politiques pour les sensibiliser à l’importance des groupes témoins dans les études épidémiologiques. Dans ce contexte, il est très regrettable que l’expertise collective INSERM de 2013 n’ait formulé aucune recommandation dans ce sens pour les études futures.

Aller plus loin dans la bonne direction

Les maladies surreprésentées chez les agriculteurs sont identifiées depuis une dizaine d’années (cf. [5] qui énumérait déjà en 2005 la plupart des pathologies retenues dans l’expertise collective de 2013). Depuis, la masse des travaux réalisés a permis de confirmer et préciser ces observations initiales. Mais les recommandations formulées par l’INSERM portent toutes sur un même thème : l’amélioration de la quantification de l’exposition aux pesticides. Cette insistance repose sur une hypothèse implicite : si l’on n’a pas obtenu de résultats vraiment indiscutables, c’est parce que l’exposition aux pesticides n’a pas été assez bien mesurée jusqu’à présent. Quantifier correctement l’exposition est bien sûr nécessaire, mais cela ne suffit pas à se garantir d’interprétations erronées, comme le montre involontairement l’étude évoquée en encadré, où la mesure de l’exposition était excellente.

L’air du temps incite les politiques à instruire les études sur les pesticides à charge uniquement. Dans ce contexte, les expertises scientifiques ne devraient pas seulement faire la synthèse des connaissances existantes, ce que le rapport INSERM a très bien fait. Elles devraient aussi rappeler les nécessités basiques d’un travail scientifique objectif, à savoir l’élimination de tous les facteurs de confusion potentiels (contacts avec les animaux, exposition à d’autres agents chimiques, comme les particules diesel émises par les tracteurs) avec les suspects privilégiés (ici les pesticides).

Note de la rédaction : Philippe Stoop s’est adressé à l’INSERM et à l’éditeur de la revue pour demander des éclaircissements sur cette question, ainsi que sur d’autres biais possibles. Les lecteurs de SPS seront informés des éventuelles réponses.

Références

1 | Communiqué de l’association, 12 septembre 2011 : https://www.generations-futures.fr/...
2 | Audition du 6 mars 2012 : http://www.senat.fr/compte-rendu-co...
3 | Audition du 22 mars 2012 : https://www.nossenateurs.fr/seance/...
4 | « Pesticides et effets sur la santé », expertise collective de l’INSERM, 2013.
5 | Multigner L., 2005, « Effets retardés des pesticides sur la santé humaine ». Environnement, Risques & Santé. 4(3):187-94.


Thème : Pesticides

Mots-clés : Agriculture