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Progrès dans les mesures de gravité

Publié en ligne le 22 septembre 2017 - Vulgarisation scientifique -

Ou plutôt : dans les mesures de pesanteur. En effet, sur notre Terre en rotation variable autour d’un axe, la seule grandeur mesurable est la pesanteur, résultant de l’ajout de différents termes à la force de gravité : force centrifuge (ou plutôt axifuge), force liée au changement de la vitesse de rotation et force de Coriolis 1 si le repère est lui-même en mouvement.

L’augmentation continue des performances instrumentales a permis la mise en évidence de nouveaux effets : les ondes gravitationnelles et la détection instantanée d’un séisme distant.

Les ondes gravitationnelles

En février 2016, toute la presse [1] a célébré la détection d’ondes gravitationnelles, phénomène prévu par Einstein un siècle avant. Il avait fallu pour y arriver mettre au point des instruments très complexes exploités par deux équipes 2 : l’une autour de Virgo, qui réunit des chercheurs français, italiens, néerlandais, polonais et hongrois. L’autre autour des deux interféromètres LIGO, aux États-Unis. Depuis 2007, Virgo et LIGO sont liés par un accord de collaboration (échange, analyse conjointe des données enregistrées et publication commune). Cette coopération est nécessaire, car les détecteurs observent l’ensemble du ciel et des bruits instrumentaux perturbent des signaux extrêmement faibles et rares. C’est la concordance temporelle de ces derniers qui garantit leur réalité.

Depuis la démonstration en 1916 par Schwarzschild qu’il existe des solutions de l’équation de la relativité générale d’Einstein correspondant à un trou noir, la recherche de phénomènes qui permettraient d’en mettre un en évidence a été le Graal des astrophysiciens. Les équipes qui ont obtenu à la fois une preuve de leur existence, de leurs collisions éventuelles et des ondes qui en proviennent, méritent bien le prochain prix Nobel de physique.

De nombreux instruments sont à l’étude pour exploiter cette nouvelle source d’information. En plus des interféromètres spécialisés comme LIGO, Virgo, GEO600, KAGRA, ou le télescope Einstein, à côté de gravimètres supraconducteurs 3 encore améliorés seront utilisés des appareils à interférence atomique [2], à barre de torsion…

La détection instantanée d’un séisme distant

Après un séisme majeur, il est important de donner l’alerte le plus rapidement possible. On peut ainsi éviter des catastrophes secondaires en arrêtant le fonctionnement d’équipements et d’infrastructures à risque (réacteurs nucléaires, trains rapides, ascenseurs, et plus généralement circuits d’eau, gaz, électricité…). Mais jusqu’à présent, ce qui sert à la détection à distance, ce sont les ondes sismiques engendrées par le séisme, qui se propagent à partir du foyer à quelques kilomètres par seconde seulement. Une autre possibilité vient d’apparaître : un changement de la pesanteur, dû au déplacement des masses près du foyer, peut être détecté à distance grâce à un gravimètre ultrasensible et ce changement se propage à la vitesse de la lumière. On avait déjà observé une modification du champ gravitationnel après un séisme, mais longtemps après celui-ci, une fois rétabli l’équilibre des masses déplacées [3]. On avait pour cela utilisé des gravimètres supraconducteurs et des gradiomètres satellitaires 4 de gravité.

Des chercheurs de plusieurs laboratoires [4] ont collaboré pour exploiter les données enregistrées par le gravimètre supraconducteur de Kamioka, destiné à l’enregistrement des marées terrestres 5, et par plusieurs sismomètres à large bande passante, installés à quelques centaines de kilomètres du foyer du séisme de Tohoku Oki (magnitude 9, 11 mars 2011).

Les premières estimations [5] faites pour ce séisme, par calcul numérique de l’effet gravitationnel d’une source sismique,montrent que l’effet doit arriver à Kamioka environ 65 secondes avant les premières ondes sismiques, avec une amplitude de l’ordre de 10 milliards de fois plus petite que la pesanteur terrestre, ce qui est compatible avec les résultats obtenus.

Plusieurs difficultés sont à attendre dans la mise en place d’un système d’alerte basé sur cette instrumentation : la plus importante est l’agitation microsismique, toujours grande devant le signal. Pour les gradiomètres, l’amplitude de l’effet décroît très rapidement avec la distance, qu’il faut cependant prendre assez grande pour bien séparer le signal gravitationnel du signal sismique.

Cet effet sur le champ de pesanteur se traduit aussi par une perturbation de la vitesse de rotation de la Terre. Un patineur augmente sa vitesse de rotation en rapprochant les bras du corps, ce qui change son moment d’inertie ; de même, le déplacement de masses gigantesques par le séisme va changer la rotation de notre planète. Dans le cas du séisme de Tohoku Oki, la durée du jour a diminué de près de 2 millionièmes de seconde.

Références

1 | Pigenet Y. « On a détecté des ondes gravitationnelles », publié le 11 février 2016 sur lejournal.cnrs.fr
2 | Par exemple : « Instruments du service d’observations gravimétriques », sur https://eost.unistra.fr, « Gravimètre à atomes froids », publié le 25 février 2015 sur https://syrte.obspm.fr/spip/ ou « Accéléromètres spatiaux », sur https://www.universalis.fr
3 | Par exemple : Imanishi Y. et al. “A Network of Superconducting Gravimeters Detects Submicrogal Coseismic Gravity Changes”, Science, 2004, 306:476-478.
4 | Montagner, J.-P. et al. “Prompt gravity signal induced by the 2011 Tohoku-Oki earthquake”. Nat. Commun., 2016, 7:13349.
5 | Harms, J. et al.“Transient gravity perturbations induced by earthquake rupture”. Geophys. J. Int., 2015, 201:1416-1425.

1 La force de Coriolis dépend de la vitesse de rotation du repère et de celle de l’élément considéré.

2 Le détecteur Virgo, installé à Cascina, près de Pise en Italie, est un interféromètre de Michelson dont chacun des bras mesure trois kilomètres de long. Les détecteurs LIGO sont installés dans les États de Washington et de Louisiane.

3 Une masse sphérique supraconductrice est maintenue en lévitation par des courants permanents circulant à l’intérieur de deux bobines supraconductrices. Sa position est repérée par un système capacitif et est maintenue fixe par asservissement grâce à un courant électrique circulant dans une bobine auxiliaire. L’appareil fonctionne dans un récipient calorifugé contenant de l’hélium liquide à 4,2 K, à l’intérieur d’enceintes à 20 et à 80 K. Ces gravimètres ont une sensibilité de l’ordre du nGal et une dérive de l’ordre de quelques µGal/an (1 Gal = 1 cm/s²).

4 Un gradiomètre est un instrument destiné à évaluer le gradient d’un champ au voisinage d’un point. Il est composé de trois couples de détecteurs d’une composante de ce champ, ces derniers placés à une distance connue l’un de l’autre, suivant chaque axe d’un trièdre rectangle. Ils ont été mis au point pour la mesure en satellite du champ magnétique et du champ de gravité de la Terre. Pour ce dernier, le gradiomètre est constitué de six accéléromètres ultrasensibles, montés sur une structure rigide en fibre de carbone avec une distance d’environ 50 cm.

5 La trajectoire de la Terre dans le système solaire résulte essentiellement de l’attraction, sur son centre de gravité, du Soleil et de la Lune. Les forces de marée sont dues à la taille finie de notre planète. L’effet observé sur la pesanteur en un point comprend la variation du champ de gravité due aux changements de position relative des astres, celle due à la déformation corrélative du Globe et celle due au déplacement de la station. Il est de l’ordre de la centaine de µGal.


Publié dans le n° 320 de la revue


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L' auteur

Georges Jobert

Georges Jobert est géophysicien et professeur honoraire à l’université Pierre et Marie Curie. Il a été directeur (...)

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