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Publications : tricherie et suicide...

Publié en ligne le 24 décembre 2014 - Intégrité scientifique -

Deux articles publiés dans la revue Nature en janvier 2014 par plusieurs laboratoires associés dont le principal est au Japon, ont été retirés en juillet [1-6]. Cet événement rare a été suivi du suicide d’un des auteurs de ces articles. Les données des articles n’ont pas pu être obtenues par d’autres laboratoires spécialisés et les résultats ont donc été considérés comme frauduleux. Le sujet concerne le retour expérimental des cellules différenciées d’organes de souris à l’état de cellules embryonnaires très peu différenciées (cellules pluripotentes).

Il est parfois difficile de faire une claire distinction entre une erreur et une tricherie. Le suicide d’un des auteurs des articles ne signifie pas forcément un aveu de tricherie. Cette personne avait de hautes responsabilités administratives dans l’institut de recherche japonais et il était accusé de malversation financière.

De l’embryon à la cellule différenciée et réciproquement

La cellule embryonnaire initiale est totipotente puisqu’un organisme vivant se développe à partir de cette seule cellule. Les cellules qui en dérivent deviennent de plus en plus spécialisées, et donc différenciées, avec la formation des organes, en passant par les états de pluripotence (capacité des cellules à participer au développement de tous les organes) et de multipotence (capacité des cellules à ne participer au développement que d’un nombre très limité d’organes voire d’un seul dans le cas particulier de l’unipotence). Ce schéma est considéré comme irréversible chez les animaux sauf dans les gonades où sont formées les cellules sexuelles destinées à donner, après fécondation, une cellule totipotente, l’embryon.

Le clonage des animaux par transfert de noyau de cellules différenciées dans des ovocytes énucléés a permis de contourner cette règle puisque ce procédé donne naissance à des embryons viables. Le transfert de quatre gènes toujours exprimés dans les cellules pluripotentes provenant d’embryons précoces (cellules ES) a suffi pour faire passer des cellules différenciées à l’état de cellules pluripotentes. Ces cellules (iPS) qui sont effectivement pluripotentes ont été obtenues pour la première fois en 2006 par un groupe japonais et elles ont été rapidement validées par d’autres laboratoires. La méthode publiée début 2014 par un autre groupe japonais et qui a conduit à l’obtention de cellules (STAP) considérées par les auteurs des articles comme pluripotentes est particulièrement simple. La méthode s’appuie sur des observations préliminaires faites par un laboratoire des USA il y a plusieurs années. Ce procédé consiste à faire subir à des cellules de souris différenciées des stress et en particulier des abaissements transitoires du pH du milieu de culture. Les deux articles de Nature montraient que les cellules STAP répondaient bien aux principales caractéristiques de la pluripotence : l’expression de gènes de pluripotence et la capacité de ces cellules à participer à la formation de tous les organes de souris. Ces résultats n’ont pas pu être confirmés ce qui a justifié le retrait des deux articles.

Une question qui se pose est évidemment celle de la crédulité de la communauté scientifique y compris du comité éditorial de Nature. La méthode d’obtention des cellules iPS (pluripotentes) en 2006 est relativement simple et il était inattendu que l’action de quatre gènes seulement puisse suffire à reprogrammer le génome entier des cellules différenciées. Dans ce contexte, la mise au point d’un procédé encore plus simple – comme ceux mis en œuvre chez les plantes – était une hypothèse passablement crédible et satisfaisante pour l’esprit.

L’organisation des laboratoires de recherche, en particulier en biologie, est telle que des tâches spécialisées sont confiées aux personnes les plus compétentes. Ce dispositif repose sur la confiance et il est donc vulnérable. Dans le cas présent, la commission d’enquête a fait le constat que les expériences clefs probantes étaient dans les mains d’une seule personne [6]. Les expériences ont été répétées mais toujours par la même personne et les différents laboratoires impliqués dans cette aventure ont cru aux résultats, en réalité assez invraisemblables quand on y réfléchit calmement.

La question se pose de savoir ce qui permet de telles confusions. Sans doute des motifs classiques ; la recherche de postes, de crédits et de notoriété, peuvent jouer un rôle. Il faut se rendre à l’évidence, il y a beaucoup de subjectif dans le cerveau des chercheurs mais ceci est une des clefs de la découverte. L’expérimentation est par contre sans pitié. Aucune fantaisie n’est acceptable à ce stade de la démonstration. Toute erreur ou tricherie est un jour décelée et le mauvais joueur est toujours perdant.

Pour diminuer la fréquence de tels événements il pourrait être utile de mieux former les futurs chercheurs dans les universités. On pourrait aussi imaginer des systèmes de contrôle à l’intérieur des laboratoires : s’imposer des expériences effectuées en parallèle par différentes personnes dès lors que les résultats bousculent particulièrement des faits établis. Les comités éditoriaux des revues pourraient être plus critiques et exiger des démonstrations plus approfondies ainsi que des protocoles expérimentaux plus détaillés. La revue Nature annonce qu’elle va prochainement publier sa nouvelle politique d’évaluation des articles [7]. Il n’est pas rare que les comités éditoriaux fassent en sorte que des articles traitant du même sujet soient publiés de manière synchrone dans le même numéro de la revue. Ceci permet une première validation des résultats s’ils sont concordants. Les responsables des revues sont bien conscients du rôle essentiel qu’ils jouent dans la transparence et la diffusion rapide du savoir mais on ne peut ignorer le fait qu’ils ne veulent surtout pas rater la publication d’un article qui fera référence. Au total, la tricherie ou la simple négligence contraint la science à payer un certain tribut à la fraude. Il ne faudrait pas exagérer la gravité de tels événements étant donnée leur rareté. Il ne faudrait surtout pas profiter de ces incidents de parcours pour dénigrer la science. En effet, quoi qu’il arrive, tous les résultats publiés sont soumis tôt ou tard au jugement international par les pairs. Les médias sont, à juste titre, friands d’informations nouvelles et plus ou moins révolutionnaires. Ils ne font pas tous bon usage de ces informations. De leur côté certains chercheurs font indûment appel aux médias pour se faire valoir. La science est apatride et accabler la recherche japonaise en biotechnologie est de mauvais aloi. La découverte des cellules iPS a été un événement scientifique de tout premier ordre et les chercheurs japonais qui en sont les auteurs ont bien mérité leur prix Nobel.

Publié dans le n° 310 de la revue


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L' auteur

Louis-Marie Houdebine

Louis-Marie Houdebine (1942-2022) était directeur de recherche honoraire à l’INRA. Il a été membre de la (...)

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