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Un monde fou, fou, fou : mars 2005

Publié en ligne le 19 août 2008 - Rationalisme -
SPS n° 266

Toute profession a ses charlatans...

Aucun astrologue n’avait prévu le tsunami qui a dévasté l’Asie en décembre dernier. Enfin, aucun astrologue ne l’a encore prévu à ce jour. Mais ne doutons pas que certains, faisant l’exégèse de leurs propres écrits, nous affirmeront bientôt que la prédiction était bien là. Comme le précise un de ces praticiens 1 : « c’est souvent a posteriori que l’on comprend, en voyant toutes ces énergies planétaires en présence, ce qui s’est passé. ». Surveillons donc les mises à jour du site de notre astrologue nationale, Élizabeth Teissier.

Effectivement, une mise à jour serait bien utile : dans la partie en langue anglaise de son site, un long article, sans doute écrit au début du mois d’octobre 2005, s’intéresse à l’élection présidentielle américaine. Le titre est sans ambiguïté : « US elections : an irresistible ascension shlould lead John Kerry to a close call victory ». Décidément, le Mercure en trigone des Bush pose un problème insurmontable pour Élizabeth Teissier : déjà en 1992, elle avait prédit la réélection de Bush père… Clinton l’avait emporté. Le thème astral de la famille Bush semble poser un problème fondamental en astrologie…

Élisabeth Teissier, marque déposée

Ainsi donc, Élizabeth Teissier vient d’ouvrir une section de son site en anglais 2. Le marché est international, mais il convient de mettre utilement en garde le chaland contre les contrefaçons. L’internaute est donc accueilli par la fameuse citation d’Einstein, un faux où l’astrologue fait dire au célèbre physicien sa dette envers l’astrologie « illuminatrice », suivi d’un avertissement 3 : « J’attire votre attention sur le fait que divers lobbies scientistes, obscurs groupuscules ou fanatiques anti-astrologie, font scandaleusement – et illégalement – usage de mon nom dans leur sites, voire dans leurs métabalises pour se faire connaître. Ces “scientiflics” semblent n’avoir pour but que de s’acharner contre “l’art royal des astres”, ils ne savent pas que leur combat (d’arrière-garde) est perdu d’avance. C’est Victor Hugo qui a dit : “Rien ne peut arrêter une idée dont le temps est venu” ».

Élizabeth Teissier®, une marque déposée ? Voilà la science en marche : exiger de toute critique le versement des droits d’utilisation du nom. Einstein® aurait fait fortune. Mais nous concevons l’irritation de la chroniqueuse de Télé 7 Jours : entrez « Elizabeth Teissier, Astrologie » dans votre moteur de recherche favori sur Internet, et au lieu du site de l’astrologue, vous trouvez d’abord de nombreux sites critiques, dont celui de l’AFIS.

Dieu et la science

Signalons ici un excellent dossier dirigé par Olivier Péretié et Michel de Pracontal pour Le Nouvel Observateur 4. Le thème a souvent été traité et maltraité, faisant trop fréquemment la part belle aux dérives mystiques de certains scientifiques. Ce n’est pas le cas, et l’introduction précise le propos :

« Quelle est cette science capable de nous apporter d’immenses progrès mais aussi Hiroshima, les manipulations génétiques douteuses et les tentatives de clonage humain ?

Quels sont ces « savants » saisis par l’irrationnel ? Le pari sur le progrès qui semble soustendre toute recherche n’est-il pas déjà perdu ? Les dérives du nouveau siècle, la mondialisation inégalitaire, l’individualisme triomphant, la violence mystico-religieuse, le naufrage des grandes idéologies, la séduction du fondamentalisme et l’angoisse existentielle n’ouvrent-ils pas un boulevard aux intégristes de tout poil ? Ces terroristes de l’âme s’estiment en droit de prôner l’établissement par la force de régimes théocratiques, d’exiger l’enseignement de la « science de la création » et la véracité absolue du récit biblique de la Genèse, de proclamer la diabolisation de l’avortement et des recherches sur le vivant, ou de défendre par la violence la déesse Nature corrompue par l’homme... Quand se superpose à ces prétentions le triomphe d’un capitalisme médiatico-mystico-financier tenté de s’acheter la recherche pour prouver, par exemple, l’existence de Dieu, le XXIe siècle rappelle furieusement les siècles passés. »

À lire, les excellents articles des collaborateurs du magazine (Michel de Pracontal, Fabien Gruhier ou Gérard Petitjean) ! Tel celui intitulé « Les ayatollahs de la nature » qui relate les « dérives d’intégristes de l’écologie [qui] forment une nouvelle Eglise dont la terre est la divinité ». La « Nature est bonne » est une vieille rengaine souvent entendue pour dénoncer les menaces réelles ou imaginaires d’une « technologie scientiste » prétendue en développement. On trouvera également des contributions du prix Nobel de physique Pierre-Gilles de Gennes, d’André Langaney et de bien d’autres.

Le dossier est riche, les contributions très variées, et pas toutes orientées dans la même direction. Ainsi, nous retrouvons l’incontournable philosophe relativiste Bruno Latour. Pour lui, et fidèle à ses propos antérieurs, foi et science sont complémentaires. Il dénonce une dichotomie où « la Foi offrirait la croyance en un au-delà surnaturel alors que la Science serait la connaissance d’un ici-bas naturel. ». Certes, la démarche scientifique reste incontournable pour essayer d’élucider les énigmes, les paradoxes, et il ne servirait à rien « d’abandonner le mouvement ordinaire de la raison en changeant brutalement de véhicule ». Mais comme toujours dans les écrits de Bruno Latour, toute affirmation dans un sens est suivi de l’affirmation inverse, permettant différentes lectures, et permettant surtout à son auteur de rejeter les critiques de relativisme qui lui sont portées. Ainsi, « le malentendu est à double sens », et si « les sciences offrent le seul accès assuré pour saisir le lointain, il se trouve que la Foi permet de saisir l’inaccessible proche ». On ne saura pas exactement comment la Foi peut intervenir, ni ce qu’elle peut aider exactement à découvrir, mais la conclusion recherchée est atteinte : « Science et Foi ne font pas appel à deux facultés différentes et ne portent pas non plus sur deux mondes différents ».

Mais pour une fois dans ce genre de dossier, le propos général n’est pas de réconcilier science et religion, mais au contraire, de donner au lecteur matière à réflexion, matière à connaissance scientifique. Un dossier riche et honnête. À lire sans hésiter, et à retrouver en intégralité sur le site Internet du magazine 5.

La psychanalyse en procès

Le même magazine nous livre là un dossier qui est l’inverse du précédent. Il s’agit d’un numéro Hors-série du Nouvel Observateur (Hors série n° 56, Octobre-Novembre 2004). Le titre ne correspond pas au contenu. « La psychanalyse en procès. L’héritage freudien survivra-t-il aux démentis opposés par ses nombreux détracteurs » suggère que le lecteur trouvera a minima les éléments du procès, les arguments des « nombreux détracteurs ». Il n’en est rien ou presque. Vingt et une contributions sont rassemblées. Et il s’agit presque exclusivement de psychanalystes prenant la défense de leur discipline sans que soit jamais explicité la nature des critiques. On obtient au final un plaidoyer pro-psychanalyse, réalisé par des psychanalystes, accompagné de nombreux encadrés commentant positivement les principaux textes de Freud. Deux ou trois exceptions notables toutefois. Tout d’abord un article de notre ami et collaborateur Jacques Van Rillaer (« La Psychanalyse a-t-elle une valeur scientifique »), placé tout à la fin du dossier, et qui reprend le texte de la conférence donnée lors de l’assemblée générale de l’AFIS en 2004.

Ensuite, un article d’Adolf Grünbaum (auteur en particulier de « Fondement de la psychanalyse – une critique philosophique » (PUF, 1986) remarque « que la théorie et la thérapie psychanalytique [est] de plus en plus en crise, aux États-Unis et dans le monde entier », tout en soulignant l’exception que constitue l’Argentine et la France. Et de regretter que les psychanalyste ne répondent jamais sur le fond des arguments avancés, préférant souvent l’anathème voire les insultes.

On attend donc encore le dossier réalisé par un grand magazine qui traiterait sérieusement de la question du statut de la psychanalyse. La passion l’emporte encore aujourd’hui. Du moins en France.

Science officielle

Un organisme public de recherche livre une étude très sérieuse et respectant les critères scientifiques en vigueur. Les résultats sont publiés. S’agissant d’un organisme de recherche publique, le rapport est mis en ligne sur le site du ministère. Jusque-là, tout semble aller pour le mieux dans le plus normal des mondes. Les résultats du rapport ne plaisent pas à une certaine communauté qui se sent menacé dans son activité et ses revenus. Ce ne serait pas la première fois. On s’attendrait alors à ce que de nouvelles études soient lancées pour confirmer ou invalider les résultats déplaisants. La science a l’habitude d’avancer ainsi. Mais voilà, nous ne sommes pas dans le plus normal des mondes, mais simplement au pays de Descartes. Un « forum » des mécontents est réuni. Le ministre y est invité, et pour plaire à son public (sans doute des électeurs), décrète que l’étude qui dérange sera enlevée du site officiel. « Et c’est debout, l’applaudissant à tout rompre que le millier de psychanalystes et de professionnels de la psychologie a salué le ministre de la santé ». La science vient de faire un grand pas en avant, et la démocratie en même temps. Cette histoire à peine croyable (Le Monde du 8 février) est celle qui vient d’arriver au rapport de l’INSERM publié fin 2004 et évaluant différentes psychothérapies 6. Et c’est devant le « Forum des psys » réunit à la Mutualité à Paris que le ministre de la santé Douste-Blazy a fait son annonce. Que n’a-t-il pas annoncé un autodafé : c’eût été un triomphe encore plus grand. La controverse scientifique a de grands jours devant elle. Suggérons dans ce sens que le Journal Officiel de la République serve de revue scientifique validant ou invalidant les résultats des chercheurs.


Rubrique réalisée par Jean-Paul Krivine

3 Traduit de l’anglais par nos soins.

4 Le Nouvel Observateur, 23 décembre 2004, n° 2094-2095.

6 SPS, n° 262, p. 2