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Œufs contaminés par du fipronil

Une fraude scandaleuse mais sans risque avéré pour le consommateur

Publié en ligne le 31 août 2017 - Alimentation -

L’annonce d’une contamination des œufs par le fipronil a beaucoup surpris la filière avicole puisque l’utilisation de ce produit était interdite sur tout animal (ou ses produits) pouvant être destiné(s) à une consommation humaine. Le fipronil est utilisé couramment comme insecticide chez les animaux de compagnie, mais aussi comme produit biocide destiné à lutter contre les fourmis ou les cafards. L’utilisation frauduleuse de cet antiparasitaire est d’autant plus surprenante qu’il se trouvait mélangé à un produit bio à base de plantes destiné à lutter contre les poux rouges dans les élevages de poules pondeuses ! Ainsi, contrairement aux affirmations de certains écologistes comme, par exemple, l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot 1, les élevages biologiques n’étaient pas les plus protégés alors que, paradoxalement, les consommateurs ont pensé échapper à la contamination en se fournissant dans ces élevages.

Chronologie d’une fraude

La contamination des œufs néerlandais et belges daterait de novembre 2016 selon le ministre belge de l’Agriculture Denis Ducarme. Cependant, la première notification de résultats non conformes pour le fipronil (taux de résidu dépassant la limite maximale de résidu, ou LMR, fixée en Europe à 0,005 mg/kg) date du 2 juin 2017 en Belgique. L’alerte avait été donnée par l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) 2 à la suite d’un autocontrôle réalisé par une casserie. Ces œufs provenaient d’une exploitation de poules pondeuses en Belgique. Dès le lendemain, l’AFSCA décidait de bloquer la production de l’exploitation et de saisir les ovoproduits provenant de l’élevage, puis de les détruire mi-juin. Très rapidement, un traitement contre les poux rouges avec le Dega-16 est suspecté, ce produit néerlandais, à base de menthol et d’eucalyptus, étant distribué par la société ChickFriend dont les deux fondateurs font maintenant l’objet d’une enquête criminelle. Jusqu’à la fin du mois de juillet, les contrôles effectués en Belgique confirment la présence du fipronil dans les œufs sans que pour autant les autres pays européens en soient officiellement informés.

C’est seulement à partir du 4 août 2017 que le scandale est rendu public avec le retrait de millions d’œufs des rayons dans les supermarchés néerlandais et allemands. Le syndicat néerlandais des éleveurs de volailles annonce alors « plusieurs millions d’euros de pertes ». Progressivement, la traçabilité des ovoproduits permet de découvrir l’extension de la contamination dans 17 autres pays européens, dont la France, ainsi qu’à Hong Kong. Plusieurs élevages néerlandais sont bloqués et les œufs sont détruits ainsi que les poules pondeuses.

Au 24 août 2017, on a ainsi pu identifier quatorze établissements de transformation d’œufs ou d’ovoproduits, deux centres de conditionnement d’œufs et quarante grossistes et les premières analyses réalisées ont permis de retrouver des produits contaminés (cf. encart ci-joint). Près de 45 tonnes d’ovoproduits pouvant être contaminés ont été ainsi importées en France. Des œufs en coquille contaminés ont été aussi importés. Il s’agissait de 196 000 œufs en provenance de Belgique qui ont été mis sur le marché entre le 16 avril et le 2 mai et qui ont été consommés. Un deuxième lot (environ 48 000 œufs), venant des Pays-Bas, portant le code 0 NL 4365101 (il s’agissait donc d’œufs « bio »), ont été mis en vente entre le 19 et le 28 juillet chez Leader Price qui a procédé au retrait des œufs encore en rayon dès qu’il a eu connaissance d’un risque de contamination. Paradoxalement, on peut remarquer que les œufs « bios » vendus par ce distributeur avaient été classés premiers au test réalisé par le journal Que Choisir paru le 28 août 2017, l’un des critères du test étant l’absence de contaminants comme la dioxine ou des produits vétérinaires sans spécifier lesquels.

Le fipronil est « modérément toxique »

Dès 2004, le fipronil utilisé pour l’enrobage des semis (sous le nom de Regent) avait été suspecté d’être responsable d’une hausse de mortalité chez les abeilles françaises. Il fut alors interdit en France, mais les rapports ultérieurs (dont celui de l’EFSA, l’Agence européenne de sécurité alimentaire, en 2013) n’ont jamais pu démontrer formellement cette toxicité. Mais la controverse existe et c’est en 2014 que cette interdiction s’est étendue aux autres pays européens pour plusieurs produits végétaux destinés à l’alimentation animale ou attractifs pour les abeilles 3.

En grande quantité, le fipronil est considéré comme « modérément toxique » pour l’Homme par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’ANSES l’a confirmé dans son rapport du 10 août 2017. Les cas d’intoxication connus chez l’Homme (d’origine accidentelle ou volontaire) n’ont pas permis d’observer les effets neurotoxiques signalés chez les animaux de laboratoire mais tout au plus des troubles digestifs de gravité moyenne. En tenant compte de la dose de fipronil la plus importante ayant été détectée dans un œuf contaminé (soit 1,2 mg/kg), l’ANSES a calculé combien d’œufs pouvaient être consommés par jour pour que l’exposition reste inférieure à la dose de référence aiguë (ou acute reference dose, ARfD) 4. Il s’agit d’un œuf par jour pour un enfant ou de 10 œufs par jour pour un adulte. Ces doses intègrent un facteur de sécurité de 10 puisque des doses équivalentes à 10 ARfD n’ont pas permis d’observer un effet chez l’Homme, y compris chez l’enfant (correspondant ainsi à près de 100 œufs fortement contaminés pour un adulte par jour). En ce qui concerne la viande, la concentration maximale retrouvée dans le muscle des poules a été de 0,175 mg/kg de muscle, soit une consommation journalière de plusieurs kilogrammes de viande pour dépasser l’ARfD.

Quant au risque lié à un effet cumulatif, il n’existe pas de données permettant d’évoquer un tel risque pour les produits ayant été mis sur le marché en France. D’ailleurs, les analyses en cours sur tous les produits suspects d’avoir été contaminés (et leur retrait si les traces de fipronil dépassent la LMR 5) devraient rassurer le consommateur. Si celui-ci peut regretter que l’on n’ait pas eu immédiatement la liste de ces produits suspects, on peut aussi parfaitement comprendre que le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation attende les résultats des analyses pour fournir cette liste ne concernant que les produits où la LMR est dépassée pour les retirer définitivement du marché, puisqu’il s’agit d’une fraude et non d’un risque d’intoxication.

Seules les enquêtes en cours sur les circuits commerciaux des œufs et des ovoproduits, voire du produit bio frauduleux, pourront démontrer l’importance de cette contamination en Europe et dans d’autres pays (puisqu’Hong Kong a été également touché). Il faut surtout espérer que la fraude n’aura eu lieu que dans la société néerlandaise ChickFriend incriminée et que le fipronil n’aura pas été utilisé dans d’autres circuits destinés à lutter contre les poux rouges, ectoparasites hématophages tant redoutés dans les élevages de pondeuses. Cette dernière question se pose d’autant plus que la société ChickFriend est également incriminée depuis le 24 août 2017 pour avoir aussi distribué illégalement un autre produit comportant un insecticide, l’amitraze 6, interdit dans les élevages de volailles, même pendant le vide sanitaire des bâtiments. Les enquêtes en cours permettront de connaître l’importance de ce nouveau risque de contamination dans les élevages avicoles en France.

En conclusion, ce problème des œufs contaminés est essentiellement économique et non sanitaire pour la filière œuf et pour l’Europe. Cela n’est pas sans nous rappeler la contamination frauduleuse des aliments destinés aux volailles par de la dioxine en Belgique il y a plusieurs années. À l’époque, le consommateur refusait de manger du poulet alors que la filière dinde, non boycottée, avait reçu les mêmes aliments contaminés, et que le risque sanitaire était écarté…

Les produits retirés de la vente en France

Conformément à ses engagements, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a publié une première liste des produits commercialisés en France où des œufs contaminés ont été utilisés. Il s’agit de produits d’origine belge ou néerlandaise détectés soit dans le cadre d’un autocontrôle réalisé par les professionnels ayant reçu des œufs ou des ovoproduits suspects, soit dans le cadre d’un plan national de contrôles officiels conduit par les services d’inspection des directions départementales en charge de la protection des populations. Ces produits ont été retirés du marché puisqu’il s’agit d’une fraude, mais sont sans danger pour le consommateur. Ils n’ont pas été rappelés car aucun n’a présenté une concentration de fibronil supérieure à la dose de référence aiguë (ARfD). Le ministère préviendra par un communiqué de presse si un dépassement de l’ARfD est observé.

La première liste publiée le 18 août correspondait à des gaufres fabriquées aux Pays-Bas (17 produits). Cette liste a été complétée le 24 août. Elle comportait des aliments préparés avec des ovoproduits néerlandais pour la fabrication de pâtes en France mais aussi des produits d’origine belge : frangipane, muffins, brownies, pommes dauphines.

Une enquête est également en cours dans les élevages pour s’assurer de l’absence d’usage du fipronil en France.

2 L’équivalent belge de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en France.

3 European Food Safety Authority, 2014. “Reasoned opinion on the modification of maximum residue levels (MRLs) for fipronil following the withdrawal of the authorised uses on kale and head cabbage”. EFSA Journal 2014, 12(1):3543, 37 pp. doi:10.2903/j.efsa.2014.3543

4 Cette ARfD est la quantité maximale de substance active, exprimée en mg/kg de poids corporel/jour, qui peut être ingérée par le consommateur pendant une courte période, c’est-à-dire au cours d’un repas ou d’une journée, dans la nourriture ou l’eau de boisson, sans effet néfaste pour sa santé.

5 La LMR pour le fipronil a été déterminée pour aussi prévenir les risques induits par la consommation chronique de cette substance.

6 À la différence du fipronil, l’emploi de l’amitraze est autorisé dans certains élevages d’animaux de production comme, par exemple, les bovins.