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Plantes transgéniques : quelle évaluation éthique ?

Publié en ligne le 18 décembre 2014
Plantes transgéniques : quelle évaluation éthique ?
Catherine Baudoin

Hermann Éditions, Collection bioéthique critique, 2014, 200 pages, 18 €

L’ouvrage est constitué de copiés-collés de larges parties d’une thèse soutenue par Catherine Baudoin en juin 2009 à l’Université Paris 1 Panthéon–Sorbonne. Il s’agissait d’examiner, sujet intéressant, la « Pratique de l’éthique appliquée dans les comités d’éthique en Europe et au Canada [dans] le cas des plantes transgéniques ». L’auteure distingue deux catégories de tels comités, ceux « ouvertement favorables aux OGM » et « ceux qui ne s’inscrivent pas dans une logique pour ou contre les OGM ». Étonnamment, sont rangés dans la seconde catégorie un comité officiel suisse et une association britannique, que Catherine Baudoin décrit pourtant dans la première partie de l’ouvrage comme « composés presque exclusivement de personnes opposées aux OGM » ! La première catégorie a le tort, selon elle, de ne se préoccuper « que des risques éventuels et de l’acceptabilité sociale des OGM », la seconde examinant les « autres dimensions ». Cette distinction manichéenne, fil conducteur de cette thèse, est imprégnée d’une pensée postmodernisante. Ce qui fournit l’occasion de recenser ici ses composantes idéologiques et la manière dont ces composantes permettent une telle description dichotomique.

L’écologisme tout d’abord, dont certains arguments sont repris, y compris sa vision du monde anti-entreprise. Défilent ainsi, sous couvert de débat éthique, les habituelles affirmations selon lesquelles les OGM ne profiteraient qu’aux entreprises de biotechnologie et des amalgames sur les brevets – le contexte spécifique à l’Amérique du Nord est assimilé à une situation qui prévaudrait dans l’ensemble du monde (l’auteure semble ignorer que les entreprises de biotechnologies végétales ne prennent pas la peine d’étendre leurs brevets aux pays pauvres). Catherine Baudoin disserte en une vingtaine de pages sur les brevets, en omettant de mentionner qu’hormis en Amérique du Nord, la réglementation du certificat d’obtention végétale (COV) est dominante pour la protection des variétés de plantes 1 : les brevets n’empêchent pas de ressemer les semences produites sur la ferme, conformément à la réglementation du COV. L’auteure ne semble pourtant pas ignorer cette réglementation, qui prévaut en Europe, car elle mentionne dans une phrase le « privilège de l’agriculteur », sans autre précision qui permettrait de comprendre la réalité.

C. Baudoin semble peu familiarisée avec la démarche d’évaluation des risques – qu’elle considère comme basée sur le « tout-génétique », alors que ces évaluations convoquent des disciplines comme la toxicologie, l’entomologie, etc. Au sujet de la sélection variétale, sont étalées des approximations sur ce qui relèverait de « modifications génétiques » et les pratiques qui n’en seraient pas. L’auteure se lance ainsi dans des réfutations « scientifiques » hasardeuses des avis des comités d’éthique « pro-OGM », explicitement soupçonnées d’être liés aux industriels. Reprenant une autre vision propagée par l’écologie politique, cet ouvrage s’appuie sur l’assimilation erronée des OGM à un mode de production agricole – alors qu’ils sont utilisés par de grandes exploitations américaines et aussi par des paysans en Inde ne disposant que d’un hectare !

La théorie des paradigmes de Thomas Kuhn 2 est utilisée implicitement, à plusieurs reprises, pour disqualifier l’évaluation scientifique des risques – un classique de la rhétorique écologiste. La science changeant souvent de paradigme, on ne devrait pas faire confiance au « paradigme » actuel de l’évaluation des risques. Prenant prétexte que la compréhension de l’expression des gènes a progressé – elle est évidemment plus complexe que ce que l’on savait aux origines de la biologie moléculaire, mais le code génétique ne s’est pas modifié depuis son élucidation en 1962 ! –, il est insinué qu’un gène a une structure totalement différente de ce que l’on croyait, et donc que le paradigme qui a conduit aux biotechnologies est obsolète. Ce genre d’argument est fréquemment utilisé pour laisser entendre que les faits scientifiques sont interprétables selon la volonté (et les intérêts) des chercheurs.

Le constructivisme social 3 est appliqué à l’expert qui baignerait dans la subjectivité en fonction de « ses croyances, ses convictions globales, son idéologie, ses solidarités, ses préjugés, sa classe sociale… ». Ce qui nécessiterait de « restituer à la société les expertises dans leur pluralité » (comprendre : les « controverses » dues à cette subjectivité), ce qui permettrait « au citoyen d’élaborer sa propre synthèse en confrontant sa vision avec l’ensemble des informations fournies par les experts ».

Le relativisme 4 est aussi prégnant : à aucun moment l’auteur ne pose la question du vrai ou du faux dans les arguments qui président aux réflexions éthiques des comités – sauf bien sûr ceux des « pro-OGM ». Les arguments que C. Baudoin prend à son compte sont pourtant souvent grossièrement erronés.

La vision de la chapelle de la sociologie dite des « sciences studies », mettre la science en débats relativistes et en controverses permanentes 5, revient de manière récurrente : les scientifiques des sciences dures voudraient « monopoliser le débat, pour le clore ». Il s’agit de dénier le droit aux sciences dures d’évaluer les OGM (car ces scientifiques ont des présupposés), tout en préconisant de s’embarquer dans une « évaluation globale » – au-delà de l’évaluation scientifique des risques, il conviendrait d’examiner les « transformations du monde » qu’induiraient les OGM – sous la houlette de certaines sciences humaines et sociales pourtant fortement imprégnées d’idéologie ! Ce qui, bien sûr, ne permettra jamais de clore le « débat », à la satisfaction des « sciences » humaines qui se nourrissent de ces « controverses ».

Il serait injuste de reprocher à un étudiant le cadrage idéologique de son encadrement de thèse, auquel il ne peut se soustraire dans certains cercles, mais on peut regretter que les cinq ans écoulés depuis la soutenance n’aient pas été mis à profit pour développer une pensée moins confinée.