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Typologie des croyances au paranormal

Publié en ligne le 27 avril 2009 - Paranormal -

Les croyances au paranormal recouvrent des sujets aussi hétéroclites que le Yéti, les extra-terrestres, la transmission de pensée, l’astrologie, les anges, la malédiction de Toutankhamon, la torsion de petites cuillères par la puissance de la pensée, les vestiges de l’arche de Noé, les mauvais sorts, etc. L’approche sociologique montre qu’il n’existe pas d’individus qui croient à toutes ces croyances, mais plutôt que certaines personnes ont tendance à croire à certaines de ces croyances. On montrera que les croyances au paranormal peuvent être réparties en trois grand types : les croyances périreligieuses, les croyances parareligieuses et les croyances parascientifiques 1. La clef de répartition de cette typologie est fournie par l’attitude religieuse. À chaque type de croyance est associé un groupe de croyants dont on tentera de cerner le profil sociologique et la mentalité.

Les croyances périreligieuses : une corrélation directe avec le religieux

Les croyances périreligieuses sont des croyances religieuses appartenant à la religion dominante mais qui ont été marginalisées. Ces croyances ne sont pas l’objet de dogmes et correspondent à un merveilleux religieux plutôt populaire et traditionnel, auquel les élites savantes et cléricales ne croient plus ou peu : le Diable, les anges, les démons, les miracles, etc. Elles sont directement proportionnelles au niveau d’intégration religieuse : non pas que les individus religieux croient plus aux croyances périreligieuses – la plupart n’y croient pas ou plus – mais en ce sens que les individus qui croient aux miracles, aux anges, etc., ont fréquemment une forte intégration religieuse.

Le lien avec les croyances et pratiques religieuses

Quelle relation avec la religion et les pratiques religieuses les individus qui croient au paranormal entretiennent-ils ? Des attitudes différentes selon que l’on considère les croyances périreligieuses (anges, démons, etc.), parareligieuses (astrologie, réincarnation, etc.) ou parascientifiques (Yéti, extraterrestres, etc.).

Les croyants périreligieux ont généralement un niveau d’instruction peu élevé. Ils sont plutôt âgés et appartiennent plus fréquemment au sexe féminin. Leur mentalité est traditionnelle. Ils n’adhèrent pas aux autres
formes de croyances au paranormal : OVNI, phénomènes psi, monstre du Loch Ness, Yéti, etc. Parmi les croyances paraarchéologiques, seules celles qui se réfèrent à la Bible sont l’objet d’adhésion chez les croyants religieux : traces du déluge, recherche de l’arche de Noé, localisation du paradis terrestre, etc. Cette tendance est naturellement la plus forte chez les fondamentalistes, qui considèrent que la Bible est littéralement vraie. En revanche, les croyances paraarchéologiques non bibliques telles que la théorie des Anciens Astronautes, la malédiction de Toutankhamon, l’Atlantide, seront rejetées par les croyants religieux.

Les croyances parareligieuses : une courbe en cloche avec le religieux

Si l’on examine maintenant des croyances comme l’astrologie ou la réincarnation (en tant que croyance des Occidentaux), le modèle de corrélation avec l’intégration religieuse est nettement différent. Ces croyances sont les plus fréquentes lorsque l’intégration religieuse est moyenne, elles sont les plus basses lorsque l’intégration religieuse est soit très faible soit très forte. On les appellera croyances parareligieuses.

Dès 1966, Jacques Maître a mis en évidence la courbe de la croyance en l’astrologie par rapport à la pratique religieuse 2. Quinze ans plus tard, ces données sont encore valables puisqu’elles sont confirmées par l’enquête de Jean-Noël Kapferer et Bernard Dubois 3 : pour 38,6 % qui croient en l’horoscope dans la population générale, la proportion est de 25,3 % chez les non-catholiques, elle monte à 42,8 % chez les catholiques non pratiquants, puis culmine à 43,8 % chez les catholiques pratiquants épisodiques pour redescendre ensuite à 28,4 % chez les catholiques pratiquants réguliers.

Tout se passe comme si l’astrologie ou la réincarnation étaient rejetées quand elles se heurtent à une conception du monde structurée. Il semble que l’adhésion à un système de pensée cohérent – qu’il s’agisse de l’athéisme ou du christianisme pratiquant – empêche l’implantation de croyances religieuses marginales, alors qu’une religion diffuse, non institutionnalisée, constitue une structure d’accueil privilégiée pour ces croyances parareligieuses, offrant des possibilités de syncrétisme religieux 4. Le mouvement New Age correspond assez largement à ce modèle.

Les croyants de ce type appartiennent aux classes moyennes, avec un niveau d’instruction moyen. Ce sont essentiellement des femmes et des jeunes. Leur culture s’identifie avec la « culture de masse ». Ils pratiquent un syncrétisme et un relativisme culturel 5 qui le savoir populaire moderne.

Les croyances parascientifiques : une corrélation inverse avec le religieux

Le troisième modèle de corrélation est l’inverse du premier : il établit une liaison inversement proportionnelle entre des croyances au paranormal qui ont un contenu parascientifique et le niveau d’intégration religieuse. Là encore, il faut lire correctement le graphique : il ne signifie pas que les incroyants à une religion adhèrent automatiquement aux croyances parascientifiques, mais il indique que les croyants aux parasciences sont plus fréquemment non croyants et non pratiquants d’une religion.

La croyance aux soucoupes volantes et aux OVNI est inversement proportionnelle au niveau d’intégration religieuse. D’après l’enquête de Kapferer et Dubois 6, la croyance aux OVNI représente 35 % dans l’ensemble de la population : elle est à son maximum de 36,7 % chez les non-catholiques, descend à 35,4 % chez les catholiques non pratiquants, à 35 % chez les catholiques pratiquants épisodiques et chute à 28,5 % chez les pratiquants réguliers. L’étude sociologique de la croyance aux extraterrestres indique une tendance semblable 7. Par son aspect rationaliste, matérialiste et scientifique, la croyance aux extraterrestres est tout à fait acceptée, voire recherchée, par les incroyants en une religion. Pour la plupart des religions, l’univers est peuplé d’êtres invisibles (Dieu ou dieux, ancêtres, génies, anges, démons, etc.), il n’y a plus de place pour des entités comme les extraterrestres. Au contraire, dans la conception matérialiste et athée du monde, l’espace vidé de Dieu et des anges est devenu infini et silencieux – trop silencieux – et peut aisément se remplir de créatures humanoïdes dont la présence rassure l’homme angoissé de se sentir seul dans l’univers.

Les croyances cryptozoologiques (animaux inconnus et mystérieux comme le monstre du Loch Ness et le Yéti) paraissent également relever de ce modèle. Une enquête des sociologues anglais Roger Grimshaw et Paul Lester 8 montre que sur un échantillon de 25 « fans » du monstre du loch Ness, 15 sont incroyants sur le plan religieux, 7 sont chrétiens non pratiquants et 3 seulement sont des chrétiens pratiquants.

Étudiant la mythologie du Yéti, nous avons montré qu’elle entretenait des liens privilégiés avec une conception matérialiste du monde, en particulier parce qu’elle s’intégrait parfaitement à l’imaginaire évolutionniste 9. Ce n’est sans doute pas un hasard si, comme pour les extraterrestres, l’intérêt pour les Hommes Sauvages s’est tout spécialement manifesté dans l’ex-Union Soviétique, avec par exemple Boris Porchnev, auteur avec Bernard Heuvelmans d’un ouvrage où les mystérieux hommes-singes sont supposés être des hommes de Néanderthal 10, et Marie-Jeanne Koffmann, chercheur d’origine française et membre de l’Académie des Sciences de l’ex-Union Soviétique, partie sur les traces de l’Almasty du Caucase.

Parce qu’elles sont en opposition non seulement aux croyances religieuses mais aussi, par définition, au savoir scientifique officiel, les croyances parascientifiques possèdent une dimension de contestation de la culture dominante. Elles sont fréquemment associées à une critique de la société, une méfiance envers les gouvernements et une conception écologiste de l’environnement. Bien que n’appartenant pas à la communauté scientifique, à laquelle ils aspirent, qui leur sert de modèle et dont ils espèrent une reconnaissance, les croyants parascientifiques sont généralement des hommes, plutôt jeunes, de niveau d’éducation élevé.

Le tableau ci-dessus nécessiterait naturellement d’être nuancé. Il brosse à grands traits les portraits de trois grands types de croyants au paranormal, qui se croisent rarement parce que, comme nous avons tenté de le montrer, leur profil psychosociologique et leurs caractéristiques sociologiques les différencient.

Ouvrages de Jean-Bruno Renard

Jean-Bruno Renard a écrit plusieurs ouvrages sur les rumeurs et légendes urbaines. Qu’est-ce qu’une rumeur ? À quels signes peut-on la reconnaître ? Comment naît-elle ? Comment se développe-t-elle ? Pourquoi y croyons-nous ? De la violence urbaine aux paniques alimentaires, en passant par les techno-peurs, la sexualité, la nature sauvage, ou encore Internet.


Rumeurs et légendes urbaines, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, 3e édition 2006, 127 pages, 8 €.

De source sûre : Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui (avec Véronique Campion-Vincent). Payot éditeur, collection Petite Bibliothèque Payot, 2005.

1 Cet article présente l’essentiel d’une étude publiée dans la revue Religiologiques (n° 18, 1998) sous le titre « Éléments pour une sociologie du paranormal ». Le texte est disponible en ligne.

2 Jacques Maître, « La consommation d’astrologie dans la société contemporaine », Diogène, n° 53, 1966, pp. 92-109.

3 Jean-Noël Kapferer et Bernard Dubois, Échec à la science. La survivance des mythes chez les Français, Paris, Nouvelles Éditions Rationalistes, 1981, p. 258.

4 Syncrétisme religieux : mélange d’éléments provenant de doctrines et de pratiques différentes.

5 Qui considère que les croyances, les idées et les pratiques se valent toutes.

6 Jean-Noël Kapferer et Bernard Dubois, Échec à la science, op. cit., p. 72.

7 Jean-Bruno Renard, Les Extraterrestres. Une nouvelle croyance religieuse ?, Paris, Éditions du Cerf, 1988, p. 66.

8 Roger Grimshaw, Paul Lester, « The Meaning of the Loch Ness Monster », University of Birmingham (England), Centre for Contemporary Cultural Studies, 1976, et « Surveying monster enthusiasts », 1981 (Inédit).

9 Jean-Bruno Renard, « L’Homme Sauvage et l’Extraterrestre : deux figures de l’imaginaire évolutionniste », Diogène, n° 127, 1984, pp 70-88.

10 Bernard Heuvelmans et Boris Porchnev, L’Homme de Néanderthal est toujours vivant, Paris, Plon, 1974.


Thème : Paranormal

Mots-clés : Croyance

Publié dans le n° 284 de la revue


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L' auteur

Jean-Bruno Renard

Professeur émérite de sociologie (université Paul-Valéry, Montpellier 3). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (...)

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