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Une histoire de fou

Publié en ligne le 10 mars 2011 - Pseudo-sciences -
par Jacques Girard

Un fou est assis sur un banc dans un square parisien.

Il a disposé tout autour de lui des boîtes de petits pois.

Un ami s’approche de lui et lui demande :

Pourquoi mets-tu des boîtes de petits pois autour de toi ?
– C’est pour éloigner les lions.
– Mais... Il n’y a pas de lions par ici !
– Tu vois bien que ça marche.

Quiconque voit bien dans cette histoire que le fou est réellement fou. Toute personne sensée comprend bien que le raisonnement est absurde. En fait, dans de nombreuses situations, si nous n’y prenons pas garde, nous raisonnons comme lui. En mettant les boîtes de petits pois autour de lui, il pense se prémunir d’un danger (un grand danger : se faire manger par des lions !) et ça marche ! Combien de fois sommes-nous amenés à nous contenter de quelque chose qui marche ?

L’exemple des sourciers

Je veux creuser un puits, je fais appel à un sourcier, qui, moyennant une somme modique (50 euros) par rapport au coût des travaux (disons 1 000 euros), vient avec sa baguette de coudrier (noisetier), et, après avoir fait le tour du terrain, me désigne un endroit :

Creusez ici, vous trouverez de l’eau à cinq mètres.

Un puisatier creuse le puits et effectivement il y a déjà un peu d’eau à trois mètres, un peu plus à cinq mètres. Le débit ne me semblant pas suffisant, je rappelle le sourcier qui m’explique que sa baguette indique une source plus importante à huit mètres.

Nous continuons à creuser et effectivement, à huit mètres de profondeur, il y a suffisamment d’eau pour mes besoins. J’estime avoir bien réussi mon entreprise pour deux raisons : j’ai maintenant de l’eau pour arroser mon jardin, et j’ai été économe car en prenant l’avis d’un spécialiste, j’ai évité de perdre 1 000 euros si ça n’avait pas marché.

Je ne suis pas fou, n’est-ce pas ? Je pense qu’on me jugera prudent et avisé.

Il y a quelques années dans la banlieue sud de Toulouse, dans un lotissement d’une quinzaine de maisons, un propriétaire fatigué de payer l’eau de la ville pour arroser son jardin décide de faire creuser un puits. Il fait appel à un sourcier qui, avec sa baguette, décèle à un endroit de son terrain la présence d’eau à huit mètres de profondeur.

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Le puisatier creuse le puits et trouve effectivement suffisamment d’eau à huit mètres. Il a même eu un peu de mal à creuser les deux derniers mètres et a dû pomper pour terminer le travail.

L’été à Toulouse est chaud, et pour garder une pelouse bien verte, faire un jardin et arroser les arbres, il faut beaucoup d’eau, si bien que le coût du puits est vite amorti.

Évidemment, les voisins regardent avec envie l’heureux propriétaire et les uns après les autres décident de faire la même chose et font appel au même sourcier et au même puisatier. Ça marche tellement bien qu’au bout de deux ans, chacun a son puits et peut arroser son jardin à moindre coût.

Le premier propriétaire a peut-être été un peu téméraire mais il a réussi, et les autres, bénéficiant de cette expérience ont pu faire la même chose sans prendre de risque. Toute personne sensée les jugera raisonnables.

Et pourtant, en réfléchissant un peu, on peut légitimement s’interroger sur deux points : y avait-il de l’eau aux autres endroits du terrain ? et comment se fait-il qu’il y ait de l’eau dans chaque terrain ?

Supposons, comme ci-dessus, que le creusement d’un puits revienne à 1 000 euros et que les honoraires du sourcier soient de 50 euros. On comprend que personne ne cherche à répondre à la première question, le but étant d’avoir un point d’eau, on voit mal un propriétaire faire une dizaine de puits dans son terrain et engager une dépense de 10 000 euros pour vérifier que le sourcier était utile et sa dépense de 50 euros justifiée. S’il le faisait, il passerait vraiment pour un fou !

En revanche, pour la deuxième question, on devrait s’étonner de trouver systématiquement de l’eau dans tous les terrains, comme si, miraculeusement, les lots avaient été découpés exprès. La seule réponse logique, c’est qu’il y a de l’eau partout. En creusant n’importe où dans cette résidence, on trouve de l’eau et le sourcier ne sert à rien.

Reprenons l’histoire du fou : Est-ce qu’il existe un rapport de cause à effet entre la présence de boîtes de petits pois et l’absence de lions ? Non évidemment !

Est-ce qu’il existe un rapport de cause à effet entre l’indication du sourcier et la présence d’eau ? Non plus.

Pour s’en assurer, il aurait fallu réagir de la façon suivante : enlever les boîtes de petits pois pour voir s’il y a toujours absence de lions, et creuser n’importe où pour voir s’il y a de l’eau afin de juger de l’utilité du sourcier.

Malheureusement il est rare de réagir de cette façon car l’enjeu (se faire manger/creuser un puits) est disproportionné par rapport à la précaution (installer des boîtes de petits pois/payer un sourcier).

Par instinct, nous n’aurions pas la même réaction si l’intervention du sourcier coûtait aussi cher que le puits. Beaucoup se diraient : le sourcier est-il utile ? Je vais essayer de m’en passer. Constatant que cela marche quand même, ils le diraient à leur entourage et beaucoup agiraient de même. Si l’intervention du sourcier coûtait trois fois le prix du puits, la profession s’éteindrait.

Un peu d’explications

Nous sommes dans la plaine alluvionnaire de la Garonne, dans un terrain très perméable, principalement constitué de sable et de galets. La nappe phréatique est à quelques mètres de profondeur. Le niveau de la nappe varie un peu avec la pluviométrie et le niveau de la Garonne. Dès que l’on creuse suffisamment on trouve de l’eau. Pour avoir de grandes quantités d’eau on peut creuser plus profond ou, comme cela se faisait dans le temps, creuser au fond des galeries horizontales.

J’ai également été amené à constater la même chose en Normandie. Dans un terrain, il existe un puits de sept mètres de profondeur et le niveau dans le puits est à environ deux mètres de la surface. Lorsque l’on tire beaucoup d’eau, le niveau descend, puis au bout de quelques heures revient à son niveau d’origine, celui de la nappe phréatique. J’ai été amené à faire plusieurs travaux de terrassement et immanquablement, je trouvais l’eau à la profondeur correspondant au niveau dans le puits. Dans cette région, plusieurs fermiers, gros consommateurs d’eau, ont fait faire des forages profonds (une centaine de mètres) pour accéder à une nappe profonde sous une couche imperméable qui a la particularité de donner des puits artésiens (l’eau jaillit du sol). Cette structure géologique est étendue sur plusieurs kilomètres, nul besoin de se promener avec une baguette1.

Les sourciers sont-ils des gens malhonnêtes ?

Ceux qui se font rémunérer n’ont peut-être pas tous la conscience tranquille, mais beaucoup d’autres, et j’en ai connu quelques-uns en Normandie, exercent leur art gratuitement pour rendre service (on leur offre quand même un bon repas). Ils sont peut-être de bonne foi, pensant avoir un don. Un peu comme ceux qui, dans les campagnes touchent les brûlures (bénignes) pensant avoir le don de « faire passer le feu » et le font bénévolement. Et ça marche, surtout avec les enfants, car la suggestion fait oublier la douleur, mais c’est un autre sujet.

1 Des « succès » de la sourcellerie sont aussi allégués pour des recherches d’eau dans des terrains où sa présence est moins évidente que dans une nappe alluviale. Une connaissance empirique que les sourciers ont du terrain où ils opèrent peut jouer, inconsciemment ou non. Mais aussi, parfois, sans doute, a-t-on tendance, comme pour les guérisseurs, à ne parler que des cas positifs et à oublier ceux où le puits foré sur les indications du sourcier est resté sec. Ces deux explications ne sont pas exclusives l’une de l’autre.

Pourquoi les sourciers de bonne foi croient-ils trouver de l’eau ?

Quand j’étais adolescent, ce phénomène m’intriguait et j’avais demandé à un sourcier de me montrer comment il faisait. Il s’était fait un peu prier car, même si ça ne rapporte pas, livrer ses secrets fait perdre un peu d’importance.

Il m’avait dit qu’il fallait prendre du bois de coudrier en forme de fourche, les deux branches du V faisant environ 20 cm pour un diamètre d’1 cm. Normalement la fourche devait basculer avec force en présence d’eau. Je me suis promené en tenant les deux branches : une dans chaque main. Rien, pointe en haut, pointe en bas, toujours rien. Je ne comprenais pas pourquoi un morceau de bois pouvait être sensible à la présence d’eau. Peut-être le coudrier, qui aime bien les sols humides, est-il attiré par l’eau ? Comme rien ne se produisait, j’ai sollicité à nouveau le sourcier qui m’a expliqué qu’il fallait tenir les deux branches en appliquant une torsion sur chacune d’elles. Ce que j’ai fait. Effectivement on peut ainsi mettre le V en équilibre instable de sorte qu’une variation infime du mouvement fait basculer la pointe vers le haut ou le bas selon la façon dont on le tient. Il est évident qu’en restant un certain temps avec le V et en se déplaçant, il arrive toujours un moment où l’équilibre se rompt. Les différents objets utilisés, tiges métalliques coudées, pendule etc. ont tous cette même propriété : leur équilibre est précaire et tout mouvement de la main, même imperceptible, se traduit par un mouvement bien visible de l’objet.

On comprend dans ce cas qu’une personne de bonne foi, n’ayant pas de connaissances scientifiques, ignorant les protocoles expérimentaux et surtout, confortée par le fait que « ça marche », soit persuadée d’avoir un don.

Évidemment, c’est plus inquiétant de la part d’un physicien, mais je ne vais pas reprendre le sujet maintes fois débattu de la théorie d’Yves Rocard (Les sourciers, collection Que sais-je ?) taillée en pièces par Henri Broch (Au cœur de l’extraordinaire, collection Zététique, p. 238-247).

Le mot « sourcier » dans le dictionnaire

Le petit Larousse illustré 2004 : Homme qui possède le don de découvrir les sources souterraines à l’aide d’une baguette, d’un pendule, etc.

Selon le dictionnaire, le don est hypothétique ou réel.

Le Robert pour tous 1998 : Personne à laquelle on attribue l’art de découvrir les sources et les nappes souterraines.

Grand Larousse encyclopédique 10 volumes 1964 : Celui qui passe pour habile à découvrir les sources souterraines au moyen d’un pendule ou d’une baguette.

Nouveau petit Larousse 1952 : Personne qui découvre les sources à l’aide d’une baguette.


Sourcellerie : la couverture médiatique d’une réalité scientifique inexistante
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La sourcellerie semble bénéficier d’un regain d’intérêt. Nous avons plusieurs fois dénoncé la complaisance de la grande presse, nationale ou régionale, envers les sourciers, mis à l’honneur dans des articles sans le moindre esprit critique.

Ainsi, le journal Le Monde, en 2006, avait consacré une pleine page 1 au « printemps des sourciers ». L’article avait suscité de nombreuses réactions, et l’AFIS s’était adressée à la rédaction du journal 2 (sans réponse), regrettant que « le quotidien que beaucoup considèrent comme le "quotidien de référence" semble se rallier sans même témoigner de la moindre réserve, aux thèses pseudo-scientifiques de la radiesthésie ».

Dans un dossier décrivant les « vrais pouvoirs des sorciers », le magazine Science et vie Junior (septembre 2009), d’habitude mieux inspiré, évoque les sourciers qui « seraient capables » de capter les ondes émises par les sources d’eau 3.

La presse régionale est familière de reportages sur tel ou tel sourcier, mettant en avant ses « pouvoirs », ses « résultats », généralement, sans le moindre esprit critique, sans la moindre référence aux travaux scientifiques et aux expérimentations qui ont montré l’absence totale de réalité aux phénomènes et aux pouvoirs allégués. Notre revue s’en fait régulièrement l’écho, en le déplorant.

Les travaux d’Yves Rocard, le père de la bombe nucléaire française, physicien éminent, mais qui s’est égaré dans de vaines tentatives pour valider la radiesthésie, sont encore largement invoqués à l’appui des « pouvoirs » des sourciers. Pour lui, l’homme serait capable de détecter des champs magnétiques faibles, dont ceux émis par des sources d’eau. En réalité, les expériences décrites par Yves Rocard ont été souvent refaites, en particulier par les étudiants de Henri Broch à Nice Sophia Antipolis... dans le but d’illustrer les erreurs méthodologiques. Jamais une magnétosensibilité de l’homme aux niveaux invoqués par Yves Rocard n’a pu être mise en évidence. De plus, si la mesure directe de faibles valeurs de champs magnétiques, qui plus est dans les conditions du terrain, n’était pas réalisable il y a 40 à 50 ans, ce n’est plus le cas aujourd’hui 4. La baguette de sourcier n’a pas été remplacée par des appareils modernes, qui seraient bien plus précis et efficaces... tout simplement parce que ça ne marche pas.

J-P K

1 Le « Monde » des sourciers, Jean Gûnther, SPS n° 273, juillet-août 2006, et La sourcellerie, une petite entreprise rentable, Agnès Lenoire.

2 « Le crépuscule des sourciers », lettre adressée à la rédaction du journal Le Monde.

3 « Science & Vie Junior accrédite les pouvoirs des sorciers !, SPS n° 288, octobre-décembre 2009.

4 Voir « Ondes et croyances paranormales », Henri Brugère, SPS n° 285, avril-juin 2009.