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Regarder la forêt autrement : une question de survie

Publié en ligne le 26 mai 2006 -
par Isabelle Burgun

Développer un usage plus durable des sols permettrait de diminuer les déversements de mercure dans les rivières des forêts amazoniennes. Des rivières où il contamine l’écosystème et la principale source de protéine des populations locales.

L’usage de la jachère, des bandes de forêts riveraines, les modifications des pratiques de déforestation sont quelques-unes des pistes de solutions qu’étudie l’équipe de Robert Davidson, conseiller scientifique au Biodôme et concepteur de l’écosystème tropical du musée montréalais.

« Nous travaillons avec la population locale pour les aider à modifier leurs pratiques liées à l’agriculture ou à la déforestation. La population fait partie du problème mais également de la solution », souligne le chercheur qui se passionne depuis plus de 20 ans pour le milieu amazonien. « J’ai une fascination devant sa complexité, sa beauté et les menaces qui le frappent », souligne celui qui est également professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal.

Dans la région brésilienne du Tapajos, un affluent de l’Amazone, l’une des menaces les plus connues reste la contamination au mercure en raison de la déforestation. Pour fertiliser les sols, les habitants déboisent de larges étendues de forêts, exposant du coup les sols aux pluies diluviennes. Cette forte érosion produit un déversement du mercure (contenu dans les sols) jusqu’aux rivières avoisinantes.

Une contamination que l’on doit pour 95 % à l’activité humaine mais pas aux milliers de chercheurs d’or, comme on l’a déjà cru. « Le mercure - qui est utilisé pour amalgamer les paillettes d’or - et la contamination qui en découle s’avère faible par rapport à l’ensemble de la contamination. C’est ce qui nous a mis sur la piste des sols », explique Robert Davidson.

Grâce aux carottes d’échantillons prélevées dans les rivières, les chercheurs ont même identifié un moment où le taux de mercure s’est multiplié par deux, voire par trois : il y a une trentaine d’années, lorsque la colonisation de la région a commencé.

Un poison qui vient du sol

Les sols de la forêt amazonienne forment un milieu complexe et très ancien. Extrêmement vieux - 100 fois plus anciens que nos propres sols datés de 10 000 ans - ils ont donc accumulé graduellement une grande quantité de mercure. Il s’agit d’un mercure naturel, sous forme métallique, logé profondément. « L’analyse des sols le démontre parfaitement. Ils en contiennent en grande quantité mais tant qu’il y a un couvert forestier, ce mercure ne pose pas de problème », affirme le chercheur. Il ne devient source de contamination que lorsqu’il se déverse dans le milieu aquatique, contaminant les poissons et ceux qui les consomment. La déforestation provoquerait aussi un changement de forme du mercure (méthylmercure), qui le rend plus dangereux pour les êtres vivants.
L’équipe de recherche soupçonne également d’autres causes que l’érosion. « Il existerait aussi une action chimique liée aux brûlis de la forêt », annonce Robert Davidson. Lors des feux, les brûlis déplaceraient chimiquement le mercure en raison de la compétition pour les mêmes sites que se livrent alors les différentes particules chargées positivement (cations). Les cations présents dans les cendres (calcium, magnésium et potatium) sortiraient ainsi le mercure du sol. Cela constitue le fruit de recherche d’une étudiante à la maîtrise, Annie Béliveau.
La confirmation de cette hypothèse amènerait des pistes de solution. « Il existe d’autres moyens de déboiser qui permettent de laisser plus longtemps la matière organique sur le sol et de limiter la sortie du mercure », avance le chercheur. Par exemple, en utilisant une sorte de grand hachoir qui déchiquetterait les petits troncs et les branches des arbres, la biomasse, dès lors réduite en copeaux, pourrait se dégrader graduellement et couvrir le sol plus longtemps. C’est d’ailleurs le sujet de recherche d’une autre étudiante, Irina Comte. Par ailleurs, maintenir des bandes de forêt riveraine permettrait partiellement de contrer le déversement direct dans la rivière en formant une zone tampon. L’équipe de recherche désire aussi encourager l’instauration de jachères, ce qui diminuerait le déboisement. L’étudiante à la maîtrise, Cynthia Patry, étudie comment convaincre les agriculteurs de la région.

Déjà l’alimentation

Mais il n’est pas toujours évident d’inciter la population à changer ses habitudes. Les chercheurs en ont pris conscience avec l’implantation du projet d’éducation populaire sur l’alimentation des poissons.
Le poisson est la principale source de protéine des populations locales. Avec le déversement du mercure dans les rivières, les poissons sont contaminés et cette contamination s’accentue en suivant la chaîne alimentaire : les poissons « carnivores » accumulent le mercure dans leurs tissus en ingérant les autres poissons. L’équipe a donc entrepris d’informer la population sur les risques en distribuant des fiches d’informations : feuillet vert, les herbivores bons à consommer, et feuillet rose, les carnivores, à éviter. Un premier essai a donné un bon résultat avec une baisse de 40 % de l’exposition au mercure au sein de la population du village de Brazilia Legal.

Le problème, c’est qu’à « certains moments de l’année, le poisson Pescada très contaminé, c’est tout ce qui est disponible dans la rivière. Il est donc difficile de leur dire de ne pas en consommer », dit Robert Davidson. L’équipe a donc changé son message pour les inciter à... vendre ces poissons dans la ville la plus proche ! « Cela paraît déplacer le problème, mais c’est surtout moins dangereux pour un citadin de consommer à l’occasion un poisson contaminé que pour la population locale d’en manger matin et soir », explique le chercheur.
Une autre piste de recherche est de suppléer les poissons contaminés par une consommation de fruits tropicaux qui, eux, ne présentent aucun danger.

La contamination au mercure dans le bassin versant de l’affluent Tapajos, qui couvre une centaine de kilomètres, affecte des milliers de personnes. De nombreux symptômes ont été enregistrés par l’équipe de santé : des pertes de motricité, de coordination, de vision latérale notamment. Les chercheurs suspectent aussi que la contamination au mercure doive affecter le système immunitaire des populations, augmentant leur susceptibilité aux maladies tropicales. « Au rythme où va la déforestation, nous sommes assis sur une bombe. La contamination touche de plus en plus de monde. C’est un problème de santé humaine et également politique », tranche Robert Davidson. L’éducation des populations locales, et les changements de pratiques qui en découlent, permettront de vivre en meilleure harmonie, et santé, sur le sol amazonien.


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