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Retour sur la fin des dinosaures, la limite Crétacé-Tertiaire et les datations « absolues »

Publié en ligne le 30 janvier 2012 - Information scientifique -

Science et pseudo-sciences (SPS) s’est fait l’écho, dans son n° 295 d’avril 2011, sous le titre Nouvelle datation de la fin des dinosaures, d’un résultat récent sur la datation radio-isotopique d’os de dinosaures de séries sédimentaires continentales des États-Unis. Fassett et al. (2011) rapportent la datation directe, faite sur les os d’hadrosaures provenant de deux gisements du bassin de San Juan, datés de part et d’autre (l’un avant, l’autre après) de la limite Crétacé-Tertiaire (ou limite K-T, limite entre l’ère Mésozoïque et l’ère Cénozoïque, anciennement dénommées Secondaire et Tertiaire). Comme le soulignent les auteurs eux-mêmes et comme le met en avant P. Le Vigouroux dans SPS, ce qui est remarquable, c’est l’utilisation d’une technique nouvelle (datation U-Pb par ablation laser in situ) pour établir des datations absolues d’os de vertébrés continentaux. Quelques points méritent néanmoins d’être commentés.

Datation relative des séries sédimentaires continentales

En stratigraphie moderne, les unités (comme le Paléocène, série à la base du Cénozoïque) sont définies à partir de leur base, dans une coupe de terrain homologuée, datée relativement (et non de façon « absolue » avec des éléments radioactifs comme l’uranium ou le plomb) avec une ou plusieurs espèces fossiles précises qui sont des espèces-index. Ces « étalons » stratigraphiques sont toujours choisis dans des strates sédimentaires (nommées « séries ») marines et non dans des séries continentales. Or, la série étudiée par Fassett et al. est continentale et ces auteurs rappellent fort à propos qu’il est très difficile de dater précisément des séries continentales en référence aux séries étalons marines renfermant les « bons » fossiles-index. La question est donc : est-ce que la base du « Ojo Alamo Sandstone » (OAS), la formation géologique étudiée par Fassett et al., renfermant le gisement supérieur à hadrosaures, est bien d’âge paléocène ? Après une brève recherche sur Internet, il apparaît que cet OAS a été initialement attribué au Crétacé sur la base de la présence de dinosaures. Pourquoi ? Parce qu’il « est bien connu » que les dinosaures ont tous disparu à la crise K-T ! Cependant, des arguments palynologiques (pollens) et paléomagnétiques, donc autres que l’existence de dinosaures, sont venus jeter un doute sur l’âge de cet OAS qui serait paléocène 1.

Échelle stratigraphique des temps géologiques
Les dates sont exprimées en millions d’années (Ma). Le Paléocène est une division à la base du Paléogène. La flèche marque l’époque discutée dans l’article de Fassett et ses collaborateurs (source : Wikipedia)

Disparition des dinosaures

Cela fait déjà plusieurs années qu’on entendait dire qu’il y aurait des sites à dinosaures postérieurs (plus récents) à la crise d’extinction en masse dite K-T, donc d’âge tertiaire basal (Paléocène) ; ces sites sont désormais connus et ont été publiés par Fassett et ses collaborateurs. Le fait que de rares dinosaures aient pu survivre à la crise K-T n’est pas étonnant en soi. Ceci ne concerne probablement qu’un petit nombre d’espèces résiduelles. Mais strictement, les dinosaures n’ont pas disparu puisque les oiseaux appartiennent à ce groupe ! Les dinosaures, au sens des grands reptiles de Jurassic Park, constituent pour les paléontologues évolutionnistes ce qu’on appelle un « groupe paraphylétique » (un groupe qui ne regroupe pas une entièreté de descendance) par opposition aux groupes monophylétiques qui, eux, sont constitués d’un ancêtre et de tous ses descendants (par exemple les oiseaux). La disparition d’un groupe d’organismes n’est valide que s’il s’agit d’un groupe monophylétique, sinon il s’agit d’une pseudoextinction. La disparition des dinosaures est donc une pseudo-extinction.

Datation « absolue » vs datation relative

Nombre de géologues radio-chronologistes considèrent que les datations fondées sur des radio-isotopes sont « absolues », ce qui est un abus de langage.

Document présentant les relations de parenté entre le groupe des oiseaux et diverses espèces fossiles (extrait d’un sujet de l’épreuve de SVT du bac S 2011)

En effet, chacune de ces datations est faite par comparaison à un ou plusieurs étalons : une demi-vie plus ou moins connue des éléments radiogéniques concernés, un dosagetype qui a été fait par plusieurs laboratoires. Il s’agit aussi de datations relatives comme celles qui sont fondées sur des fossiles. Le fait qu’avec des radio-éléments on aboutisse à un nombre d’années semble faire plus sérieux mais n’est absolument pas garant d’une plus grande précision. Exemples : certains microfossiles carbonatés ou siliceux du Cénozoïque datent, par comparaison à des datations radio-isotopiques, les roches sédimentaires qui les renferment avec une précision allant du quart de million d’années (250 000 ans) à la dizaine de milliers d’années. Par contre, certaines roches magmatiques du Précambrien sont datées radio-chronologiquement de quelques milliards d’années plus ou moins quelques dizaines de millions d’années ! Avec une marge d’erreur de quelques pourcents sur une mesure, plus la date est récente, plus la marge est réduite, comme chacun le sait.

Âges de la limite K-T et du site supérieur à hadrosaure du San Juan Basin

Dans le cas qui nous intéresse ici, la limite K-T est habituellement datée à 65,5 ± 0,3 Ma (million d’années) BP (« before present ») soit entre 65,2 et 65,8 Ma BP [il y a toujours une marge d’erreur sur toute mesure physique] ; la datation de l’os d’hadrosaure du gisement supérieur de la série du San Juan Basin est de 64,8 ± 0,9 Ma BP soit entre 63,9 et 65,7 Ma BP. Autrement dit, l’âge possible de l’hadrosaure recouvre l’âge possible de la limite K-T à 0,1 Ma près. L’hadrosaure peut tout aussi bien être antérieur que postérieur à celle-ci. On ne peut donc pas en tirer la conclusion que la datation de l’hadrosaure met en question la survie des dinosaures après la crise K-T. Mais las, c’eût été trop simple. Un autre résultat est tombé récemment sur le site Web du CNRS 2 : « En analysant par la méthode de la cyclostratigraphie des séries sédimentaires marines prélevées dans les océans Indien et Atlantique lors d’anciennes campagnes océanographiques des programmes internationaux ODP et DSDP, une équipe de chercheurs français et américains a pu démontrer la corrélation des cycles sédimentaires avec les variations des paramètres orbitaux de la Terre et dater la limite Crétacé-Paléogène [K-T], soit à 65,59 ± 0,07 Ma, soit à 66 ± 0,07 Ma. Cette deuxième proposition est plus en accord avec les dernières données radiométriques, ce qui recule dans le temps cette limite de 405 000 ans par rapport à ce qui est actuellement admis. » Par conséquent, le site à hadrosaure (64,8 ± 0,9 Ma) serait finalement plus récent que la limite K-T (66 ± 0,07 Ma).

Conclusion

La science est affaire de remises en question permanentes, comme l’illustre ce sujet. On retiendra comme points importants que la datation précise des sites à dinosaures est difficile à réaliser et que toutes les datations « absolues » de la géologie coportent des barres d’erreur à ne pas sous-estimer.


Référence : James E. Fassett, Larry M. Heaman & Antonio Simonetti (2011) : Direct U-Pb dating of Cretaceous and Paleocene dinosaur bones, San Juan Basin, New Mexico. Geology, 39 (2), p. 159-162.

Publié dans le n° 298 de la revue


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L' auteur

Alain Blieck

Directeur de recherche au CNRS, Université Lille 1, Sciences et Technologies, unité de recherche Géosystèmes.

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