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Travail social et soin psychologique

Publié en ligne le 5 février 2009
Travail social et soin psychologique
Des éducs, des psys, des juges, des « sauvageons » et leurs familles

Pierre Segond
Erès, collection Relations, 2008, 20 €

Ce livre rend compte de 25 ans d’expérience de consultation familiale dans le cadre de la Protection judiciaire de le jeunesse de Paris. La meilleure façon de l’aborder est peut-être de commencer par la lecture du dernier chapitre ! En effet, traitant de la dignité de l’homme dans les pires conditions de violence, il met le lecteur en position de citoyen se sentant concerné par les problématiques sociales et juridiques décrites dans le reste du livre, certes sans jargon, mais avec la rigueur et la précision du spécialiste, parfois un peu technique.

Au long de son ouvrage, Pierre Segond détaille d’abord les conditions, très précises, de son intervention. C’est la partie la plus technique, mais il est bon d’apprendre un peu comment tout cela fonctionne. Le paradoxe principal, que Segond ne masque pas, bien au contraire, est d’envisager cette action comme une thérapie familiale mais sans le dire... En effet, d’une part, les familles sont obligées par la justice de participer à ces échanges, ce qui est bien loin de la démarche de quelqu’un venant chercher de l’aide spontanément. D’autre part, un mécanisme de défense peut se mettre en place : la famille renâclant à cette « vraie-fausse » thérapie pourra arguer de son échec pour « prouver » qu’il n’y avait pas de problème familial. Si j’avais mauvais esprit, je poserais donc la question : le danger de dire au grand jour qu’il s’agit de thérapies familiales étant clairement établi, fallait-il l’écrire ?...

Pierre Segond éclaire ainsi plusieurs dangers et difficultés qui ne manquent pas de se poser ; ainsi un élément qui doit être bien compliqué à gérer : le danger de se montrer si « bons éducateurs » que les parents s’en trouveraient quelque peu disqualifiés. Le sous-titre du livre indique aussi que les différentes équipes amenées à s’occuper d’un dossier (« éducs, psys – et parfois plusieurs intervenants –, juges et familles ») peuvent également, si elles coordonnent mal leurs efforts, aboutir à des « compétitions » mal venues.

Une partie qui concerne davantage chacun d’entre nous développe les maladresses d’expression des parents, susceptibles de causer troubles ou confusion : on ne se rend pas toujours compte de l’ambiguïté de certains de nos propos, et Pierre Segond montre combien une phrase comme « tu es assez grand pour te servir toi-même » peut être déstabilisante, commençant par un message valorisant (tu es assez grand) puis se terminant par une fin de non-recevoir (débrouille-toi !). S’adressant également à tous, un chapitre évoque les « crises prévisibles » survenant dans toutes les familles (crises de la Lune de miel, de la Première naissance, de l’Accession à l’adolescence de l’aîné, du Nid vide, du Milieu de la vie, de la Retraite, etc.), ou les « crises imprévisibles » (divorces, chômage, maladies, voire décès, déménagements, etc.) : ici, Pierre Segond analyse la notion de crise en tant que telle, empruntant à l’étymologie de ce mot pour souligner le rôle éventuellement « reconstructeur » d’une crise (puisque ce mot vient de krinein, verbe grec signifiant « décider, trancher, choisir », plutôt dans le sens d’une décision de justice, du moment de la sentence).

Puis, après avoir souligné le rôle éventuel (et pas forcément positif) du vécu et des préjugés des éducateurs eux-mêmes, il passe à une longue seconde partie faite de cas précis et d’exemples détaillés. Quatre dossiers sont ainsi évoqués, parfois dans le détail, parfois moins, ce qui fournit des illustrations concrètes du cadre théorique des interventions judiciaires traité dans la première partie. Ces exemples, choisis visiblement pour être à la fois emblématiques, et de nature très différentes pour montrer la variété sans doute infinie des situations de détresse, sont intéressants, mais le côté très descriptif choisi par Segond pour en rendre compte nous frustre quelque peu : on aurait aimé avoir plus d’explications ou de détails quant au contexte des situations, aux conséquences de ces échanges, ou même aux raisons du choix de Pierre Segond, pour mieux se rendre compte de quoi ces cas sont révélateurs, en quoi ils peuvent être particuliers ou « généralisables », etc.

On y apprendra malgré tout beaucoup de choses (et notamment avec l’éclairage du dernier chapitre dont j’ai parlé) sur le fonctionnement de nos institutions, sur la nécessité d’une écoute permettant la dignité de tous, sur les difficultés d’un exercice aux multiples obstacles, mais qui en fait sans doute tout le prix.

Pourquoi avoir présenté sur le site de l’Afis ce livre qui n’est pas franchement de notre domaine ? Il ne pourchasse pas des élucubrations de charlatans, il n’éclaire pas un domaine scientifique particulier... C’est que nous sommes, en tant que personnes attachées par ailleurs à la raison et à l’esprit critique, des citoyens sans doute particulièrement attentifs au monde qui nous entoure, concernés par l’état de notre société et les situations de détresse qu’on y trouve (qu’elle génère ?). Un seul regret, justement, venant de notre œil sceptique : l’hypothèse évoquée par-ci par-là que la psychogénéalogie 1 serait vérifiée par des exemples (contestables, bien sûr), comme une fugue faite par un adolescent pile au même âge où son père en avait fait une, sans que personne ne soit au courant ! Diable, quelle étonnante force de la loi familiale, quand on se dit que la fugue d’un adolescent aura en gros une chance sur 7 ou 8 d’advenir au même âge (si je compte l’adolescence de 13 à 20 ans)... Sans compter que sur le nombre des fugues d’adolescents, on ne précise pas combien sont faites sans fugue du père au même âge ; enfin tout autant d’arguments familiers à nos lecteurs, et qui montrent encore une fois le danger de trop se fier aux témoignages, ou à son expérience, qui n’est jamais qu’une forme de témoignage de « première main », mais pas forcément moins trompeuse...

1 Voir l’article de Nicolas Gauvrit sur notre site : Psychogénéalogie dans l’étrange lucarne.