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Pourquoi j’ai participé au « Livre noir de la psychanalyse »

Publié en ligne le 15 janvier 2006 - Psychanalyse -

En 1975, j’ai publié chez Charles Dessart une version simplifiée de ma thèse de doctorat en psychologie : L’ Agressivité humaine. Approche analytique. À l’époque, on publiait beaucoup moins de livres et il y avait très peu d’ouvrages en français sur le thème de l’agressivité en psychanalyse. Le livre se vendit bien et l’éditeur me proposa d’en écrire un autre. Commençant à comprendre toute l’importance de la vérification scientifique en psychologie, je lui proposai : Science et illusion en psychanalyse. C’était l’occasion de faire un bilan de la psychanalyse, de distinguer ce qui était bien vérifié de ce qui ne l’était pas. C’est alors que je découvris le magistral ouvrage d’Henri Ellenberger, À la découverte de l’inconscient. Histoire de la psychiatrie dynamique 1. Je constatai que la majorité des énoncés
freudiens les plus intéressants (du genre « les enfants ont déjà très tôt des activités sexuelles », « des lapsus traduisent une pensée réprimée » etc.) étaient repris à des prédécesseurs ou à des contemporains, tandis que quasiment toutes les propositions spécifiquement freudiennes (par exemple, que tous les rêves sans exception traduisent un désir) n’avaient pas été vérifiées ou étaient réfutées. Cette thèse, qui est celle d’Eysenck et Wilson 2 par exemple, m’avait d’abord choqué, mais j’arrivais progressivement à y adhérer. Par ailleurs, j’apprenais par Ellenberger que le cas princeps de la psychanalyse, Anna O., soi-disant « guérie de tous ses symptômes », avait été en réalité un lamentable échec, maquillé en extraordinaire succès. Enfin, des recherches anglo-saxonnes 3 et hollandaises sur les effets des psychothérapies montraient que la psychanalyse ne faisait pas mieux que d’autres psychothérapies et que, compte tenu des coûts en temps et en argent, ses résultats pouvaient même être qualifiés de moins bons.

Au fur et à mesure que j’écrivais Science et illusion en psychanalyse, il me semblait que je trouvais de moins en moins de science et de plus en plus d’illusions. En 1979, je ne me considérai plus comme analyste et je donnai ma démission à l’École belge de psychanalyse. Je modifiai le titre de mon livre, qui devint Les illusions de la psychanalyse. Il sortit en 81 chez Pierre Mardaga, le successeur de Dessart. Il s’en suivit des débats passionnés, des inimitiés durables et de nouvelles amitiés. Je fis beaucoup de conférences, écrivis des articles, puis j’eus un sentiment de saturation. Dès le début des années 80, j’avais suivi une formation en thérapie comportementale, je commençai à préférer faire des choses « positives » plutôt que de continuer à polémiquer. Entre 1991 et 2003, je n’ai plus publié d’articles ni de livre qui soient ouvertement hostiles à la psychanalyse. Tout au plus quelques interviews dans un journal, l’un ou l’autre débat télévisé et la traduction d’un texte de Han Israëls pour SPS 4. J’avais même fini par renouer des relations cordiales avec des psychanalystes de mon entourage.

Coups de tonnerre en 2004 : les réactions d’une partie des psychanalystes (surtout les lacaniens) et de leurs amis (Bernard-Henri Lévy, en particulier) à la tentative du député Bernard Accoyer de réglementer la profession de psychothérapeute et, ensuite, leurs réactions, encore plus violentes, à la publication du rapport de l’INSERM sur l’efficacité comparée des psychothérapies. C’est alors que Jacques-Alain Miller, gendre de Lacan et chef de file des lacaniens, s’est mis à attaquer violemment les thérapies comportementales, dont j’avais expérimenté les bienfaits, en affirmant : « Les thérapies cognitivo-comportementales sont des méthodes cruelles qui passent par l’exposition du sujet au trauma lui-même - par exemple en mettant un patient phobique des cafards devant des cafards. La première fois, il hurle, la deuxième fois un peu moins et, au bout de quelque temps, on considérera qu’il est guéri ! C’est du maquillage : les effets, s’ils existent, sont transitoires ou superficiels, quand ils ne se révèlent pas nocifs. En cela, l’efficacité des TCC repose uniquement sur l’autorité de l’expérimentateur, qui se pose en expert, en chef de commando » 5. Élisabeth Roudinesco, autre cacique de la psychanalyse, écrivait que les TCC «  ont plus à voir avec les techniques de la domination mises en oeuvre par les dictatures ou les sectes qu’avec les thérapies dignes de ce nom », qu’elles traitent les gens « comme des rats de laboratoire » et que « la cruauté des hommes, décidément, est sans limite ». Roland Gori, professeur
à l’Université d’Aix-Marseille, déclarait, dans Le Monde du 26
février : « Les TCC, c’est un dressage pavlovien. [...] On est dans la soumission librement consentie. Politiquement c’est dangereux. [...] Le rapport de l’Inserm est une machine de guerre contre la psychanalyse. Avec, derrière, des arrière-pensées économiques : s’emparer du marché juteux de la santé mentale. Ce rapport n’est que l’annonciation de ce qu’Elizabeth Roudinesco appelle l’homme comportemental. » C’est l’expression « dressage pavlovien » qui m’a donné l’idée et le titre de la conférence que l’AFIS m’a invité à faire lors de l’assemblée générale du 15 mai 2004 6. J’étais relancé dans la polémique. Me taire eût été ne pas venir au secours de personnes en danger : les patients qui font confiance à ce genre de psychanalystes 7.

En septembre 2004, l’éditeur des Arènes me demandait si je pouvais contribuer à un livre qui ferait un bilan critique de la psychanalyse. À ce moment, j’étais occupé par la traduction-adaptation en français d’un livre, paru en néerlandais, sur la psychologie des enfants malades (asthmatiques, cancéreux,...), un travail utile et passionnant. Je visitai le site www.arenes.fr. La décision s’imposait. Sans Miller, Roudinesco, Gori et quelques autres leaders d’opinion de la francophonie, le livre sur les enfants malades eût déjà été en librairie et aurait sans doute rendu service. Mais voilà, j’ai pensé aux malheureux qui souffrent de problèmes psychologiques et qui s’imaginent que la psychanalyse est le top de la psychothérapie. J’ai aussi pensé à ces malheureux étudiants en psychologie et en philosophie, qui s’épuisent à comprendre et à mémoriser des textes lacaniens, auxquels leurs enseignants eux-mêmes ne comprennent pas grand-chose ou attribuent les significations les plus fantaisistes. Le projet pour les enfants malades a seulement été interrompu. Il n’y sera guère question de polémiquer. Si les noms de Freud ou de Dolto y apparaissent, ce ne sera pas plus d’une ou deux fois. Celui de Lacan ne sera même pas mentionné.

1 Ellenberger, H. (1970) The Discovery of the Unconscious. N.Y. Basic Books. 932 p. Trad. : A la découverte de l’inconscient. Histoire de la psychiatrie dynamique. Villeurbanne : Simep, 1974, 760 p. Rééd. : Histoire de la découverte de l’inconscient. Paris : Fayard, 1994.

2 Eysenck, H. & Wilson, G.D. (1973) The experimental study of freudian theories. London : Methuen, 405 p.

3 Eysenck, H. (1952) The Effects of Psychotherapy : an Evaluation. Journal of Consulting Psychology, XVI (5) : 319-24. - Eysenck, H., (1966) The Effects of Psychotherapy. New York : International Science Press. - Rachman, S. (1971) The Effects of Psychotherapy. Oxford : Pergamon Press.

4 Israëls, H. (2001) « L’histoire du « Journal d’une adolescente ». Science et pseudo-sciences, n° 246, p. 34-38.

5 L’Express du 23-02-2004. (Souligné par J.V.R.).

6 « Le dressage pavlovien » des freudiens. Comprendre le conflit psychanalyse - psychologie scientifique ». Version papier dans la Revue de Psychoéducation (Université de Montréal), 2005, vol. 34, p. 135-151.

7 Dans mon exposé, je soulignai que certains psychanalystes, comme Daniel Widlöcher, n’ont pas une position aussi tranchée ou sont même franchement ouverts au dialogue.

Publié dans le n° 269 de la revue


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L' auteur

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l’université de Louvain (Louvain-la-Neuve) et à l’université Saint-Louis (...)

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