Accueil / Notes de lecture / Science et conscience dans la post urgence du séisme de Haïti

Science et conscience dans la post urgence du séisme de Haïti

Publié en ligne le 18 février 2020
Science et conscience dans la post urgence du séisme de Haïti

Éric Calais
L’Harmattan, 2017, 92 pages, 12 €

Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter dévastait Haïti et sa capitale Port-au-Prince. Cette catastrophe dans un des pays les plus pauvres de la planète fait 200000 morts et des dégâts matériels équivalents au PIB annuel du pays. L’émotion internationale est vive, les promesses de dons affluent, il faut reconstruire le pays. Éric Calais est géologue et sismologue, spécialiste de cette région du globe, et après y avoir consacré son activité scientifique, il lui consacre deux ans de sa vie comme conseiller auprès du ministère de l’intérieur haïtien. Il en a tiré ce petit livre qui est passionnant, à la fois pour comprendre la situation économique et sociale d’Haïti et les conséquences du tremblement de terre, mais aussi pour comprendre en quoi et comment un scientifique peut, sans se substituer aux décideurs, aider à la décision.

La connaissance des aléas sismiques, l’existence de solutions dans la construction parasismique et l’ampleur des dégâts sembleraient à première vue devoir conduire à des décisions rationnelles sans hésitation.

Et pourtant, on voit que rien n’est simple. Un ministre déclarait à l’auteur en 2008 : « Vous ne savez pas prédire les dates des séismes, moi je sais que chaque année nous aurons des inondations mortelles entre juin et octobre » ; un autre utilise la reconstruction parasismique comme argument électoral ; des questions angoissées se posent après le tremblement de terre et la réplique qui suivit le 20 janvier 2010, pour savoir si trois jours plus tard cela serait fini (alors que les répliques potentielles s’étalent sur des mois et que le « big one » reste à venir) ; la panique d’un tsunami improbable s’installe suite à un autre tremblement de terre ayant eu lieu à 1 000 km de là ; sans compter la presse qui, pour augmenter ses ventes, s’indigne des erreurs des sismologues alors que ce ne sont que des imprécisions inhérentes à la nature de la discipline.

Rien n’est simple non plus dans la gestion de l’aide humanitaire, dans la mise en œuvre des travaux de reconstruction : la lourdeur et le surcoût de la gestion par les organisations onusiennes est effrayante. Comme l’est tout autant l’activisme de certaines ONG avides de reconnaissance et dont les actions, transitoires, sont souvent de fausses bonnes idées. L’afflux de dons souvent inadaptés aux capacités de les utiliser, les effets collatéraux de subventions mal gérées qui induisent des flux migratoires indésirables, tout cela ne doit pas décourager l’aide internationale, mais doit encourager une gestion mieux adaptée aux besoins.

On sent dans le livre d’É. Calais à la fois son attachement au peuple haïtien, sa volonté d’expliquer, d’aider non seulement à faire les bons choix mais aussi à former sur place les générations d’Haïtiens qui auront intégré le risque sismique parce qu’ils auront appris à l’étudier. Comment ne pas penser au fameux précepte chinois enjoignant d’apprendre à pêcher plutôt qu’offrir du poisson ?

Il s’agit là d’un livre humaniste, d’une réflexion sur les limites de la science et sur les devoirs des scientifiques qui « doivent sortir de leur zone de confort pour démêler cette complexité, la déplier face au monde, bref pour expliquer ».