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Témoignage

Quand la science était aimée...

Publié en ligne le 12 juillet 2010 - Vulgarisation scientifique -
par Philippe Boulanger - SPS n° 290, avril 2010

Je me souviens qu’au lancement de Pour la science, il y a 30 ans, les industriels vous invitaient pour des journées de la recherche où ils présentaient les travaux des laboratoires de leur société. En ce temps lointain, l’industrie s’intéressait aux écrits des « vulgarisateurs », leur faisaient part de leurs espoirs, générale-ment scientifiques, rarement financiers. L’espoir soufflait dans les voiles des bâtiments industriels.

Puis le monde de la recherche industrielle est devenu méfiant envers le pro-grès, et timoré : il fallait que les indus-tries gagnent beaucoup d’argent pour satisfaire plus pleinement leurs actionnaires. Ainsi, dans l’industrie pharmaceutique, la recherche a été ciblée sur les principes actifs qui pouvaient soulager les patients des pays riches atteints de maladies cardiaques ou de cancer.

Parallèlement, la recherche pure, notamment en physiologie, était considérée, Ô Claude Bernard, comme un dévoiement des fonds publics qui avaient, semblait-il, mieux à encourager. L’heure n’était plus aux avancées mais à la gestion. Foin de la naïveté dynamique, il fallait cultiver son petit jardin.

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Il y eut des précédents historiques. Lors de l’élection à l’Académie des sciences au début du XXe siècle, deux candidats s’opposèrent, Édouard Branly et Marie Curie. La querelle était surtout politique, elle portait sur le rôle des femmes dans la société et le nationalisme ; mais, de surcroît, un argument fut avancé selon lequel Édouard Branly, qui avait inventé un détecteur de rayonnement électromagnétique, était plus utile à la nation que Marie Curie qui avait découvert le radium ! À l’époque Édouard Branly se passionnait pour un perfectionnement du thermomètre à mercure favorisant les échanges de chaleur, perfectionnement destiné à le rendre plus réactif !

Édouard Branly fut élu. L’argument scientifique d’utilité était de bien mauvais augure ! La radioactivité et ses multiples applications, notamment médicales, découvertes par sa concurrente malheureuse, furent infiniment plus fructueuses que le cohéreur de Branly (dont d’ailleurs on ne sait toujours pas expliquer le fonctionnement), vite abandonné faute de pouvoir être perfectionné. Les avancées notables sont amenées par la recherche fondamentale. Souvenons-nous du transistor, une conception de rentabilité de l’existant aurait amené à perfectionner à l’infini les lampes triodes. Et le laser a été longtemps un outil en quête d’applications.

Dans l’éducation, on assistait parallèlement à une trahison des clercs. L’enseignement, analysait-on, était élitiste, l’élitisme était à proscrire, donc l’éducation devait être nivelée. Sa mission devint, et est encore, le sauvetage des plus faibles, la lutte contre « l’échec scolaire » ; volonté généreuse et utile, mais qui se fait au détriment des plus doués qui sont moins encouragés, voire critiqués, presque culpabilisés. Quelques voix s’élevèrent pour prôner le maintien d’un élitisme républicain : elles furent vite étouffées par les bien-pensants de tous bords.

À la notion de progrès s’est substituée la volonté de gestion des acquis. Le monde scientifique, politique et social est aujourd’hui considéré comme un champ où s’exercent des forces dont il faut préserver l’équilibre, et les manipulations pour améliorer l’état des choses témoignent plus d’une volonté de préservation de cet équilibre que d’un désir d’avancer par le pro-grès. Cette proposition, d’une rare indigence philosophique et sociale est décourageante pour les jeunes. Notre confort intellectuel combat les idées novatrices et les instruments nouveaux avec des idées reçues, pénalise les espoirs et décourage les initiatives. Les affaires humaines ne sont pas envisageables que sous l’angle de la thérapie.

Cela s’est traduit par une méfiance accrue envers les avancées scientifiques : les vaccins font peur (angoisses centenaires), le nucléaire terrorise, les « ondes » sont maléfiques (vieilles inquiétudes), le climat se détériore. Ces appréhensions sont légitimes, mais l’emphase est exagérée : elles ne sont pas nouvelles, mais se replacent au premier plan et occultent les vrais débats. En lieu et place de discussions sereines sur les périls possibles, des histrions péremptoires vous infligent leurs a priori. S’agit-il de sciences, que voilà les scientifiques mis sur la sellette et dépourvus, faute de temps d’antenne à la télévision par exemple, de droit de réponse.

Entre temps, grâce aux progrès de l’instrumentation scientifique, de la chirurgie et de l’hygiène, la durée de vie moyenne a augmenté dans la plupart des pays industrialisés de deux à trois mois par an, et ce depuis une trentaine d’années. On peut penser qu’une partie de l’humanité est ingrate…

Publié dans le n° 290 de la revue


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