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Sigmund est fou et Freud a tout faux

Publié en ligne le 20 août 2008
Sigmund est fou et Freud a tout faux
Remarques sur la théorie freudienne du rêve

René Pommier
Éditions de Fallois, 2008, 188 pages, 18 €

Ancien élève de l’École Normale Supérieure, René Pommier a enseigné la littérature classique à la Sorbonne, pendant plus de vingt ans. Mettant à profit le temps libéré par la retraite, il a examiné dans les moindres détails l’interprétation freudienne des rêves et nous livre ici les résultats de son enquête. Pommier s’était rendu célèbre par sa critique rigoureuse de la « Nouvelle Critique » et, plus particulièrement, par son démantèlement du Sur Racine de Roland Barthes. Son ouvrage Assez décodé ! (1978, réédité chez Eurédit en 2005), extraordinairement décapant, lui a valu le Prix de la Critique de l’Académie française. On peut se faire une idée de son érudition, de son intelligence et de sa puissance d’analyse en visitant son site. On comprend alors que l’Institut lui ait décerné en 2007, sur proposition de l’Académie française, le Prix Alfred Verdaguer pour l’ensemble de son œuvre.

Comment un homme aussi doué et lucide a-t-il pu choisir un titre de livre aussi provocateur ? Parce qu’il faut ce genre de chose pour émerger dans l’immense marée des publications ? En fait, à y regarder de près, on doit reconnaître que « Freud a tout faux », du moins en ce qui concerne la théorie des rêves. L’idée que les rêves traduisent des désirs se trouve déjà dans l’Antiquité et elle est affirmée avec force par Wilhelm Griesinger, le psychiatre le plus représentatif du milieu du XIXe siècle. Mais Freud a cru faire une découverte révolutionnaire : tous les rêves, sans la moindre exception, seraient la réalisation de désirs, mais de désirs refoulés. Comme il s’agit de désirs refoulés, le commun des mortels ne peut en juger. Lorsque, dans un cauchemar, le désir est manifestement absent, seul le psychanalyste peut le débusquer, grâce à des règles de décodage du genre « le contraire c’est la même chose ». Si vous rêvez que votre père se fâche parce que vous rentrez tard à la maison, vous exprimez « inconsciemment » votre désir qu’il disparaisse et vous laisse sa femme, votre mère (cet exemple est donné par Freud lui-même).

Pour maintenir envers et contre tout le caractère absolu de sa généralisation, Freud doit rajouter une série de thèses, tout aussi gratuites, et faire des interprétations « à dormir debout ». Par exemple, il affirme que des rêves à contenu pénible sont la réalisation imaginaire de « désirs masochistes ». Se pose alors la question de savoir pourquoi, contrairement à ce qui se passe chez ceux qui s’adonnent à des pratiques masochistes, le rêveur n’éprouve aucun plaisir… Pommier passe toutes ces thèses au peigne fin. Il ne se contente pas de discussions abstraites. Reprenant des illustrations présentées par Freud et ses disciples comme exemplaires (notamment le rêve de l’injection à Irma et le rêve de la femme du boucher), Pommier montre les faiblesses de la méthode, l’arbitraire des interprétations, les contradictions internes et le manque stupéfiant de bon sens, sous prétexte que le rêve est irrationnel. Comme Pommier l’écrit, Freud « transforme n’importe quoi en n’importe quoi ».

L’auteur prolonge son analyse du rêve par un examen critique de la théorie du refoulement – « le pilier de la psychanalyse » – et de la conception freudienne des désirs. S’il n’aborde pas l’ensemble des problèmes posés par la psychanalyse, il a le mérite de montrer que la façon dont Freud traite les rêves — la « voie royale » de la découverte de l’Inconscient selon le neurologue viennois — ne tient pas la route. Sur cette question, Pommier est parfaitement en droit de se prononcer, comme tout un chacun qui rêve et qui peut donc observer, réfléchir et juger. Il le serait moins sur des questions de psychopathologie, mais ce n’est guère son ambition. Sans doute plusieurs de ses arguments ont déjà été énoncés, notamment par Roger Cailloix et Adolf Grünbaum, mais il apporte aussi des idées nouvelles, le tout présenté dans une langue superbe et accompagné d’un délicieux humour. Notons encore que l’auteur donne toujours des références précises de ses citations et de ses sources d’inspiration. Le professeur de la Sorbonne sait ce qu’est un travail d’analyse rigoureux.